Écrire en déplaçant : une poétique de la matérialité textuelle chez Kenneth Goldsmith
Thomas Van Huynh-Marsot
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2019/12/12

Le déplacement est impoli et insistant, un rabat-joie mal lavé : il n’a pas été invité, se comporte mal et refuse de partir. Le déplacement se complaît dans la disjonction, imposant son intention, son programme, et bien plus dans toute situation qu’il rencontre. Sans aucun désir d’apaiser, il refuse le compromis, sachant trop bien que grâce à son insistance tenace, il finira par l’emporter. Le déplacement a tout le temps du monde. Au-delà de la morale, autoproclamée, et prenant possession parce qu’il le doit, le déplacement agit simplement - et simplement, agit. (Kenneth Goldsmith, Théorie).

Élément fondateur de la course américaine à la présidence de 2016, plus de 30, 000 courriels compromettants, tous issus de la boîte courriel personnelle d’Hilary Clinton, ont été piratés et archivés sur le site de WikiLeaks, pouvant dès lors être consultés par tout un chacun. La controverse s’est rapidement et intimement insérée dans une réflexion plus large sur la défense et sur la sécurité d’informations confidentielles d’ordre nationale, et la nécessité d’une tierce partie de les héberger et de les protéger1.

Trois plus tard, au Biennale de Venise 2019, Kenneth Goldsmith, poète fondateur d’UbuWeb, crée une installation où la totalité des courriels est imprimée et présentée sur un bureau aux allures présidentielles. Le document comporte 60, 000 pages et, en une scène pittoresque, a été consulté par Hilary Clinton elle-même.

Ce geste iconoclaste, près de la tradition de l’art conceptuel et, plus étroitement, du ready-made tel que pensé par Marcel Duchamp, s’inscrit dans une pratique que Goldsmith a lui-même théorisée dans son essai Uncreative writing : managing language in the digital age, publié en 2011 aux éditions des Presses de l’université de Columbia, traduit en 2018 par François Bon sous le titre de L’écriture sans écriture : du langage à l’âge numérique. Auteur de plusieurs livres, dont Soliloquy, Against Translation, Capital, Théorie/Theory, ainsi que Wasting time on the Internet, il s’est imposé comme penseur avant-gardiste d’une pratique matérielle du langage, dans tout ce que cet acte radical et performatif implique. Contrairement à une conceptualisation du langage idéelle et dématérialisée (héritage que l’on peut retracer à Platon et sa théorie des idées), Goldsmith insiste entre autres choses sur la matérialité et la physicalité du langage que décuplent le web, sa culture numérique, et, plus largement, internet.

Plus précisément, Goldsmith a développé, à mon sens, une notion sur laquelle une part importante de son architectonique textuelle se repose : le déplacement. Jamais explicitée en tant que telle, sans cesse ramenée à sa polysémie, elle se construit avec, toujours autour d’elle, une constellation d’autres notions qui l’invitent à se définir par la négative ; plagiat, appropriation, (re)contextualisation, quantité contre qualité, l’écrivain comme gestionnaire et récupérateur de données langagières… Pourtant, au centre, ce geste simple qu’il qualifierait d’idiot : prendre une matière textuelle et la déplacer, ailleurs2. Cette idée invite entre autres à penser l’émergence de nouvelles implications concernant l’acte d’écrire en contexte numérique, de même que sa portée matérielle dans la circulation de l’archive et du sens. Deux de ses textes, soit Uncreative Writing et Théorie, seront donc ici convoqués pour penser cette notion avec lui3.

