Penser le palimpseste numérique
Le projet d’édition numérique collaborative de l’Anthologie palatine
Margot Mellet
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2019/07/30
Le projet Anthologie Palatine initié par la CRCEN cherche à penser une visualisation de l’univers et de la richesse anthologiques. Dans le cadre de ce projet a été conçue la plateforme ouverte des parcours d’imaginaires qui permet à l’usager de participer activement à la constitution d’un imaginaire collectif en associant le matériel anthologique à des références. Cette édition collaborative numérique questionne les phénomènes de remédiation et la figure du palimpseste.
The project Palatine Anthology initiated by the CRCEN seeks to think a visualization of the anthology universe and wealth. As part of this project, the open platform of imaginary journeys was created, which allows the user to participate actively in the constitution of a collective imagination by associating anthological material with references. This digital collaborative edition questions the phenomena of remediation and the figure of the palimpsest.
Palimpseste,Anthologie Palatine,Intermédialité,Édition numérique,Littérature grecque

Introduction

Lors que les formations d’études supérieures en littérature et culture de l’Antiquité se font plus rares, cloisonnant une discipline conscrée à la culture et aux langues latines et grecques, certains chercheur·e·s de la communautés des humanités (comprenant les humanités numériques) œuvrent à l’établissement d’un dialogue avec ces langues dites « mortes », considérant l’Antiquité comme un porte-voix offrant un large panel de notes destinées à résonner avec notre vécu contemporain. Les environnements numériques deviennnent ainsi espaces de médiation ou de remédiation de corpus antiques notamment parce qu’ils permettent de décupler les possibilités éditoriales (l’hypertextualité, la fluidité de la navigation, enrichissement multimédia, mise en réseau) et de révéler certaines caractéristiques de l’objet que l’édition papier n’avait pû transcrire. Les projets d’édition numérique de contenus manuscrits anciens et antiques se proposent donc au lecteur comme de possibles remédiations (Bolter et Grusin 2003 ; Monjour 2018) d’un héritage et d’une tradition (la culture de l’imprimé) à un nouvel héritage et tradition en développement (la culture du numérique).

Le projet AP de la Chaire de Recherche du Canada sur les écritures numériques (la CRCEN) est celui d’une édition numérique collaborative de l’Anthologie palatine, un recueil de poèmes grecs, essentiellement des épigrammes, allant de la période classique à la période byzantine de la littérature grecque. Dans le cadre de ce projet a été aménagé un espace éditable par l’usager lui pemettant d’associer l’épigramme anthologique à une référence (littéraire, iconographique, cinématographique, personnelle) : c’est ce qui a été désigné par la notion de lien faible. Dans le cadre de ce projet, la notion de lien faible est resémantisée dans le cadre du projet et est comprise comme des associations libres par l’utilisateur de contenus divers à un contenu édité et figé qui est celui ici de l’Anthologie Palatine.

Le lien faible relève ainsi d’une écriture autre — pouvant être étrangère au corpus épigrammatique en temps, thématique, auteur, et parfois format — s’ajoutant à la structure éditoriale fixe et y participant par un geste collaboratif de recouvrement d’un (con)texte anthologique. Cependant la source anthologique ne disparaît pas, elle demeure visible et son intemporalité n’en est que plus évidente dans la mesure où le lien faible se fait le témoin d’un dialogue entre texte-source et texte-ajouté (Battles 2016). L’espace d’édition des liens faibles constitue de fait le lieu d’une sur-inscription, un palimpseste au sens « où l’on voit, sur le même parchemin, un texte se superposer à un autre qu’il ne dissimule pas tout à fait, mais qu’il laisse voir par transparence » (Genette 1982: 439). Comment, en étudiant la notion de lien faible, révèle-t-on une structure de type palimpsistique qui permet de repenser le modèle anthologique, mais également la transmédiation d’un processus du support papier au support numérique, de l’espace de la page à l’espace de l’écran ?

Les fondements théoriques du projet AP : l’Anthologie Palatine comme réseaux d’imaginaires

Le choix d’une édition numérique de l’Anthologie constitue une réponse aux défis éditoriaux — techniques ou théoriques — générés par l’objet d’étude dont la complexité philologique (plus de quatres sources identifiées, une seule copie du manuscrit consituant ainsi l’unique source des éditions), l’hétérogénéité constitutive (plus de 400 auteurs différents) et la structure (structure dialogique entre topoï) défient les structures éditoriales classiques. Dans le projet AP, l’Anthologie ne se conçoit plus comme « un objet clos, achevé, absolu » et parfait (Genette 1982), mais comme un objet littéraire dont la cohérence interne est dépositaire d’un réseau d’imaginaires.

Présentation du corpus

Le projet se fonde sur l’édition Loeb et Paton qui est un édition savante de l’Anthologie Palatine rendue disponible sur le site Perseus (un projet de banque de données en open access de la littérature grecque dirigé par Gregory Crane dont l’API moissonne les versions grecques). La CRCEN souhaite parvenir à la traduction et l’édition de l’ensemble des épigrammes de l’Anthologie à l’exception du dernier livre, le livre XVI, qui rassemble les épigrammes descriptives de Planude. L’édition de l’érudit Maxime Planude, l’Anthologie de Planude, offre une version censurée de l’Anthologie qui se distance donc d’un ton d’origine anthologique (Aubreton 1968) et qui pour cette raison n’a pas été intégré au corpus du projet.

L’Anthologie Palatine en tant que matériau textuel représente concrètement 3 698 épigrammes réparties sur 15 livres comme suit :

  • le livre I (120 épigrammes),
  • le livre II (1 épigramme de 416 hexamètres),
  • le livre III (20 épigrammes),
  • le livre IV (5 épigrammes),
  • le livre V (310 épigrammes),
  • le livre VI (355 épigrammes),
  • le livre VII (748 épigrammes),
  • le livre VIII (254 épigrammes),
  • le livre IX (827 épigrammes),
  • le livre X (126 épigrammes),
  • le livre XI (442 épigrammes),
  • le livre XII (258 épigrammes),
  • le livre XIII (31 épigrammes),
  • le livre XIV (150 épigrammes)
  • le livre XV (51 épigrammes).

