AP pour Anthologie Palatine, POP pour Plateforme Ouverte des Parcours d’imaginaires, AP POP
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public

Introduction

Lors que les formations d’études supérieures en littérature et culture de l’Antiquité se font plus rares, achevant d’enterrer les illustres ancêtres grecs et latins, en enthousiastes fossoyeurs, certains chercheurs de la communautés des humanités (comprenant les humanités numériques) oeuvrent à l’établissement d’un dialogue avec ces langues dites “mortes”, considérant l’Antiquité comme un porte-voix offrant un large panel de notes destinées à résonner avec notre vécu contemporain.

D’aucun pourrait penser opposer l’antique et ses inscriptions au numérique et son code et ainsi considérer l’édition numérique d’un matériau antique comme une anachronie, or au-delà d’une édition numérique qui pourrait se révéler abusive dans ses méthodes - dénuée de point de vue critique face au texte source - on peut envisager l’édition numérique comme une augmentation des posssibilités éditoriales, donc capable de rendre compte de certaines caractéristiques de l’objet antique par le outils à disposition.

C’est dans la lignée d’une restauration et mise en valeur du patrimoine antique que la Chaire de Recherche du Canada sur les écritures numériques (CRC) a initié le projet d’une édition numérique collaborative de l’Anthologie Palatine pour rendre compte et penser une visualisation de l’univers et de la richesse anthologiques. Dans le cadre de ce projet a été pensée et conçue la plateforme ouverte des parcours d’imaginaires (la POP) qui permet à tout usager d’entrer dans le réseau anthologique par le biais de parcours de lecture thématique et de participer activement à la constitution d’un imaginaire collectif.

Je présenterai en premier lieu l’objet littéraire et éditorial se trouvant derrière l’appellation Anthologie Palatine, puis j’exposerai le projet d’une édition numérique collaborative instituée par la CRC, enfin je me consacrerai sur la nouvelle plateforme de visualisation et sur ses optionnalités.

Anthologie Palatine, Babel littéraire

Anthologie Palatine, Anthologie Grecque, Anthologie des anthologies, cet objet qui nous occupe est aussi passionnant que complexe à cerner (les deux caractéristiques allant souvent de pair). En tant que recueil vaste et complexe d’épigrammes, l’AP constitue un objet littéraire qui propose des véritables défis éditoriaux techniques et théoriques pour un projet d’édition qui souhaiterait l’établir en respecter sa forme autant hétérogéne qu’ouverte, autant pour une édition traditionnelle visant une publication papier qu’une édition non-traditionnelle visant une publication numérique.

Vertige philologique

Somme d’évènements éditoriaux antiques comme modernes (traductions, ajouts, retraits et certainement pertes successives par les compilateurs), l’Anthologie Palatine se présente au philologue comme un casse-tête de versions. Il semble admis que le manuscrit sur lequel se fondent les éditions de l’Antologie est le Codex Palatinus 23 : un manuscrit byzantin (l’Empire romain d’Orient) daté de 940 ap J.C., découvert en 1606 par Claude Saumaise, dont presque la totalité est conservée à la Bibliothèque Palatine de Heideberg (quelques feuillets sont en effet conservés à la Bibliothèque nationale de France).

Il existe cependant une version antérieure au Codex Palatinus 23, à savoir celle établie en 900 après J.C. par Constantin Céphalas. Cette version a été constituée à partir de trois sources principales reconnues : un recueil de 100 avant J.C. établi par Méléagre de Gadara (la Couronne de Méléagre), un recueil établi par Agathias daté de 553 après J.C. (Cycle d’Agathias de Myrina) et un recueil daté du Ier siècle avant J.C. établi par Philippe de Thessalonique (la Couronne de Philippe de Thessalonique) (Gutzwiller 1997).

Parmi les différentes sources, le recueil de Méléagre se présente comme la source première de l’Anthologie grecque parce que la plus complète. Elle constitue en effet la première collection d’épigrammes réunies en un seul volume (Waltz, 1928, p. XI ) et s’impose donc comme le modèle canonique du genre littéraire qu’est l’anthologie.