Le contexte est le nouveau contenu

Dans les premières pages de son essai Uncreative Writing, Goldsmith propose que « le contexte est le nouveau contenu (Goldsmith 2018, 11). » En renversant la primauté historique du contenu sur le contexte (l’écriture n’étant simplement, selon cette idée, qu’une voie d’accès à une information essentialisée, gommant l’acte matériel d’écrire et ce qu’il comporte de significatif), Goldsmith met l’accent sur l’importance de ce qui peut déterminer le langage hors de ce qu’il cherche à dénoter. Que ce soit pour des raisons structurelles, technologiques, politiques ou sociales, le sens est intimement lié à son contexte (le support matériel, la géopolitique dans lequel il s’inscrit, l’endroit où la matière textuelle est lue, actualisée, etc.). De plus près, une même matière textuelle peut signifier autre chose si recontextualisée. Par conséquent, elle n’est pas fixe et elle ne serait être réductible à son intentionnalité (historique, auctoriale, institutionnelle) assignée : elle est originellement multiple. En déplaçant par exemple la paternité de l’auteur d’un contexte à un autre, le même bout de matière textuelle reflétera autre chose. Comme le propose Goldsmith :

« Reflétez quelque chose d’émotionnel, vous avez écrit un texte émotionnel. Reflétez quelque chose de politique, vous avez écrit un texte politique. Reflétez quelque chose d’érotique, vous avez écrit un texte érotique. L’écriture miroir n’est pas de l’écriture : c’est de la copie, du mouvement, et de la réflexion. Éditer, c’est bouger (je souligne). Vous voulez altérer votre texte ? Déplacez-le ailleurs (Goldsmith 2015). »

Dans le chapitre « Le langage comme matière », Goldsmith donne l’exemple du photographe Matt Siber qui, dans sa pratique, photographie des bâtiments bariolés d’inscriptions pour, par la suite, séparer la matérialité langagière de la photo. Toujours en diptyque, donc, côte à côte, se trouvent, à gauche, la photo effacée de tous ses repères textuels et, à droite, les inscriptions figées dans leur ordre et leur espacement d’origine. Exemple de déplacement parmi tant d’autres, celui-ci étonne par l’efficacité avec laquelle la matérialité du signifiant se renouvelle devant nos yeux, pris sur une page blanche dans un mouvement statique. Le contexte, qui est aussi le support, informe dès lors de près la signification d’un objet textuel : invisibilisées dans l’espace urbain, ces inscriptions, tapissant les devantures pêle-mêle de magasins, s’en trouvent renouvelés par le simple geste de recontextualisation qu’initie le déplacement (dans cet exemple) sur page blanche. En contexte numérique, Goldsmith précise que « [the] language can literally be picked up and moved via cut-and-paste, making it extremely physical. It can also be displaced à la Duchamp (think of how you share, say, an Instagram photo, providing recontextualization each time it is viewed); in this way, we can say that the entire Internet is one big Duchampian readymade (Goldsmith 2019). » Le déplacement allie ainsi matérialité et physicalité dans toute sa corporalité inhérente, tel le psychogéographe situationniste4 qui, flânant, redécouvre un paysage urbain et familier autrefois figé par la routine et la monotonie.

À l’image du concept d’ « écranvain » développé par Gilles Bonnet dans son ouvrage Pour une poétique numérique, qu’il précise en introduction, Goldsmith :

« ne se contente pas d’une représentation et d’une médiation de soi grâce aux technologies numériques, mais les investie comme un véritable environnement doté de ses contraintes et potentialités spécifiques. (Bonnet 2017, 8) »

Il y a effectivement chez Goldsmith cette idée d’investir les infrastructures technologiques et d’en tirer une logique nouvelle pour l’écrivain à venir. Celle-ci se place dans une réflexion visant à redéfinir épistémologiquement le rôle de l’écrivain et l’action d’écrire. Gilles Bonnet précise dès lors, en tel contexte, que « si [les écranvains] s’engagent dans une mutation dont ils prennent conscience avec une acuité remarquable, c’est probablement parce que l’inscription du numérique dans notre existence contribue à remodeler (je souligne) notre relation au langage et au monde (Bonnet 2017, 11). ». À la croisée des avant-gardes et d’un déterminisme technologique (Nachtergael 2018), Goldsmith dénote également la relation que tissent, de plus en plus inséparable, la technologie, la politique et le régime d’écriture/lecture, aujourd’hui :

