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Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public

1 – TITRE : Penser la notion d’oeuvre numérique littéraire : ontologie en réseau, littérarité intermédiale et pensée de la matérialité du support

Je souhaite avant toute chose remercier l’association pour l’obtention de cette bourse et pour l’occasion de présenter mes questionnements, mes angoisses aussi, de recherches dans un évènement aussi riche en projets qu’en cerveaux.

Je fais ma thèse avec Marcello Vitali-Rosati au département de littératures en langue française à l’université de Montréal en cotutelle avec Bruno Bureau de l’Université Jean Moulin Lyon III.

Depuis le début de mon doctorat en septembre 2018, mon projet a certes évolué, changeant de corpus, d’orientation, de contours en fait, mais il demeure une même ligne, à savoir penser une poétique de la littérature qui serait transhistorique et intermédiale. La même question semble résister au coeur des préoccupations de beaucoup : le peut-être naïf et parfois angoissant Qu’est ce que la littérature ?

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ça c’est de la littérature, ça aussi, ça également

qu’en est-il de ça ? ça ? et ça ?

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autre anecdote :

Au Japon, Une intelligence artificielle a presque remporté un prix de littérature pour un ouvrage presque autobiographie intitulé : “Le jour où une machine a écrit une nouvelle”.

tandis qu’un peu plus loin, dans un autre lieu,

En France, François Bon, intelligence bien humaine, qui a publié 3 000 articles depuis la mise en ligne du Tiers Livre ce qui fait un rythme d’un article et demi par jour, lui perd son statut officiel d’auteur parce qu’il n’a pas assez publié - sous format papier.

Qu’elle est cette littérature qui institue un robot comme écrivain, et destitue un humain ?

La question de la littérature, de ses contours, de ses écrivans se pose donc ou se reposer face au développement des nouveaux médias, face aux phénomènes web d’une appropriation de geste de création, de geste de structuration et de geste de diffusion qui trouble la frontière entre pro et amateur, entre humain et non-humain, entre officiel et moins officiel, entre légitime et hacker. Alors si la dimension de l’auctorialité des productions numériques, la question des droits d’auteur, investie cet espace; je m’oriente vers une autre question, trop générale encore, celle attachée au support : quelle littérature pour le numérique ? quel numérique pour la littérature ?

Il me semble possible et intéressant, et c’est là une première partie d’hypothèse autant pour le possible que pour le intéressant, de penser la littérature davantage comme un rapport au support qu’un rapport au texte, donc davantage dans la perspective intermédiale qu’intertextuelle.

Et cette première perspective est, vous l’aurez sûrement compris, motivée par un désir intellectuel d’intégrer dans une continuité littéraire les nouvelles écritures, de proposer une poétique qui fasse le lien entre tradition de l’imprimé, et évolution numérique soit de co-joindre littéracie numérique et littérarité.

Pour que les Bon-écrivains puissent demeurer auteurs dans le futur numérique Mais également pour proposer une alternative à une conception de la littérature centrée autour du texte et du support-livre qui apparaît incapable d’inclure les nouvelles propositions du numérique, les marginalisant.

J’ai pu remarquer notamment ce hiatus en étudiant la pensée genettienne consacrée à une ontologie de l’oeuvre littéraire, entre transcendance et immanence, dont les différents systèmes d’existence je les résume ici :

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À ces modes d’existence, Genette en ajoute un autre :

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Cette perspective textocentrée (le fait de situer l’essence de l’oeuvre littéraire dans les textes, les relations entre les textes et le monde où les textes sont intégrés) me semble problématique dans la mesure où elle sépare contenu et forme, et pose le livre comme support exclusif du littéraire.

la littérature numérique et/ou électronique - appellation en réalité sujette à débat - qui est définie notamment par Gilles Bonnet comme l’« ensemble des créations qui mettent en tension littérarité et spécificités du support numérique » (bonnet?). Ces nouveaux objets interrogent non seulement la légitimité de l’emploi de certaines notions de la théorie littéraire (entre autres celles d’hypertexte (saemmer?), d’architexte (souchier?) comme pivot de l’exécution du texte à l’écran, ou d’écranvains (bonnet?)), mais également leur cohérence logique dans l’espace de nouvelles écritures hors-livre.

alors j’avais pensé un autre système d’existence de l’oeuvre littéraire : celui réticulaire entre différent supports, qui donc ne reprend pas un principe de version : celui-ci

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Éclatement total de Genette mais cela me semble trop radical…

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Alors plutôt qu’adopter un point de vue ontologique, le qu’est ce que ?, je souhaite adopter une perspective poétique, le comment ?, d’où l’obsolescence grandissante de mon titre de thèse.