Malgré ces sources, il apparaît que l’Anthologie Palatine résulte en réalité d’une composition : aux quinze livres issus du Codex Palatinus 231, les éditeurs (éditions de Loeb en 1916 par Paton, édition des Belles Lettres de Waltz en 1927) ont ajouté le tome XVI qu’ils ont appelé l’Appendix Planudea. Cet appendix est issu de la compilation de Maxime Planude qui en 1301 (Aubreton 1968) : cette version comprend une partie des épigrammes du Codex Palatinus 23 et de nouvelles épigrammes.

Si une anthologie est par essence une construction d’hétérogènes, l’Anthologie Palatine telle que nous la connaissons aujourd’hui est une reconstitution à partir d’éditions présentes et perdues, antiques et modernes, une co-construction dillatée dans six siècles d’histoire éditoriale qui tente de rendre compte d’une perception du genre anthologique et de la forme épigrammatique grecque. Ainsi, aussi choquant que cela puisse paraître, l’Anthologie Palatine n’existe pas essentiellement, mais éditorialement.

Couronne florale

Le genre littéraire de l’anthologie est marqué, dès son origine étymologique, par un sceau: celui d’une image qui témoigne du processus de compilation éditoriale et de la dimension d’hétérogénéité de la composition. En grec ancien ἀνθολογία, ou pour les Latins florilegium, désigne la couronne de fleurs et donc le processus de tissage qui produit l’objet final et fleuri.

Ce sceau ne permet pas seulement la compréhension d’une structure mais également d’une poétique. Dans le proème de sa couronne - au début du livre IV du codex Palatinus 23 - Méléagre de Gadara liste les poètes en les associant avec une fleur :

Μοῦσα φίλα, τίνι τάνδε φέρεις πάγκαρπον ἀοιδάν; / ἢ τίς ὁ καὶ τεύξας ὑμνοθετᾶν στέφανον; / Ἄνυσε μὲν Μελέαγρος, ἀριζάλῳ δὲ Διοκλεῖ / μναμόσυνον ταύταν ἐξεπόνησε χάριν, / πολλὰ μὲν ἐμπλέξας Ἀνύτης κρίνα, πολλὰ δὲ Μοιροῦς / λείρια, καὶ Σαπφοῦς βαιὰ μέν, ἀλλὰ ῥόδα.

Les poètes de l’Anthologie sont supérieurs à 100 sur un temps de 16 siècle : l’AP regroupe un ensemble de textes allant du VIe siècle av. JC au Xe siècle après JC. Et la matière de l’anthologie, ses fleurs, se présentent sous la forme de l’épigramme (court texte pouvant se révéler sous l’inscription sur pierre, bois, peau…)

Le processus éditorial se voit donc investi de valeurs particulières et la métaphore, si filée, peut permettre d’expliquer la structure de l’Anthologie Palatine.

Les instructions pour confectionner une couronne tressée semblent le mieux illustrer correspondre à la dynamique de l’Anthologie Palatine : la couronne (l’anthologie) est structurée de fleurs (poètes) regroupées en un ensemble structuré dont la constitution sera renforcée par un tressage (intertextualité) entre les tiges (les thèmes) des fleurs. Le fait de création de l’anthologie, les tâches relevant de la compilation et le processus d’établissement du texte relèvent donc du geste de tissage d’un matériau délicat, vivant embaumé, dont l’entrecroisement des tiges constituera l’intertextualité structurale de l’AP. C’est Méléagre de Gadara, qui, les considérant comme une forme poétique, choisit de compiler un recueil d’épigrammes (dont certaines sont de sa main).

Ainsi l’AP s’impose comme un objet mouvant et vivant qui a dispersé divers échos dans les imaginaires littéraires de plusieurs sociétés différentes: allant de la culture grecque archaïque jusqu’à la société byzantine. C’est par ses dynamiques d’imaginaires que nous concevons l’AP, soit par les jeux intertextuels qui énervent sa structure.