« Le choix de la machine qui fabrique le poème modifie l’actualité politique, ce qui est souvent moralement ou politiquement répréhensible pour l’auteur. En retapant le moindre mot d’une édition du jour du New York Times, serais-je en train d’exclure un éditorial désagréable ? (Goldsmith 2015) »

Le support et le contexte influencent et informent ainsi autant ce qui est écrit que l’intentionnalité de l’auteur qui l’écrit. Le sens de l’acte d’écrire se dévoile donc conditionné par plusieurs strates matérielles qui obscurcissent le pur fantasme de la médiation transparente : technologiques, politiques, historiques, etc. Une dissolution de la « subjectivité libérale humaniste » s’opère ainsi5. Déstabilisant la posture auctoriale du génie romantique (tributaire de lois sur la propriété intellectuelle du 17e et 18 siècles), le déplacement comme écriture, à la fois politique, poétique et esthétique, se joue d’une scène où l’auteur est démultiplié en « différentes personae qu’il peut investir dans sa scénographie ou en se livrant à la pratique de l’écriture (Cayrat 2019) ». À l’échelle du web, où les réseaux de sens prolifèrent, déplacer en tant qu’acte d’écriture, c’est affirmer la part collective de l’éditorialisation dans nos vies médiées. Comme le dit Gilles Bonnet, « sur internet, je est mon autre (Bonnet 2017, 123) ». « En ce sens, on dira que l’éditorialisation qualifie ce que devient l’édition sous l’influence des technologies numériques. Cette définition rapproche l’éditorialisation de ce qu’on appelle aussi “curation de contenu”6 qui consiste à choisir, mettre en relation et mettre en forme une série de contenus dans un environnement numérique afin d’en faire une unité cohérente et compréhensible pour les lecteurs (Epron et Vitali-Rosati 2018). » D’ailleurs, pour Goldsmith, le poète devient, par la force de ces transformations, un manager de l’information7, similaire à « l’émergence du curateur comme artiste dans les arts visuels (Goldsmith 2015) ». Ainsi, à partir de la perspective où la quantité est la nouvelle qualité (Goldsmith 2018, 32) et que l’écriture contemporaine est caractérisée par « l’évacuation du contenu (Goldsmith 2015) », le déplacement comme geste d’écriture prend ainsi la forme d’un socle sur lequel se repose la posture du génie du non-original : « L’acte de déplacer l’information d’un endroit à un autre constitue un acte culturel significatif en et par lui-même. Certains d’entre nous appellent ça de la poésie (Goldsmith 2015). » N’est pas loin l’ombre de Lautréamont qui clamait la nécessité du plagiat8 et d’une poésie par tous et pour tous9

Archivage, héritage avant-gardiste et circulation du sens

Déplacer, c’est écrire et écrire est polysémique pour Goldsmith. Écrire est lire, écrire est plagier, écrire est partager et - c’est là que j’aimerais porter notre attention - écrire est archiver10. Comme l’a écrit François Bon dans son ouvrage Après le livre, « nous ne savons écrire que depuis notre propre entassement des livres (Bon 2011, 205) ». Chez Goldsmith, une importance flagrante est accordée à l’acte de filiation intellectuelle comme un moyen d’appréhender les transformations sociales, politiques et technologiques actuelles, qui influencent notre compréhension de l’écriture. En convoquant, par exemple, une pléthore de mouvements d’avant-garde du 20e siècle, notamment dans son essai Uncreative Writing, Goldsmith s’inscrit dans une tradition artistique et intellectuelle permettant de contextualiser sa pratique et son discours, les prolongeant dans le temps11. Pierre Bayard, dans son ouvrage Le plagiat par anticipation, note que

« sur la littérature passée et présente [s’exerce] une forme de rayonnement diffus, dont la perception nous permet de deviner, en scrutant les textes avec suffisamment d’attention, les nouveaux territoires esthétiques vers lesquels nous nous dirigeons [et] dont les oeuvres portent déjà les marques annonciatrices. C’est à ces traces de l’avenir que nous devons devenir sensibles en apprenant à écouter autrement les textes, et en nous rappelant que ceux-ci ne sont pas inscrits dans une seule temporalité linéaire, allant en ligne droite du passé vers l’avenir, mais dans le mouvement d’une double chronologie, où les différentes strates du temps se rencontrent et interfèrent (Bayard 2008, 148) ».

