Projet de livre: Le web
Proposition pour la collection “Repères”
Marcello Vitali-Rosati
Benoît Epron
web, édition
Web, edition

Titre provisoire

Présentation générale du projet

Pour quelqu’un de moins de trente ans, imaginer un monde sans Web est presque comme pour les générations précédentes imaginer un monde sans éléctricité, ou sans eau courante.

Mais qu’est-ce que le Web ? La plupart des usagers ne sauraient pas donner une réponse précise à cette question pourtant banale. Dans plusieurs discours - souvent aussi dans les articles de journal ou même dans des textes universitaires - le Web est confondu avec Internet, et encore plus généralement, il est assimilé à l’ensemble de la “culture numérique” dont il fait partie.

Ce livre proposera une présentation claire du Web, de son histoire, des protocoles qui le structurent et sutout des visions du monde sur lesquelles il est basé et qu’il promeut.

Nous analyserons le Web comme espace documentaire et d’édition pour ensuite prendre en compte l’ensemble des pratiques qui le font devenir un véritable espace de vie, où les usagers ne se limitent pas à chercher des informations ou à communiquer entre eux, mais où ils ont progressivement transféré un ensemble de pratiques sociales complexes et hétérogènes.

Le livre prendra en compte ainsi les promesses du Web et les risques qu’il comporte à une époque où, les premiers enthousiasmes s’étant estompés, surgit une pensée critique de plus en plus structurée et diffusée qui peut parfois être retrouvée dans la bouche de ces mêmes personnages qui en ont été les premiers concepteurs.

Approche

L’originalité de l’approche que nous proposons est de comprendre le Web non pas comme un changement culturel radical, mais comme un phénomène qui doit être interprété dans la continuité d’une très longue tradition culturelle. La “toile” a pris une place centrale dans nos vies et dans nos pratiques et a souvent été décrite comme une révolution totale de nos sociétés. Cependant on ne pourrait pas comprendre ce que le Web représente exactement, ni son fonctionnement réel, sans l’inscrire dans une très longue tradition culturelle. C’est l’ambition de ce livre : proposer une description précise du Web, de ses protocoles, des pratiques qu’il a fait émerger, des innovations qu’il a permises, en inscrivant cette analyse dans un temps long, qui va au moins de la création des première bibliothèques à la fameuse note que Tim Berners-Lee écrit en 1989 en passant par la naissance des encyclopédies, le développement des théories de l’information et la bibliothéconomie.

Plan détaillé

Intro (15 pages)

Nous allons donner une définition du Web en le différentiant notamment d’Internet. Nous allons ensuite décrire le protocole qui est à la base du Web (l’HTTP), et le format qui caractérise ses documents (l’HTML). HTTP, HTML et tous les autres protocoles sont en effet des machines morales, ils portent des valeurs et représentent des visions du monde. Par ailleurs, la différnce entre les protocoles du Web et ceux d’Internet est évidente… Dans cette introduction nous expliquerons que les choix techniques réalisés par les inventeurs du Web portent déjà en eux une proposition de modèle politique. Cette approche est cyclique, les individus inscrits dans cette histoire culturelle ont façonné le nouvel outil qu’est le Web à l’image de ce qu’ils avaient comme ambition politique. Cette problématique sera exposée en introduction mais elle irriguera ensuite l’ensemble de l’ouvrage.

  • Qu’est-ce que le Web ?
  • Le protocole HTTP
  • L’HTML
  • Les valeurs à la base du Web

Histoire culturelle: le rêve du savoir absolu (35 pages)

Nous traiterons du Web en l’intégrant dans une histoire culturelle plus longue. L’objectif de cette partie est de montrer que le projet initial du Web s’inscrit dans une ambition culturelle et politique héritée d’une longue histoire. Nous démontrerons que les outils et protocoles techniques du Web portent en eux cette ambition. Nous concluerons cette partie en abordant la façon dont le Web a permis l’émergence d’une forme d’intelligence collective qui questionne aujourd’hui son devenir.

Le Web dans une histoire longue des savoirs

Dans cette partie nous souhaitons présenter le Web dans une temporalité longue du rapport au savoir. En effet, le Web doit être appréhendé comme une étape déterminante dans une ambition universelle de savoir. Il s’inscrit ainsi dans une histoire politique et culturelle pour laquelle nous présenterons les jalons principaux pour mieux appréhender la façon dont le Web constitue une nouvelle étape majeure de cette évolution.