Je propose dans ce projet d’inscrire la littérarité dans une matérialité de son support. Considérant qu’un contenu ne peut exister sans support d’inscription amène à penser le support comme un actif dans le geste littéraire.

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Mon corpus peut donc sembler aléatoire, dans la mesure où il rassemble des oeuvres qui me semblent poser la question de la matérialité du littéraire, qui semble procéder à une herméneutique des supports dans leurs structures comme :

Queneau, Raymond. 1985 [1961]. Cent mille milliards de poèmes. Paris: Gallimard. se proposant ainsi comme un hypertexte avant le numérique

et

Savelli, Anne. 2007-2009. Fenêtre Open Space. En ligne : http://fenetresopenspace.blogspot.com/. son organisation par ramification de supports (support papier, audio, vidéo) participant d’une dynamique éditoriale intermédiale

et le Tiers Livre de François Bon, par son antéchronologie aléatoire

dans un objectif d’édition et de diffusion d’une littérature l’actualisant et la remédiant comme dans les projets :

Dord-Crouslé, Stéphanie. 2007. Les Dossiers Bouvard et Pécuchet. En ligne : http://www.dossiers-flaubert.fr/. propose à l’usage de d’éditer son propre volume de l’oeuvre inachevée de Flaubert

Hyperdonat : projet d’édition des Commentaires de Donat aux Comédies de Térence. En ligne : http://hyperdonat.huma-num.fr/editions/html/index.html. vise à rassembler trois niveaux d’écritures (texte, commentaires, commentaires des commentaires) des Commentaires de Donat aux Comédies de Térence

Anthologie palatine : projet d’édition de l’Anthologie grecque. En ligne : http://anthologiegrecque.org/fr_FR/#!index.md. consiste à penser cette collection d’épigrammes grecques en terme d’édition collaborative et de participation d’association référentielle

ou encore dans leurs images comme le film qui selon moi est un film qui se lit :

Greenaway, Peter. 1996. The Pillow Book d’après Shōnagon, Sei. 1002. Notes de chevet. questionne le geste d’inscription et de disposition du littéraire dans des lieux étrangers au littéraire par les divisions ou superpositions au sein d’un même espace de plusieurs supports poétiques : la peau, l’écran, la photographie.

Objets qui selon moi peuvent m’aider à penser une médiopoétique pour reprendre l’expression de Babillot. poétique étudiant les intrications entre supports et contenus littéraires, considérant que le support et le medium de diffusion « lorsqu’il est choisi comme espace originel de publication, informe et détermine en partie la poétique du texte produit » (bonnet?).

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Alors je conclue cette rapide présentation de mon état de recherche pas le dernier objet, le palimpseste, devenu un peu une obsession de vie, pas une psychose, pas encore en tout cas, j’aurai encore plusieurs années pour l’investir en tant que tel.

Ce nouvel objet de ma réflexion, issue d’un premier questionnement sur un rapport au support qui fonde le texte, qui reçoit le geste littéraire, me semble et c’est sur cette idée que je vais m’arrêter, un geste fondamentalement littéraire, non en tant que métaphore, en tant qu’intertextualité, mais en tant que véritable action sur le support : c’est parce que le palimpseste consiste à gratter un support, à faire fi du texte en soi, à procéder à une surinscription, que littérature advient.

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Cette idée est une rémanence d’un premier cours que j’ai suivi à l’Université de Lyon dans le cadre d’une maîtrise en Lettres classiques, cours d’étude de tablettes mycéniennes en linéaire B, forme archaïque du grec ancien. Alors ces tablettes étaient le compte de scribes sur le bétail et marchandises présents sur l’agora. Davantage de la comptabilité que de la littérature donc, sans insulte pour le bétail. Mais au fur à mesure des tablettes d’argile, qui sont le réceptable de grattage, où le compte d’hier était effacé pour le compte d’aujourd’hui, se développe un rapport aux mots différent, un style qui différencie les scribes : le bétail deviennent plus stylé, l’agora n’est plus le lieu d’échange de marchandises mais le paysage d’une poésie.

Le palimpseste n’est alors plus cet évènement de l’histoire littéraire, il n’est plus le fait seulement d’un rapport d’économie - recyclant un support par sa rareté ou son coût-, mais peut amener à penser un geste à l’origine du littéraire, une transhistorie littéraire, de la tablette du scribe, en passant dans les manuscrits du XIXe, jusqu’au numérique : oui palimpseste peut toucher la matérialité du numérique :

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Je vous propose ici une reconstitution, en réalité un jeu de transparence d’une page pour mettre en exergue ses strates. Comment remédier le palimpseste dans le numérique ? Quelle gestuelle : comment gratte-on l’écran ?

Certains veulent tater le texte, moi je cherche à le gratter, pour pister, en somme, une litté-ratture.