Le travail d’inscription mémorielle opéré par Goldsmith, qui convoque les écrivains et artistes du passé pour étendre et sédimenter historiquement la pratique de l’écriture sans écriture, est celui d’un archivage du passé s’avérant prémonitoire. Par exemple, pour Goldsmith, « la poésie concrète a donné son cadre au discours du web et, le web - en retour - a donné une deuxième vie à la poésie concrète (Goldsmith 2018, 67) » ; l’internet, lui, serait tout simplement un énorme ready-made à la Marchel Duchamp (Goldsmith 2019). Goldsmith trouve également dans l’ouvrage des Passages de Walter Benjamin une manière de lire qui est similaire à celle que l’on adopte sur le web, passant « par l’hypertexte d’un lieu à un autre, nous frayant [un] chemin à travers son immensité […], nous, devenus des flâneurs virtuels, surfant au hasard d’un point à un autre (Goldsmith 2018, 119) ». Paris, capitale du XIXe siècle : Le Livre des passages nous informe donc en amont « comment nous avons appris à gérer et à moissonner l’information, sans besoin de lire le web linéairement (Goldsmith 2018, 119) ». La posture goldsmithienne de l’écriture comme déplacement est imprégnée de ce prodécé performatif où une lecture active des oeuvres passées nous permet de nous repositionner face aux changements historiques. Qui plus est, l’Uncreative Writing est un véritable tissu de citations organisées et archivées, s’autolégitimant par l’affirmation historique des pairs qu’il déplace et recontextualise. Ce faisant, « comme la broderie, dirait Goldsmith, l’archivage est défini par l’obsession de faire tenir ensemble de nombreuses petites pièces pour former une vision plus large, une tentative personnelle d’organiser un monde chaotique (Goldsmith 2015) ». Archiver est organiser un patchwork, déplacer des morceaux de tissus en apparence incompatibles pour les agencer, les faire tenir ensemble. Pour reprendre les propos de Giorgio Agamben dans Qu’est-ce que le contemporain ?, l’écrivain du déplacement de Goldsmith est « celui qui, par la division et l’interpolation du temps, est en mesure de transformer et mettre le présent en relation avec d’autres temps, de lire l’histoire d’une manière inédite, de la “citer” en fonction d’une nécessité qui ne doit absolument rien à son arbitraire, mais provient d’une exigence à laquelle il ne peut pas ne pas répondre (Agamben 2008, 39‑40) ». De même, Goldsmith propose de « réimaginer notre relation normative au langage » à l’aune du défi laissé par l’héritage philosophique et littéraire du 20e siècle :

« Comment poursuivre après la déconstruction et la pulvérisation du langage qui sont les héritages du 20e siècle ? Devrions-nous continuer à broyer le langage en morceaux toujours plus petits ou devrions-nous tenter une autre approche ? Pas de besoin de réenvisager le langage comme un tout - syntaxiquement et grammaticalement intact - mais trouver les fissures dans la coque d’un vaisseau linguistique réparé. Par conséquent, afin d’aller de l’avant, nous devons utiliser une stratégie des contraires - l’ennuyeux distrayant, la créativité non-créative, le génie non-original -, toutes les méthodes de désorientation doivent être employées afin de ré-imaginer notre relation normative au langage (Goldsmith 2015). »