  • Alexandrie
  • Le dépot légal à partir de François premier
  • Le projet encyclopédique de Diderot et D’Alembert

Le Web au prisme des classifications du savoir

L’ambition culturelle et politique d’un savoir absolu a amené à une réflexion importante sur les modalités d’organisation de ce savoir. Ces enjeux d’organisation et de classification portent en eux des représentations du savoir, culturellement marquées par des questions d’autorité, de complétude et de stabilité. Ces représentations du savoir sont remises en cause par le Web. En effet, si les approches classificatoires traditionnelles ont été utilisées dans les premiers temps du Web, elles se sont rapidement heurtées aux caractéristiques intrinsèques de celui-ci, notamment son instabilité et son évolution permanente. Ainsi, les logiques organisationelles consistant à traiter un ensemble quasi-fini du savoir, pour en extraire des représentations et les manipuler de façon autonome n’est plus exploitable pour le Web. Nous montrerons dans cette partie l’héritage conceptuel des logiques de classifications traditionnelles dans le Web (facettes, ordonnancement…) et leurs limites.

  • Paul Otlet et le Mondaneum
  • Vannevar Bush et le Memex
  • Les bibliothèques et les principes de classification du savoir
  • Les logiques classificatoires du web

Les protocoles du Web comme héritier de l’ambition politique et culturelle du savoir absolu

Notre objectif dans cette partie est de montrer que le Web doit être considéré au-delà de l’innovation technique qu’il représente au départ. Les acteurs à l’origine des protocoles techniques qui sous-tendent le Web s’inscrivent dans un contexte géopolitique et historique qui induit en partie les choix relatifs à ces protocoles. Nous souhaitons expliciter ici le caractère politique, économique, culturel et philosophique de ces choix et la façon dont ils supportent un rapport nouveau à la construction, la validation et l’accès au savoir.

  • Tim Berners Lee
  • Protocoles
  • Document vs ressource
  • Intelligence collective

De l’espace de la connaissance à l’espace de vie (35 pages)

Nous questionnerons l’hybridation à l’oeuvre des espaces de la connaissance, d’espaces identifiés et clos (les bibliothèques) à une “infosphère” ubiquitaire. Cette hybridation nous permettra d’aborder les enjeux pour les espaces traditionnels du savoir et, a contrario, les approches documentaires des nouveaux espaces de la connaissance (du Web dans ses dimensions documentaires, sémantiques, à sa dissolution dans un Web des objets). Nous aborderons cet aspect sous l’angle de l’hybridation entre espaces de connaissance et espaces de vie passant par une redocumentarisation et une éditorialisation de l’ensemble des activités à travers les capteurs et l’interfaçage numérique de l’ensemble des activités humaines.

Quelle fonction pour les espaces traditionnels du savoir ?

Le Web, comme nouvel espace de la connaissance, remet en question le rôle des espaces traditionnels dévolus au savoir. En effet, la matérialité des supports du savoir induit la nécessité d’espaces de stockage, maipulation, préservation ou diffusion. Ces espaces construisent ainsi une cartographie de territoires dédiés à la production (bureaux, universités, laboratoires…) ou à l’accès au savoir (bibliothèques, institutions culturelles, librairies..). La localisation géographique de l’individu conditionne donc son rapport au savoir, son intentionnalité d’y accéder, d’apprentissage ou de production. Le Web bouleverse cette cartographie, faisant potentiellement de tous les espaces physiques des espaces du savoir. En rendant le savoir accessible en tous lieux, la combinaison du Web et de l’Internet mobile en rend aussi la production, explicite ou implicite, ubiquitaire. L’individu peut ainsi accéder, quand bon lui semble, à un savoir numérisé, parfois devenu invisible via un assistant vocal. Il produit également en permanence un savoir en interagissant avec son environnement, sur les conditions de circulation, ses habitudes de déplacement, ces questionnements… il participe à une production nouvelle de savoirs qui ne viendra plus alimenter les espaces traditionnels mais constitueront une infosphère (Floridi) virtuelle. La pratique d’un apprentissage qui consisterait à acquérir un savoir dans un espace dédié (une école) pour ensuite l’exploiter dans un autre espace de mise en oeuvre est elle-même questionnée.

  • Bibliothèques comme espace de vie (enjeux marketing)
  • Savoir opérationnel

D’espaces des savoirs à une architecture de l’information

L’espace du Web est un espace topographique, la sémantique de la navigation est une sémantique du déplacement qui renvoie à la représentation construite par les individus d’un espace géographique au sein duquel il se déplace de lieux en lieux en suivant des liens. La façon dont cet espace s’organise renvoie aujourd’hui à une réflexion nouvelle, liée à l’hybridation croissante du Web, entre architecture de l’information et présence dans les espaces physiques via un Web des objets qui incarne le Web dans l’environnement physique tangible de l’individu.