Dans le cadre du projet, 580 épigrames ont à ce jour été traduites et éditées et sont désormais disponibles sur l’API et les autres plateformes du projet. Ces épigrammes sont majoritairement issues des livres IV, V, VI et VII. L’édition des épigrammes du livre II sont en cours de traduction et d’édition notamment par des lycées italiens partenaires du projet. Les épigrammes sont disponibles et éditables sur la plateforme Anthologia - pour les utilisateurs ayant créé un compte gratuit :

Structure de la page d’édition d’une épigramme dans Anthologia

La plateforme Anthologia présente à l’utilisateur et propose pour édition plusieurs types d’informations sur l’épigramme :

  • ses métadonnées (auteur, URI pour aller moissoner la version grecque depuis le site Perseus, des images du manuscrit) ;
  • son texte (versions en plusieurs langues et alignements de versions) ;
  • son enrichissement (mots-clefs thématiques, images, scholie, notes, références internes soit vers une autre épigramme, références externes vers un contenu étranger à l’Anthologie) ;
  • des informations concernant la création de l’épigramme et sa mise à jour sur la plateforme.

Certaines des épigrammes ont été organisées en parcours de lecture thématiques : à ce jour, 21 parcours de lecture sont proposés en lecture sur le site POP, la plateforme de visualisation des épigrammes éditées sur Anthologia.

L’Anthologie palatine, une co-construction éditoriale

Si les éditions scientifiques de l’Anthologie se fondent sur le Codex Palatinus 23, un manuscrit byzantin daté de 940 ap J.C.1 également disponible en ligne, il existe cependant une version qui lui est antérieure : celle établie en 900 après J.C. par Constantin Céphalas. Les recherches ont montré que cette deuxième source a été constituée à partir de trois sources principales connues : un recueil daté de 100 avant J.C. établi par Méléagre de Gadara (appelé la Couronne de Méléagre), un recueil établi par Agathias daté de 553 après J.C. (le Cycle d’Agathias de Myrina) et un recueil daté du Ier siècle avant J.C. établi par Philippe de Thessalonique (la Couronne de Philippe) (K. Gutzwiller 1997). Autre recueil s’ajoutant à cette généalogie philologique, celui de Simonide de Céos daté du Ve siècle av. J.C. constitue la source la plus ancienne de l’Anthologie. Dans ce labyrinthe philologique (Beta 2019), la Couronne de Méléagre constitue la première collection d’épigrammes réunies en un seul volume (Waltz 1928: XI) et s’impose donc comme le modèle canonique du genre littéraire anthologique. Or, bien que l’histoire permette de retracer un shéma de relations entre les versions composant l’Anthologie, il demeure l’écueil fondamental qui empêche toute réelle stemmatique : hormis le Codex Palatinus, aucune des sources anthologique précédemment citées n’est parvenue jusqu’aux philologues. De l’héritage anthologique, il ne reste aujourd’hui que deux manuscrits : le Codex Palatinus 23 et l’Anthologia Planudea2.

Ainsi, malgré l’institution d’une version comme source principale, l’Anthologie dans sa dimension éditoriale demeure une œuvre de composition3 et la somme d’évèments éditoriaux — de traductions, d’ajouts, de retraits ou de pertes successives par les compilateurs au cours de plus de seize siècles d’histoire. L’Anthologie demeure une co-construction dont la vérité se situe moins dans l’autorité d’une version que dans une somme de versions possibles. Cette conception de l’Anthologie, comme mouvement davantage que comme monument4, se retrouve dans la dimension collaborative du projet AP offrant à l’utilisateur la possibilité d’éditer des traductions et des versions grecques de l’épigramme5. À la différence du projet Perseus qui propose à l’usager une version unique de l’Anthologie, le projet AP propose un possible de version sans en établir aucune dans une autorité scientifique.

Structure de la couronne

Le corpus du projet AP est donc une co-construction dillatée sur seize siècles d’histoire éditoriale, résultat de série de compilations à partir d’éditions présentes et perdues, antiques et modernes, qui tentent chacune de rendre compte d’une perception du genre anthologique et de la forme épigrammatique grecque. À cette dimension de co-construction éditoriale correspond l’étymologie même de l’anthologie : en grec ancien ἀνθολογία — chez les Latins florilegium — désigne la couronne de fleurs tressé à partir de végétaux divers. C’est sur cette poétique de l’hétérogénéité — parfait témoin du processus de compilation éditoriale anomoiophore, ou rassemblement des disjoints — que se fonde l’Anthologie en structure et en sémantique6. Or, si le genre anthologique se conçoit comme un recueil d’exemplaires, en prose ou en vers, réunis autour d’une même caractéristique (thème, genre, style, auteur, etc.), il semble que l’AP déroge à cette règle anthologique7. L’Anthologie défie la notion d’unité éditoriale par une hétérogénéité pluridimensionnelle :

  • historique : les épigrammes de l’Anthologie Palatine couvrent la période allant du VIe siècle av. J.-C. au Xe siècle apr. J.-C. (Cameron 1993).

  • auctoriale : l’AP compte plus de cents auteurs différents dont Platon (épigramme 265 du livre VII), Sappho (épigramme 489 du livre VII), Asclépiades (épigramme 85 du livre V), Simonides (épigrammes 77 du livre VII), Mélégre (épigramme 182 du livre VII).