En employant une stratégie quasi aporétique des contraires12, Goldsmith cherche, certes, à faire du déplacement sémantique une notion avec laquelle son écriture sans écriture peut négocier ; or, Goldsmith, plus que tout, me semble-t-il, précise et pointe l’extrême matérialité du langage en contexte numérique, contrairement à l’idée reçue de sa dématérialisation imminente. Par extrême matérialité, il faut avoir en tête toutes les infrastructures (politiques, sociales, écologiques, etc.13) qui sous-tendent la possibilité du langage et comment, en contexte numérique, il est de ce monde, il est connecté au monde - il l’influence. S’il n’y pas une perpétuelle fluidité ou une liquéfaction du langage telle qu’implicitement proposée par l’idée de dématérialisation, le langage est par contre matériellement contenu de manière sporadique. Le sens est constamment fixé, refixé et fixé par le déplacement que tout un chacun opère, poète du non-original goldsmithien en tête. Dès lors que « toute matérialisation [s’avère] conditionnelle (Goldsmith 2018, 232) », il s’en dégage que « l’archive, c’est la nouvelle publication (Goldsmith 2015) ». Goldsmith, en réarrangeant, réassemblant, réorganisant, recontextualisant, déplace et renouvelle le sens de l’archive : le devenir de l’archive, c’est son partage et sa réactualisation potentielle. La matérialité de l’archive se trouve ainsi ancrée dans un processus de distribution où, justement, son contenant est plus intéressant que son contenu14. L’archive, pour Goldsmith, dans toute sa matérialité, est avant tout un objet de pensée qui englobe son processus d’actualisation et de mise à disposition. En d’autres termes, ce qui compte dans l’archive, c’est ce qui la permet. Savoir qu’à tout moment nous pouvons lire tel texte, prendre connaissance de telle oeuvre d’art, de tel film est, au final, ce qui prévaut. Conserver toute la potentialité inhérente à l’archive et à sa future et souhaitable actualisation, en la partageant, en la conservant, en la distribuant, en l’archivant, c’est ce qui la définit - entre autres choses. Archiver est donc, corollairement, déplacer et écrire. « L’archive, c’est la nouvelle publication ; l’archive , c’est le nouvel art populaire (je souligne) (Goldsmith 2015). »

Conclusion

J’aimerais, pour conclure ce court essai, préciser en quoi imprimer la totalité des courriels piratés d’Hilary Clinton au Biennale de Venise de 2019 expose ces deux notions de la pratique de Kenneth Goldsmith que j’ai tenté ici de définir, c’est-à-dire en quoi déplacer est écrire et en quoi déplacer est archiver, tous deux, participants de la circulation matérielle du sens.

Au-delà de l’information qu’ils contiennent, ces 30, 000 courriels d’ordre de sécurité publique et nationale invitent à penser et à considérer l’extrême matérialité de nos régimes d’écriture, de lecture, d’archivage… Ceux-ci devaient être protégés, mis à l’écart sur des serveurs privés et formatés à ces fins ; ils dénotent les infrastructures de sécurité mises en place par les États-Unis et la droiture de protocoles auxquels doivent être soumis ceux qui les suivent. Ils représentent la présence géopolitique étatsunienne sur l’échiquier mondial et les réseaux de sens qui se déplient et se créent schématiquement dans les coulisses du pouvoir. Le contexte de la fuite (leak) de ces courriels représente ainsi davantage que leur contenu : ils dévoilent les infrastructures sociales, politiques, informatiques et technologiques qui les font exister et perdurer. En les déplaçant dans le contexte d’une prestigieuse exposition, Kenneth Goldsmith opère deux choses : 1) il surligne à gros traits ce que signifient politiquement et culturellement ces 60, 000 pages imprimées de courriels et 2) démontre l’aspect physique, matériel et performatif du langage. Il cherche ainsi à les réinscrire politiquement et historiquement - à archiver leur signification. En les déplaçant dans un autre contexte, il les réactualise. Il les réécrit dans toute leur matérialité :