  • Architecture de l’information (d’un web documentaire à un espace: notion d’architecture)
  • Éditorialisation
  • Web des objets

Le Web, d’un espace du savoir partagé devenu personnalisé

La perception qu’à l’individu du Web vient en partie heurter les représentations spatiales traditionnelles. Il ne s’agit plus d’un espace fini et stable, comme pour une bibliothèque, mais d’un espace infini et mouvant, se reconstruisant en permanence autour de l’individu et pour lui. Cette approche sémantique du Web, c’est à dire construisant un sens unique pour chaque usager, se heurte à l’obstacle d’une nécessaire automatisation de la production d’une sémantique documentaire. Celle-ci constitue un champ d’études et de réflexion important depuis l’origine du Web, l’avatar de “l’intelligence artificielle” supposé y répondre rationnellement semble encore loin d’y apporter une réponse satisfaisante.

  • Web sémantique

Un rêve devenu cauchemar (35 pages)

Nous souhaitons confronter le projet, l’utopie, du Web a ses dérives et errements. Si le Web est un espace, comment peut-il être un espace public? Notre propos ne sera pas une critique du développement d’un Web commercial mais un questionnement sur le modèle politique porté par l’évolution actuelle du Web et la façon dont elle boulverse les modèles politiques existants. C’est globalement une problématique d’appropriation, via une logique de plateformes étanches qui morcellent le Web. L’archétype en étant la situation actuelle du Web mobile et ses écosystèmes d’applications mobiles.

Un espace du savoir morcelé

Depuis son origine, le Web a connu une évolution paradoxale. D’une part les acteurs de la normalisation des standards et protocoles du Web ont permis de maintenir un ensemble de technologies cohérentes, soutenues par des normes partagées et autorisant une comptabilité de l’ensemble des ressources respectant ces standards. D’autre part, le Web s’est également structuré autour de quelques points d’entrées, d’écosystèmes clos, de plateformes qui offrent un accès sélectionné au Web en essayant de maintenir l’internaute dans un seul et même environnement. Ainsi, en proposant un grand nombre de services (moteur de recherche, navigateur, messagerie, commerces…) ces plateformes construisent un Web par “continents” dont l’internaute ne s’échappe que difficilement. Ces vélléités de compartimentage sont apparues très vite, les problématiques de comptabilité entre navigateurs que beaucoup ont oublié marquait déjà une forme de segmentation. Elle trouve son aboutissement aujourd’hui dans la construction d’un Web mobile structuré autour de plateformes d’exploitation (comme pendant des systèmes d’exploitation) et interdisant de fait l’appropriation d’un Web unique et partagé.

  • La guerre des navigateurs
  • Les applications comme “contre-web”
  • Les gafam
  • Web des services

Une régulation déléguée

L’ambition originelle du Web, un espace de tous les savoirs pour tous, se trouve confronté, comme tous les espaces publics, à des besoins de régulation. Le caractère par nature mondial du Web amène plusieurs formes de régulations. Une première forme a été un contrôle strict via les infrastructures techniques nécessaires au fonctionnement du Web. Cette approche permet à certains états de controler les navigations sur le Web des habitants utilisants ces infrastructures. L’utopie de partage et de circulation sans contraintes du savoir se voit dans ces cas contraint par des mécanismes, classiques, de contrôle de la diffusion et de l’accès, au même titre que les autres espaces tangibles. Une deuxième approche consiste à renvoyer à une forme algorithmique de la régulation. Cette approche montre régulièrement ses limites, renvoyant l’interprétation et le jugement vers les développeurs d’algorithmes et se heurtant aux variations territoriales des législations. La mise en oeuvre de cette forme de régulation ne peut se faire qu’au niveau des principales plateformes du Web, auxquelles les Etats délèguent une part de leur souveraineté sur la diffusion et la circulation du savoir. Enfin, les logiques de réputation et de recommandation à l’oeuvre sur le Web constituent une troisième forme de régulation, dans laquelle se sont les acteurs disposant des moyens et du savoir-faire qui conditionnent la visibilité du savoir, en dehors de toute logique d’autorité ou d’expertise.

  • Le solutionisme (Morozof)
  • Trinet

Conclusion (5 pages)

Dans cette conlusion nous insisterons sur la nécessité de considérer le Web comme un espace public qui confronte une idéologie ou un projet politique qui est celui des créateurs avec celui des différents états ou environnements législatifs. La dissymétrie de fait entre les territorialités concernées (nationale/mondiale) est en partie à l’origine de la tension actuelle entre les GAFA et les Etats, tant sur les aspects fiscaux que ceux relatifs aux orientations politiques ou à la protection de la vie privée par exemple.

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