  • formelle : la forme poétique de l’épigramme n’est pas encore une forme stable et instituée dans les premiers recueils. C’est Méléagre de Gadara qui l’institue comme une pratique littéraire en insérant notamment des épigrammes de sa propre main dans son recueil (K. J. Gutzwiller 2007), certaines des épigrammes de l’Anthologie ne sont pas des épigrammes au sens poétique.

L’épigramme 7.249 de Simonides semble respecter entièrement le principe de l’épigramme étymologique (inscription gravée sur des monuments, les statues, les tombeaux et les trophées, pour perpétuer le souvenir d’un héros ou d’un événement) :

ὦ ξεῖν᾽, ἄγγειλον Λακεδαιμονίοις ὅτι τῇδε κείμεθα, τοῖς κείνων ῥήμασι πειθόμενοι.

Étranger, va dire aux Lacédémoniens que nous sommes couchés ici dociles à leurs ordres.8

L’épigramme 7.13 de Méléagre de Gadara resémantise l’épigramme en proposant de courtes poésies, reprenant la briéveté des inscriptions, mais davantage axées sur l’ingéniosité des images poétiques :

Παρθενικὰν νεαοιδὸν ἐν ὑμνοπόλοισι μέλισσαν Ἤρινναν, Μουσῶν ἄνθεα δρεπτομέναν, Ἅιδας εἰς ὑμέναιον ἀνάρπασεν. ἦ ῥα τόδ᾽ ἔμφρων εἶπ᾽ ἐτύμως ἁ παῖς. ‘βάσκανός ἐσσ᾽, Ἀίδα.’

Vierge abeille au chant neuf parmi les faiseurs d’hymnes, Érinna butinait les fleurs des Muses, quand Hadès la ravit pour l’hymen. Ah ! certes, elle avait dit vrai, la sage enfant : « Tu es un jaloux, Hadès ! »

L’épigramme 7.33 de Julianus semble rompre avec une tradition poétique de l’épigramme en se présentant davantage comme un dialogue court usant de mots d’esprit :

α. πολλὰ πιὼν τέθνηκας, Ἀνάκρεον. β. ἀλλὰ τρυφήσας: καὶ σὺ δὲ μὴ πίνων ἵξεαι εἰς Ἀίδην.

  • Tu as beaucoup bu, te voilà mort, Anacréon.
  • Mais j’ai beaucoup joui ; et toi aussi, ne buvant pas, tu viendras dans l’Hadès.9

On retrouve dans au sein d’un même livre de l’Anthologie, plusieurs poétiques de l’épigramme cohabitent, se répondent et se complètent.

La cohérence anthologique est donc moins affaire de similitude (thématique, auctoriale, formelle, etc.) que de dialogue entre épigramme : en couronne épigrammatique, l’anthologie tresse ses éléments autour de nœud (les topoï), générant ainsi un réseau de connivence d’imaginaires.

Réseau d’imaginaires

Refusant l’idée d’une vérité du texte, le projet AP se propose de rendre compte de l’imaginaire anthologique soit de « rendre compte de la place que [l]es textes [anthologiques], dans toutes leurs manifestations, ont eu et continuent à avoir dans l’imaginaire collectif » (Vitali-Rosati 2017). S’inspirant du principe d’intelligence collective (Lévy 1994) - intelligence « partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences » (1994, 29) -, Vitali-Rosati propose la notion d’imaginaire collectif pour retranscrire les dynamiques d’association et d’appropriation transhistoriques de contenus classiques. L’imaginaire collectif comme l’intelligence collective est un commun fondé sur une dynamique continue de partage de savoirs en réseaux10. Affirmant que la structure du média numérique (Internet conçue comme une autoroute où le Web circule) propose des espaces et outils permettant et même sublimant cette dynamique de partage et de co-construction (1994, 33), la structure numérique du projet AP (une API en libre accès et éditable, une plateforme de visualisation des connaissances éditées communément) poursuit l’idée d’une structure réticulaire de l’information, celle d’une cinécarte (Lévy 1994). Pensée comme une « cartographie de l’Espace du savoir » (1994, 183), la cinécarte rend possible une navigation hyperliée, fluide soit constamment mouvante, et transhistorique entre les différents contenus ajoutés par le collectif.

L’imaginaire anthologique est ainsi d’autant plus évident dans la structure en réseau du numérique : le collectif de cette capacité de se donner sur le mode de la représentation une chose et une relation qui ne sont pas passe par une structure réticulaire. La pensée de l’imaginaire collectif est ce qui fonde la présence des liens faibles et leurs autorités : les liens faibles se proposent alors comme des témoins au-delà d’un contexte natif des sources de leurs influences intemporelles. La notion d’imaginaire collectif est ce qui fonde la présence des liens faibles et leurs autorités : organisés en un réseau de sens à l’insu du corpus anthologique, les liens faibles permettent de constitue une force de lien entre les communautés (Florence Giust-Desprairies) autour d’un objet textuel commun.

La continuité anthologique se mesure par la résonnance du topos : existant dans la répétition ou l’occurence plurielle et non dans un texte seul, le topos se fait le motif d’une relation entre les épigrammes, et ainsi lie une structure d’ensemble de l’Anthologie en un réseau. Le topos de la catabase se retrouve notamment au fil du livre VII et notamment le motif du cerbère que l’on retrouve dans les épigrammes suivantes de Julianus :

  • Épigramme 7.69 :

Κέρβερε δειμαλέην ὑλακὴν νεκύεσσιν ἰάλλων, ἤδη φρικαλέον δείδιθι καὶ σὺ νέκυν: Ἀρχίλοχος τέθνηκε: φυλάσσεο θυμὸν ἰάμβων δριμύν, πικροχόλου τικτόμενον στόματος. οἶσθα βοῆς κείνοιο μέγα σθένος, εὖτε Λυκάμβεω νηῦς μία σοι δισσὰς ἤγαγε θυγατέρας.