« When an artifact is digital and immaterial, it is susceptible to any type of interpretation you wish to give it. And nobody can refute it because nobody has seen it. This is why I wanted to print out the Hillary Clinton emails—by giving them a physical presence, it was a rebuttal to Trump’s constant absurd query of “Where are the 30,000 emails.” I wanted to respond in an undeniably concrete way, “Here they are.” And this is the beauty of sculpture; its fact-ness, its physicality is undeniable in a newly desirable way at a time in which immateriality is subject to nefarious interpretations. What we’ve seen in the digital age is a very dark turn to Lucy Lippard’s famous idea of the “dematerialization of the object.” Instead, we need to re-embrace and reinvestigate concretist ideas from mid-century modernism, stemming from places as far flung as Brazil to the former Yugoslavia. Today, the fact of materiality is a way of debunking fake news (Goldsmith 2019). »

Bibliographie

Agamben, Giorgio. 2008. Qu’est-ce que le contemporain? Rivages poche/Petite bibliothèque ; 617. Paris: Payot & Rivages.
Bayard, Pierre. 2008. Le plagiat par anticipation. Paradoxe. Paris: Éditions de Minuit.
Bon, François. 2011. Après le livre. Paris: Seuil.
Bonnet, Gilles. 2017. Pour une poétique numérique: Littérature et Internet. Paris: Hermann.
Bordeleau, Érik. 2012. Foucault anonymat : essai. Série QR ; no 52.
Cayrat, Karen. 2019. « Postures auctoriales au prisme du numérique ». In Colloque international Narrations auctoriales dans l’espace public. Comment repenser et raconter l’auteur ? (16-17 mai 2019, Metz). Metz, France: CREM. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02350878.
Epron, Benoît, et Marcello Vitali-Rosati. 2018. L’édition à l’ère numérique. Paris: La Découverte.
Goldsmith, Kenneth. 2015. Théorie. Paris: Jean Boîte.
Goldsmith, Kenneth. 2018. L’écriture sans écriture : du langage à l’âge numérique. Collection Uncreative Writings.
Goldsmith, Kenneth. 2019. « Readymade Writing NERO Editions ». https://www.neroeditions.com/readymade-writing/.
Lautréamont. 1990. Oeuvres complètes : les chants de Maldoror, lettres, poésies I et II. Nouv. éd. enrichie d’une septième lettre.. Poésie ; 88. Paris: Gallimard.
Nachtergael, Magalie. 2018. « The Ghost in the Machine. Multimédia, algorithme et littérature artificielle Cairn.info ». https://www.cairn.info/revue-litterature-2018-4-page-85.htm#no13.
Vitali Rosati, Marcello. 2016. « Qu’est-ce que l’éditorialisation? ». Sens public, mars. https://doi.org/10.7202/1043383ar.

  1. Hilary Clinton, en tant que secrétaire d’État, opérait à partir d’une adresse personnelle non protégée. James Comey, directeur du FBI, « “lui reproche d’avoir fait preuve d’une négligence extrême” en hébergeant des courriels contenant des informations classées secrètes sur des serveurs personnels non protégés, ajoutant que “toute personne sensée occupant la fonction de madame Clinton aurait dû savoir qu’un serveur non protégé ne pouvait accueillir des informations classées secret défense” ». Davantage dans l’article « Affaire des courriels d’Hillary Clinton » de Wikipédia.↩︎

  2. François Bon postule également que le concept de « moving information - avec celui de « uncreative writing » est central à la compréhension de l’ouvrage, avant d’ajouter en marge : « Le défi majeur du livre de Kenneth Goldsmith : parler de comment l’environnement numérique change la langue et suppose des changements dans la langue elle-même. Une suite de déplacements dans la nomination de concepts parfois outrageusement simples (Goldsmith 2018, 9). »↩︎

  3. Je travaillerai avec la version originale des deux textes, me référant à la traduction de François Bon pour les notes qu’il a laissées en marge dans la publication des éditions Jean Boîte et pour citer l’ouvrage. La version en français de Theory a par ailleurs été publiée en même temps que la version originale de Théorie. L’édition en français sera citée.↩︎