Intertextualités

L’anthologie fonde donc sa structure sur une intertextualité fondamentale. Le fait de création de l’anthologie, les tâches relevant de la compilation et le processus d’établissement du texte relèvent donc du geste de tissage d’un matériau délicat, vivant embaumé, dont l’entrecroisement des tiges constituera l’intertextualité structurale de l’AP.

Les mailles intertextuelles de cet édifice sont diverses et innombrables : qu’il s’agisse de la reprise d’un thème littéraire, de la répétition d’une structure syntaxique, d’une référence à un lieu ou à un personnage de l’imaginaire collectif.

C’est cette structure pensée qui créé la connivence investissant l’AP : le dialogue entre les épigrammes est un dialogue multiple en réseau. Ce dialogue épigrammatique n’est pas seulement interne, il dépasse la structure des épigrammes, la structure même de l’anthologie : sa résonance parvient non seulement jusqu’à l ’imaginaire collectif, mais y participe.

Architecture métonymique

Dans la structure de l’AP, les fragments qui la composent se veulent représentatifs de la totalité : Il s’agit donc d’une dynamique que l’on peut qualifier de métonymique.

Ainsi les caractéristiques de l’AP (historicité diffuse, auctorialité multiple, forme multisupport, intertexualité constitutive, dynamique métonymique) mettent en tension ce monument littéraire avec le concept d’oeuvre: nous en venons ici à affirmer que l’Anthologie Palatine tel que nous la connaissons, n’est pas une oeuvre mais le pre-texte d’un imaginaire collectif dynamique et ouvert. Pre-texte, non au sens pouvant paraître péjoratif d’une raison faible pour justifier en apparence tout en procédant de dissimuler la cause véritable, mais bien comme une ressource-écran (prae, en avant) permettant la résonance des mouvements d’imaginaires populaires. Il ne s’agit pas ici de défaire les lettres dorées de l’AP et d’en faire un objet exclusif de folklore, mais de la percevoir comme le réceptacle suffisamment dense et riche dans son intertexualité pour être lue, comprise, et investie par la pensée scientifique et la pensée amateure.

Réponse de l’édition numérique

Ce sont certainement toutes ces caractéristiques qui ont fait dire à Milad Douheili : que l’Anthologie représente “la forme et le format par excellence de la civilisation numérique” (Doueihi 2011, 105)

Alignement des versions

Liens faibles, la lecture fractale

Et c’est sur cette forme et ce format de l’Anthologie que se fonde le projet d’une édition numérique collaborative de la Chaire.

Le projet a donc pour objectif de mener des Réflexions sur la Résonance de l’AP dans l’Imaginaire collectif et de rendre compte de la diversité du matériel impliqué ainsi que de la richesse et de l’hétérogénéité des renvois existants entre les épigrammes.

Ce projet ne se destine pas uniquement comme un objet d’érudition, mais comme un objet destiné à un public large : c’est pop et populaire.

En effet Il ne s’agit pas seulement de comprendre la source de l’Anthologie, MAIS de comprendre la réception multiple de l’imaginaire anthologique soit d’entendre sa résonance et de proposer de nouveaux échos, de participer ou prolonger la résonnance, ce que nous avons appelés des liens faibles.

Des data aux capta (Drucker)

Le fond n’existe pas, il est toujours forme.

Éditorialisation

Architecture du projet.

Le projet se structure ainsi soit Autour d’une base de données relationnelles établie à partir de la notion d’entité qui constitue une unité textuelle. pour une épigramme = une entité notion d’entité - en référentiel aligné aux URI Perseus - qui constitue une unité textuelle idéale Chaque entité est associée à plusieurs informations : - aux versions textuelles de l’épigramme : versions grecques et traductions (en fr, anglais et italien) issues notamment du travail d’élèves de Lycées en Italie) - scholies - autres métadonnées : auteur, époque, mots-clefs qui renseignent les thématiques des épigrammes, les genres littéraires, les personnages ou les lieux cités Ces métadonnées nous permettent par la suite de proposer des parcours de lecture pour les usages : les parcours d’imaginaires.

qui permet de visualiser les épigrammes composants l’Anthologie Palatine et toutes les métadonnées venant enrichir la connaissance et l’identité de chacune des épigrammes dans les versions grecques et les traductions (en français, anglais et italien), leurs métadonnées (auteur, date, lieu et mots-clefs) sous la forme de parcours de lecture thématiques.