Cerbère, qui lances aux morts ton aboiement éprouvantable, à ton tour d’avoir peur, toi, d’un mort effrayant. Archiloque est trépassé : gare à l’âpre colère des iambes qu’engendre une bouche amère de fiel. Tu as de sa clameur appris à connaître le grande force, lorsqu’un même bateau t’amena les deux filles de Luycambès.

  • Épigramme 7.70 :

νῦν πλέον ἢ τὸ πάροιθε πύλας κρατεροῖο βερέθρου ὄμμασιν ἀγρύπνοις τρισσὲ φύλασσε κύον. εἰ γὰρ φέγγος ἔλειπον ἀλυσκάζουσαι ἰάμβων ἄγριον Ἀρχιλόχου φλέγμα Λυκαμβιάδες, πῶς οὐκ ἂν προλίποι σκοτίων πυλεῶνας ἐναύλων νεκρὸς ἅπας, φεύγων τάρβος ἐπεσβολίης;

Maintenant plus qu’auparavant, garde, triple chien, les portes du puissant abîme et que tes yeux soient sans sommeil. Car si, pour échapper à la bile sauvage des iambes d’Archiloque, les filles de Lycambès renoncèrent à la clarté, comment ne verrait-on pas, franchissant les portes du séjour ténébreux, les morts jusqu’au dernier fuir l’affre de son attaque ?

Cette proximité thématique entre plusieurs épigrammes traitant de la catabase, du nocher ou des Enfers a permi la constitution d’un parcours de lecture Traversée vers la mort.

L’esprit anthologique est à chercher dans les liens, établis et à établir, entre les épigrammes, liens fondés sur des imaginaires communs. Le motif du carpe diem, présents dans les épigrammes hellénistes (notamment ceux d’Asclépiade11), est une locution latine issue d’un poème d’Horace (Odes, I, 11) traduite en français par la formule « cueille le jour présent sans te soucier du lendemain » (intégrant ainsi la suite de la sentence horacienne quam minimum credula postero). Devenu maxime épicurienne, l’impératif se retrouve par la suite en poésie (Ronsard et ses Sonnets pour Hélène, Laurent de Médicis dans « Le Triomphe de Bacchus et Ariane »), en chanson (de Georges Brassens dans « Saturne », à Mc Solaar, jusqu’à Metallica) (Vitali-Rosati 2017), en cinéma (dans le film de Peter Weir Dead Poets Society), mais s’incarne également au sein d’autres types d’objets puisque c’est un motif de cadrans solaires, d’architecture (la tour Carpe Diem dans le quartier de La Défense à Paris) comme de tatouage. Le topos du carpe diem peut donc être abordé comme une dynamique de réseau entre ces divers éléments constitutifs d’un imaginaire commun et intemporel.

L’objectif d’une restitution de l’imaginaire anthologique qui est au cœur du projet AP doit cependant se faire en refusant toute système de hiérarchisation de contenus : toute interprétation et toute réception du texte, soit toute résultat d’une appropriation anthologique par l’usager, constitue un révélateur, un témoin de l’imaginaire anthologique. Chaque niveau de l’édition retranscrit un témoignage d’une intemporalité du contenu anthologique, mais le lien faible concentre la volonté du projet d’une réappropriation libre d’un contenu classique.

Il ne s’agit plus ici de comprendre le lien faible comme un type de relation sociale d’un individu (bridging ou contact occasionnel avec d’autres individus issus d’un cercle social différent de part notamment ses centres d’intérêt) s’opposant au lien fort (bonding ou l’entourage proche avec lequel sont entretenus des rapports fréquents) dans les théories de l’information et des communications dans le contexte des réseaux sociaux (Granovetter 1973; Casilli 2010). La thèse de Casilli, affirmant que ce sont les liens faibles qui assurent la force et le maintien d’une structure sociale au sein des liaisons numériques (2010), est ici remédiée à un contexte culturel et au cas d’étude du projet : la force de la structure anthologique est fondée sur la possibilité d’associations libres et décontextualisées permises par l’édition numérique.

La structure de cette théorie demeure dans le cadre du projet : les liens forts auraient été des associations de l’Anthologie Palatine à des corpus contemporains appartenant au même cercle de proximité contextuelle justifiés par un passé commun (phénomène de la chambre d’écho), les liens faibles constituent un hors de ce contexte anthologique dans la mesure où ils ne correspondent pas directement d’un temps ou d’un lieu commun au corpus anthologique mais sont justifiés le témoignage d’un impact.

Ainsi, il ne s’agit pas de mesurer ou d’évaluer les liens faibles proposés par l’usager, pour déterminer leurs pertinences vis-à-vis de l’épigramme, mais de considérer que tout lien faible (de celui du classiciste à l’amateur) est une émergence de l’imaginaire anthologique et donc de son identité. Considérant le sens anthologique comme émergeant du processus d’association libre et populaire, d’un recouvrement du matériau antique par une édition actuelle, le projet AP présente l’Anthologie non plus comme une œuvre close, mais fondamentalement ouverte et destinée à être « grattée » soit une « œuvre-palimpseste » dans la mesure où elle se reconstruit perpétuellement, tout en gardant l’historique et l’historicité des traces anciennes. Les imaginaires anthologiques fondent ce que nous connaissons en tant qu’objet éditorial, et sont structurés par des liens entre les topoï, des liens entre les textes, ce qui peut donc être étudié comme des dynamiques intertextuelles (Vitali-Rosati 2017).

Les liens faibles : édition des textualités

La dimension intertextuelle de l’Anthologie peut rappeler le sens premier du terme « texte » : emprunté au latin textus, le terme désigne littéralement « ce qui est tramé, tissé » en tant que substantivation du participe passé passif de texere, « tramé, enlacé ». Ce sens se retrouve dans le terme de texture, qui, s’il désigne dans un premier lieu un tissu, peut être rapporté à l’agencement des parties d’un texte, d’un discours. Cette étymologie amène à considérer qu’un texte (comme une œuvre) n’est jamais reployé sur sa propore singularité : il est ouvert au-dedans et au-dehors de lui-même par un réseau stratifié de relations par lesquelles il intègre d’autres textes (Delaplace 2012). Ces dynamiques de relations d’un texte à l’autre ont été l’objet des théories genettiennes sur la littérature comme palimpseste (1982).

Hypertextualité

Bien que pouvant être associé au commentaire — de par la dimension universelle d’appropriation —, le lien faible ne relève pas de la métatextualité (comme relation critique Genette 1982: 15), dans la mesure où il est un agent actif dans l’édition des épigrammes : il est conçu et pensé comme participant pleinement de identité anthologique et en soit se rapproche davantage des notions d’hypertextualité, d’intertextualité et de transtextualité.

L’hypertextualité de l’AP provient de son héritage, soit d’une dérivation de textes antérieur, appelés hypotexte, par action de transformation simple ou indirecte :

[hypertextualité :] toute relation unissant un texte B (que j’appellerai hypertexte) à un texte antérieur A (que j’appellerai, bien sûr, hypotexte) sur lequel il se greffe d’une manière qui n’est pas celle du commentaire. (Genette 1982: 16)

Parce qu’il est relation entre textes, l’hypertexte invite à ce que Philippe Lejeune appelle une lecture palimpsestueuse, soit une lecture des deux textes comme cohérence (Genette 1982: 440). Le lien faible peut dans ce schéma constituer un hypertexte à l’hypotexte anthologique dans la mesure où sa texture peut être conçue comme une dérivation : il est de fait témoin d’une influence du topos sur les arts, il s’inscrit ainsi dans la continuité d’un imaginaire commun, mais il se définit également par une « duplicité », soit une double dimension « d’accomplissement intellectuel et de divertissement » (Riguet 2017, 2017: 7). En effet le lien faible permet dans le cadre d’une étude littéraire de révéler de possibles structures anthologiques, tout en conservant une dimension ludique du linkage (ou hyperliens)

On peut également remarquer la coexistence d’une seconde acception d’hypertexte dans le dispositif technique des liens faibles : parce que son fonctionnement au sein du projet est fondé sur le renseignement d’hyperliens, le lien faible fonde sa présence sur la notion d’hypertexte numérique (terme institué par Ted Nelson en 1965 avec le projet Xanadu, (Angé et Leriche 2008)). L’hypertexte de Nelson désigne un réseau constitué par un ensemble de documents numériques de type littéraire (originaux, citations, annotations) liés entre eux via une adresse HTTP.

Capture d’écran du dispositif de renseignement d’un lien faible

Le renseignement d’un lien faible ou external reference requiert deux types d’informations : un titre de la référence et un hyperlien pour moissoner à la source de la référence et la visualiser dans la POP. Le lien faible est un contenu hypertextuel, témoin d’un imaginaire anthologique que l’on peut définir comme hyperlié.

Cette perspective d’hypertextualité des liens faibles induit cependant soit un rapport hiérarchique et chronologique qui fait ainsi de l’imaginaire anthologique le produit d’un parcours temporel et donc la matière à une étude historique dans le sens genettien, soit une restriction à un type de document (littéraire) dans le sens nelsonien. Or, dans le cadre du projet, l’association de lien faible se parfait davantage dans une dimension d’alignement des sources, un co-enrichissement sans structure de filiation, et une ouverture transdisciplinaire de la nature des sources : les liens faibles participent de l’imaginaire anthologique au même titre que les épigrammes et peuvent être non-littéraires.

Intertextualité

L’intertextualité, définie par Genette comme « une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes », retranscrit la pensée d’une commune valeur des liens faibles. La coprésence de Genette est ici éidétique : la relation se situe donc entre les idées des textes. En ceci, l’intertextualité genettienne considère les membres de la relation dans une dimension de synchronie, non pas en reniant leur historicité, mais en envisageant celle-ci sous forme de liens en perpétuelle circulation, en perpétuel prolongement. L’intertextualité permet d’associer le lien faible à la structure de réseau et à une notion de durée, davantage qu’à une structure généalogique et à une notion d’héritage (hypertextualité)12. Parmi les formes présentées par Genette (la citation, le plagiat comme chez Lautréamont), celle qui correspond le mieux au lien anthologique est certainement la forme la moins explicite et littérale dans la pensée genettienne, à savoir celle de l’allusion : « un énoncé dont la pleine intelligence suppose la perception d’un rapport entre lui et un autre auquel renvoie nécessairement telle ou telle de ses inflexions, autrement non recevable » (Genette 1982: 13). Cette notion d’intelligence dans le relation intertextuelle n’est pas sans rappeler la notion d’intelligence collective (Lévy 1994) qui fonde la pensée d’une édition collaborative, mais également le choix de ne pas émettre de contrôle sur les liens faibles.

Capture d’écran d’une épigramme dans la POP

Les liens faibles viennent s’ajouter en bandeau latéral en bas de la page consacrée à l’épigramme : l’utilisateur peut faire défiler cette bande à l’infinie, il n’y a donc pas non plus de contrôles en termes de nombres de liens faibles. Considérant la dynamique d’imaginaire collectif comme infinie et continuelle, l’utilisateur est en mesure d’enrichir infiniment l’épigramme en y associant des références, et ainsi de perpétuer l’imaginaire anthologique.