, la CRC et son équipe interdisciplinaire et internationale (dont Marcello Vitali-Rosati, Elsa Bouchard, Enrico Agostini Marchese, Arthur Juchereau, Servanne Monjour, Nicolas Sauret, Katérina Tzotzi)

Plateformes

Plusieurs plateformes

Une visualisation du Json qui permet d’exposer la base de données sources sur l’API

API permet d’effectuer des requêtes pour afficher les données, ainsi que pour enrichir la base. Après s’être logué, l’utilisateur peut également écrire sur l’API. L’usager peut donc proposer des liens faibles (external reference) soit associer à l’épigramme un objet (textuel, iconographique, musical, cinématographique ou autre) qui témoigne de l’imaginaire collectif suggéré par l’épigramme et vient ainsi enrichir le matériel anthologique. Démo

le compte Tweeter où des épigrammes sont publiées permettant au tweeter de réagir, soit interagir, avec la publication.

Plateforme de visualisation des parcours de lecture qui permet de visualiser les parcours d’imaginaires et les liens faibles (ajoutées via l’API) et que je vais présenter plus en détail.

POP

description des éléments structurant cette plateforme.

Exemple

Exemple d’un parcours de lecture: La Traversée vers la mort. Ce parcours propose un voyage initiatique sur la barque numérique en compagnie du nocher infernal au travers du Styx, fleuve entre deux mondes, pour visiter enfin l’espace des dernières demeures et de ces histoires et peut-être en ressortir.

Il est composé de 14 épigrammes, je vous en présente rapidement une.

Épigramme 7.68, issue du livre 7 et qui est la 7e épigramme du parcours :

“Conducteur des morts pour Hadès, qui te plais aux larmes de tous, qui traverses cette eau profonde de l’Achéron, quoique ton esquif ploie sous les ombres des trépassés, ne laisse pas là Diogène-le-Chien : c’est moi. J’ai avec moi une gourde, un bâton, un manteau double et, pour te payer du passage, une obole. Même vivant, cela seulement que mort j’apporte ici encore fut mon avoir, et sous la lumière du soleil je n’ai rien laissé.”

Cette épigramme évoque la descente aux Enfers, le topos de la Catabase, ainsi que la célèbre figure du nocher : Charon. Libre de penser et créer ses propres liens d’imaginaire à imaginaire, l’utilisateur de la plateforme se voit proposer des liens faibles en guise d’exemple ou de début de dynamique d’association d’imaginaire.

Ainsi cette épigramme peut aussi bien faire penser : à des objets littéraires à des objets picturaux à des objets musicaux à des objets cinématographiques des objets d’autres natures, proche du détournement ou encore à des objets personnel : (surprise).

Métaontologie

Anamorphoses

Conclusion

Dans ce projet d’édition, l’idée même de “vérité” du texte - habituellement à la base de l’approche critique ou généalogique - ne constitue pas un objectif à atteindre. Au contraire, nous cherchons à faire émerger les pluralités de perception du matériel textuel - car c’est cette pluralité qui est l’essence de l’AP. Ce projet invite donc à une appropriation de l’œuvre insaisissable soit à comprendre, associer l’AP avec nos propres chimères intérieures.

Aubreton, Robert. 1968. « La Tradition Manuscrite Des épigrammes de LAnthologie Palatine. ». Revue Des Études Anciennes 70:32‑82.
Gutzwiller, Kathryn. 1997. « The Poetics of Editing in Meleager’s Garland ». Transactions of the American Philological Association 127:169‑200.

  1. Le processus pour cartographier les conversations d’une communauté est abordé de manière plus approfondie dans The Atlas of New Librarianship.↩︎