La dimension active du lectorat dans la relation intertextuelle se retrouve également dans la définition de Riffaterre : « L’intertexte est la perception, par le lecteur, de rapports entre une œuvre et d’autres qui l’ont précédée ou suivie » (1979: 4)13. Or, à la différence de l’intertextualité genetienne, la pensée de Riffaterre définit l’intertextualité relevant presque exclusivement de microstructures sémantico-stylistiques, toujours liée à l’espace syntaxique de la phrase ou du fragment. L’intertextualité genetienne présente cet avantage de concevoir le lien au-delà d’une figure ponctuelle du détail, mais amène l’espace d’action de l’intertextuelle à la dimension d’ensemble d’une œuvre, conçue dès lors comme une structure de relations à l’interne mais également à l’externe de son territoire. Cette perspective rejoint notamment les recherches de H. Bloom sur les mécanisme d’influence entre textes et œuvres qui peuvent être identifiés par une pensée de la matière littérare comme intertextuelle (Genette 1982: 14). Les liens faibles parce qu’ils permettent de lier des textes littéraires aux épigrammes anthologiques, amènent à penser et visualiser l’intertextualité de l’Anthologie. Or, ces liens proposés par l’usager peuvent invoquer d’autres structures d’inscription que la textualité et ainsi générer des liens relevant davantage d’une transtextualité.

Transtextualité

Hypertextualité et intertextualité appartiennent, dans la pensée genetienne, à la transtextualité de la littérature, compris comme un aspect de la textualité et de la littérarité (Genette 1982: 20-21). En tant que transcendance textuelle, la transtextualité permet d’inclure les relations entre textes (hypertextualité et intertextualité) ainsi que les relations entre un texte et une extratextualité (qui n’est que mentionnée par Genette, 1982: 18, note 10). Les liens faibles, parce qu’ils se fondent sur un geste d’association libre — c’est-à-dire sans limitation au vu de la forme, de la source, ou du contenu de la référence — peuvent être autant des hypertextes, des intertextes ou ne pas être des textes, et pourtant participer d’une relation de transtextualité avec l’épigramme source.

Pour une même épigramme (ici l’épigramme 7.68 qui présente la figure de Charon), les liens faibles peuvent être du contenu textuel et littéraire :

Lien faible à La Divine Comédie (III, 14) de Dante

du contenu vidéo et cinématographique :

Lien faible à Orphée de Jean Cocteau (1950)

du contenu pictural :

Lien faible à Charon crossing the Styx de Joachim Patinir (1520-1524)

du contenu musical :

Lien faible à la chanson The Sail of Charon de Scorpions (1977)

du contenu graphique animé :

Lien faible au GIF Art windsurfing GIF par Scorpion Dagger

La possibilité d’associer l’épigramme à un hors-texte rend compte de l’imaginaire anthologique qui n’est pas limité à la textualité et l’écriture. La transdisciplinarité fondamentale des liens faibles est conjointe d’une accessibilité : les liens faibles, parce qu’ils peuvent être le produit de quiconque, parce qu’ils peuvent se présenter comme des références directes (la reprise claire d’un topos) comme indirectes (l’appropriation de ce topos dans un évènement personnel), se situent au-delà des critères d’objectivités (Vitali-Rosati 2017). Dans le lien faible, en réalité, compte moins le contenu associé que le geste de l’association, opérant un recouvrement du matériau antique par une édition actuelle. La transtextualité est donc aussi le propre du texte source dans la mesure où, bien que recouvert par le lien faible, il demeure, et transcende ce geste palimpsistique. La figure du palimpseste, utilisé chez Genette comme une métaphore-modèle pour illustrer et unir sous une même image les différents schémas de textualités de la littérature, devient ici réelle et concrète en tant que gestuelle, procédant d’une action sur le support, numérique mais matériel, d’édition.

Palimpseste intermédial

Le palimpseste, qui avait un rôle de métaphore illustrative dans les théories de la textualité, recouvre une pleine dimension de processus dans une dimension intermédiale et amène à penser les liens faibles du projet AP en terme d’herméneutique des supports afin de comprendre les liens entre dimensions matérielles et discursives.

Matérialité des liens faibles

Si le geste d’association d’un lien faible à une épigramme relève d’un dimension textuelle, il implique également de penser la matérialité du support en ce qu’elle invoque, en plus d’un rapport au texte, une gestuelle permettant une sur-inscription dans l’espace éditorial de l’épigramme anthologique qui rend le lien effectif. Autant que les relations transtextuelles, la matérialité de l’inscription (Christin 1995) participe d’une construction de sens : « Il ne faut pas croire que les matérialités ou les formes institutionnelles de [la] transmission soient sans nul effet sur les idées et les discours : l’étanchéité des deux est loin d’être évidente » (Méchoulan 2010: 17). Ainsi les liens faibles, matérialité tissée entre des textes dans le temps, en tant que geste d’inscription influe sur l’imaginaire autant qu’il le retranscrit. En ce sens, le lien faible se présente alors comme une strate de la réalité identitaire anthologique (Vitali-Rosati 2015).

Capture d’écran d’un lien faible de l’épigramme 7.69 travaillée dans le code source pour permettre la vue des deux strates de la page : la page de visualisation de l’épigramme et la page de visualisation du lien faible

La visualisation des liens faibles (ici le lien faible à Cerberus de William Blake) se pose en avant de la page-identité de l’épigramme (ici l’épigramme 7.69). Le dispositif de participation à l’imaginaire anthologique est ainsi un dispositif de strates.

Par l’action d’une sur-inscription, le lien faible fait correspondre le geste du palimpseste avec la production d’une nouvelle matérialité du support : “Writting is always palimpsestic; ther is no setting-down that is not setting-among, a setting-upon” (Battles 2016: 62). Ce geste se double d’une dimension palimpsistique concrète : le renseignement du champs destiné au lien faible est opéré de manière manuscrite, par l’action des mains, des doigts de l’utilisateur sur le support écrivant (l’ordinateur)14.

Plutôt que de considérer l’ensemble (lien faible et texte source) comme un troisième texte (le premier texte étant la source anthologique, le deuxième étant la référence ajoutée), l’ensemble de la relation amène à une nouvelle médiation de l’imaginaire anthologique, une nouvelle relation intermédiale : “As we know, the palimpsest never fully effaces what has been scribbled before but intimately puts new words into play with the old” (Battles 2016: 70). C’est en considérant le palimpseste comme une relation de jeu entre deux inscriptions, et donc par une perspective intermédiale – comme herméneutique des supports et des relations entre les supports – que l’espace numérique du lien faible, le champs éditable et la page visualisant le lien édité, deviennent un lieu potentiel du palimpseste. En ceci la définition genetienne de la littérature comme second degré rejoint la conception de la littérature comme mouvement d’interconnections, comme un agencement « en connexion avec d’autres agencements » (Deleuze, Guattari, et Deleuze 1980: 10).

Code-Palimpseste

Le projet AP se fonde essentiellement sur deux espaces : l’espace de l’API, base de données éditables où l’usager peut intervenir (éditer le texte et les métadonnées de l’épigrammes ainsi que les liens faibles) ; et l’espace de visualisation des données de l’API sur la Plateforme ouverte des parcours de lectures (la POP). Ces espaces fondent leurs structures sur du code : permettant les fonctionnalités de renseignement, d’enregistrement et d’affichage des liens faibles. Conçu comme textualité matérielle, il agit dès lors comme un agent du processus palimpsistique. Parce qu’il est une inscription en-deçà du visible et qu’il conditionne la page finale, le code constitue “a movable palimpsest, animated and articulate, the deeper layers of which undergird, energize, and enable the expressive surface” (Battles 2016: 79).

Participant de la remédiation du matériau anthologique sur le support numérique, le code retranscrit dans le processus de renseignement des liens faibles un geste analogue à celui situé à l’origine du palimpseste. Le geste de grattage devient un geste de clic : le clic de l’usager l’amenant à la page pour entrer les liens faibles efface momentanément l’espace de l’épigramme pour propose un nouvel espace, vierge mais non vide dans la mesure où le contexte de l’épigramme demeure sous-jacent et identifiable.

Capture d’écran de la page d’édition d’un lien faible pour l’épigramme 7.59

L’affichage du lien faible renseigné par l’usager sur la POP suit une structure de strate analogue :

Capture d’écran d’un lien faible de l’épigramme 7.68 travaillée dans le code source pour afficher les trois strates de la page : la page du code source, la page de visualisation de l’épigramme et la page de visualisation du lien faible

Cette visualisation, générée à partir de jeux de transparence, permet de comprendre la construction de la page d’affichage du lien faible dans une dynamique de strates. Les stratéfications de la page anthologique, si elles demeurent, ne sont plus directement visibles, il s’agit ici d’un palimpseste triple : d’abord une page de code, puis la page d’interprétation de ce code, et, placée entre, la page de contexte de l’épigramme. Les options “Inspect Element (Q)” qui conserve les deux pages dans un rapport d’encadrement ou encore “View Page source” qui mène directement à la page auparavant en cache opèrent comme des rayons ultraviolets en ce qu’elle révèle les strates sous-jacentes. Le palimpsest fonctionne ainsi dans un réseau de supports mêlées.

La question de la pérennité

Le modèle du palimpseste, parce qu’il mêle trace et cache à l’image d’un ourobouros, est lié à la question de la perennité15 de l’inscription, donc à sa matérialité. Nous proposons ici un parallèle à la théorie de la rémanence freudienne, qui présente, d’un point de vue métaphorique, cette question de la matérialité de la mémoire. À partir de la métaphore de l’ardoise magique, Freud développe un modèle pour rendre compte des liens entre perception et mémoire au sein de l’esprit humain. Il explique le processus de mémorisation et le phénomène de rémanence : l’ardoise magique se présente comme un espace d’inscription à l’infini, permettant l’effacement de l’inscription sur la surface visible, tout en conservant, dans une strate inférieure et cachée, les inscriptions passées16. C’est cette même structure en strates que l’on peut retrouver dans le principe du palimpseste : les gestes d’inscriptions qui le définissent (au minimum deux pour qu’il y ait palimpseste) sont des gestes de matière, divisant le médium ou support en plusieurs niveaux d’écriture et de lecture, dès lors de conservation. Ainsi en impossible tabula rasa17, “a trace always remains — beneath the superficiall layers, down in the dark wax, there remembered inscriptions mingle indelibly” (Battles 2016: 8).

Ce qui demeure dans le geste d’effacement, la première inscription devenant rémanence, propose de comprendre le palimpseste, moins dans une dimension de perte d’une matière textuelle, que comme un processus de pérennisation d’une inscription et en soit de la littérature dans ses manifestations :

Cependant, comment parler de ces textes qui « durent » sans en escamoter la singularité justement ? Comment décrire des continuités qui ne sourdent pas des œuvres comme si elles s’y trouvaient d’office incluses ? […] C’est la notion de « rémanence » qui fait la jonction : Dire que les énoncés sont rémanents, ce n’est pas dire qu’ils restent dans le champ de la mémoire ou qu’on peut retrouver ce qu’ils voulaient dire ; mais cela veut dire qu’ils sont conservés grâce à un certain nombre de supports et de techniques matériels (dont le livre n’est, bien entendu, qu’un exemple), selon certains types d’institution (par bien d’autres, la bibliothèque), et avec certaines modalités statutaires (qui ne sont pas les mêmes quand il s’agit d’un texte religieux, d’un règlement de droit ou d’une vérité scientifique). (Méchoulan 2010: 20)

Le lien faible correspond à cette dynamique, certes paradoxale, de conservation par retrait, en ce que le geste de recouvrement de l’épigramme permet une révélation de son identité textuelle et matérielle. Cette conception du palimpseste est concomittente d’une dimension collaborative dans la mesure où il s’agit d’impliquer une écriture, un action de rémanence — autre face — ou le repli — d’un présent en train de s’effacer (Méchoulan 2010: 21) — d’un autre pour assurer une pérennité de l’Anthologie.

Conclusion

Dans le projet AP, l’imaginaire anthologique est affaire d’édition collaborative et vivante, soit se réalisant continuellement dans une dynamique éditoriale commune de recouvrement successif. Ainsi la notion de lien faible permet de considérer le lieu numérique non plus comme un outil proposant de restaurer le premier texte d’un manuscrit palimpseste, mais comme l’espace de création de nouvelles dynamiques de palimpseste. Le texte anthologique, remédié au support numérique, devient un support matériel et conceptuel destiné à des recouvrements infinis. C’est en ce sens que la dynamique du palimpseste, dans le cadre de ce projet, se présente autant comme un modèle de sur-inscription qu’un modèle de relation intermédiale.

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  1. En ceci, la définition de la littérature portée dans le projet AP correspond à la pensée genettienne de la littérature au second degré.↩︎

  2. Compilation byzantine du XIIIe siècle (Aubreton 1968) de Maxime Planude reprenant le manuscrit de Constantin Céphalas, et préservée dans un manuscrit autographe conservé à Venise (Marc. gr. 481, de 1299), et deux apographes révisés en 1300 ou 1305 sous la supervision de Planude — l’un se trouvant à Londres (B.M. Add. 16409) et l’autre à Paris (B. N. gr. 2744).↩︎

  3. Aux quinze livres issus du Codex Palatinus 23, les éditeurs (notamment l’édition de Loeb en 1916 par Paton et l’édition des Belles Lettres de Waltz en 1927) ont ajouté le tome XVI qu’ils ont désigné sous le titre d’Appendix Planudea.↩︎

  4. « Personne ne sait tout, tout le monde sait quelque chose, tout le savoir est dans l’humanité » (Lévy 1994, 29).↩︎

  5. Versions qui viendront s’ajouter à la version établie qui est celle de Loeb, collectée à partir de la plateforme Perseus.↩︎

  6. Dans le proème de sa couronne — au début du livre IV du Codex Palatinus 23 — Méléagre de Gadara liste les poètes en les associant chacun avec une fleur identitaire : « Μοῦσα φίλα, τίνι τάνδε φέρεις πάγκαρπον ἀοιδάν; / ἢ τίς ὁ καὶ τεύξας ὑμνοθετᾶν στέφανον; / Ἄνυσε μὲν Μελέαγρος, ἀριζάλῳ δὲ Διοκλεῖ / μναμόσυνον ταύταν ἐξεπόνησε χάριν, / πολλὰ μὲν ἐμπλέξας Ἀνύτης κρίνα, πολλὰ δὲ Μοιροῦς / λείρια, καὶ Σαπφοῦς βαιὰ μέν, ἀλλὰ ῥόδα. » (“To whom, dear Muse, do you bring these varied fruits of song, or who was it who also wrought this garland of poets? The work was Meleager’s; he produced this gift as a keepsake for the illustrious Diocles. He wove in many red lilies of Anyte, and many white lilies of Moero; a few of Sappho, but they are roses.” (W. R. Paton 2014: 175))↩︎

  7. À la différence par exemple de l’Anthologie latine qui contient essentiellement les écrits de poètes composés en Afrique romaine au VIe siècle.↩︎

  8. Exception faite des dispositifs pour mal-voyants qui ne sont pas prévus dans le projet.↩︎

  9. Cette épigramme fait partie du parcours de lecture Banquet qui réunit de courtes épigrammes, comme des bribes de conversations lors d’un festin.]↩︎

  10. « Personne ne sait tout, tout le monde sait quelque chose, tout le savoir est dans l’humanité » (Lévy 1994, 29).↩︎

  11. Exemple l’épigramme 7.217 où le motif de la fleur est associé à l’âge de la jeunesse : « Ἀρχεάνασσαν ἔχω, τὰν ἐκ Κολοφῶνος ἑταίραν, / ἇς καὶ ἐπὶ ῥυτίδων ὁ γλυκὺς ἕζετ᾽ Ἔρως. / ἆ νέον ἥβης ἄνθος ἀποδρέψαντες ἐρασταὶ / πρωτοβόλου, δι᾽ ὅσης ἤλθετε πυρκαϊῆς. » (« Je (con)tiens Archéanassa, la courtisane de Colophon. Sur ses rides même siège [siégeait ?] le doux Éros. Ô vous amants qui avez cueilli la fleur fraîche de sa jeunesse, les premiers frappés, à travers quel bûcher êtes-vous passés ! ». Voir en ligne.↩︎

  12. En ceci, la définition de la littérature portée dans le projet AP correspond à la pensée genettienne de la littérature au second degré.↩︎

  13. Cette perception correspond dans la pensée genettienne à ce qu’il nomme comme transtextualité.↩︎

  14. Exception faite des dispositifs pour mal-voyants qui ne sont pas prévus dans le projet.↩︎

  15. Le projet de Joachim Séné se conçoit comme un palimpseste numérique : à mesure du temps et des visites, la page s’opacifie et le texte n’est plus lisible, c’est le phénomène qu’il appelle patine numérique.↩︎

  16. Cette réflexion liant mémoire et structure de strates communicantes se retrouve également dans le projet Memex (ou memory extender) de Vannevar Bush, projet de liaisons de documents au sein d’un même objet (Bush 1996) qui participera à la notion de navigation hypertextuelle de Ted Nelson.↩︎

  17. Le modèle de l’ardoise magique rappelle en effet la métaphore platonicienne de la tabula rasa pour désigner le rôle de la mémoire : à savoir l’hypothèse socratique qu’il y a dans nos âmes des « tablettes de cire, plus grandes en celui-ci, plus petites en celui-là, d’une cire plus pure dans l’un, dans l’autre moins, trop dure ou trop molle en quelques-uns, en d’autres tenant un juste milieu » (Platon et Narcy 2016: 191c-d).↩︎