  4. « Le déplacement, c’est le modernisme du 21e siècle, c’est l’enfant du montage, de la psychogéographie, c’est l’objet trouvé (Goldsmith 2015). »↩︎

  5. Cette notion de « dissolution de la subjectivité humaniste » est tirée de l’ouvrage Foucault anonymat d’Érik Bordeleau (Bordeleau 2012, 44‑47).↩︎

  6. Bien qu’elle s’y rapproche, l’éditorialisation n’est pas synonyme de curation de contenu, puisqu’elle l’englobe : « On pourrait donc dire que la curation des contenus est un des éléments du processus d’éditorialisation, tandis que cette dernière désigne le processus dans son intégralité, prenant en considération tous les aspects de la production d’un contenu et du sens que ce contenu acquiert au sein d’une culture (Vitali Rosati 2016). »↩︎

  7. « Les écrivains deviennent des curateurs du langage, un glissement comparable à l’émergence du curateur comme artiste dans les arts visuels (Goldsmith 2015). »↩︎

  8. « Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique. Il serre de près la phrase d’un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l’idée juste (Lautréamont 1990, 306). »↩︎

  9. « La poésie doit être faite par tous. Non par un. Pauvre Hugo! Pauvre Racine! Pauvre Coppée! Pauvre Corneille! Pauvre Boileau! Pauvre Scarron! Tics, tics et tics (Lautréamont 1990, 311). »↩︎

  10. « Écrire sur une plateforme électronique n’est pas seulement écrire, mais également archiver ; les deux procédés sont inséparables (je souligne) (Goldsmith 2015). »↩︎

  11. « L’écriture sans écriture - l’art de gérer l’information et de la représenter comme écriture - est aussi un de ces gués, reliant les innovations à main d’homme de la littérature du XXe siècle à la robopoésie baignée de technologie du XXIe siècle (Goldsmith 2018, 241). »↩︎

  12. « Le futur de l’écriture, c’est de ne pas écrire ; le futur de l’écriture, c’est la gestion du vide ; le futur de la lecture, c’est de ne pas lire (Goldsmith 2015). »↩︎

  13. « Je trouve l’idée de recycler le langage pour le rendre politiquement et écologiquement durable est une idée qui prône la réutilisation et le reconditionnement, par opposition à la fabrication et la consommation capitaliste globale en admettant que le langage ne puisse pas être détenu ou possédé - que c’est une ressource partagée. Donc, dans ce sens, ces idées sont, idéologiquement parlant, davantage dans la lignée des pensées marxistes que n’importe quoi d’autre. Ainsi, à cause du volume considérable du langage - un écosystème produisant des ressources illimitées - il n’y a aucun risque de pénurie ; c’est un paysage d’abondance. Toutefois - et c’est là que ça devient intéressant - l’obsession de l’écriture conceptuelle pour les nouvelles technologies, l’accumulation du langage, sa célébration de l’excès, du baroque, etc., la rapproche des tendances capitalistes globales souvent malveillantes. De plus, il y a un aspect impérialiste dans ce mouvement ; par son internationalisme, c’est le premier mouvement de poésie mondial depuis la poésie concrète puisque les deux reposent sur un usage transnational du langage (la poésie concrète étant visuelle, et la poésie conceptuelle étant illisible). En conséquence, le mouvement se répand rapidement autour du globe, menaçant de prendre les caractéristiques d’un gigantesque monstre multinational. Toutes ces contradictions, j’en ai l’impression, font partie du discours du conceptualisme, qui est un mouvement idéologiquement fluide incluant l’impureté et les plaisirs coupables, boudant les notions reçues de pureté, d’authenticité, ou de prétention absolues pour la vérité (Goldsmith 2015). »↩︎

  14. « Aujourd’hui, nous passons beaucoup plus de temps à acquérir, cataloguer et archiver nos artefacts qu’à entrer en relation avec eux. La manière dont la culture est distribuée et archivée est devenue bien plus intrigante que l’artefact culturel lui-même. Résultat, nous avons vécu un inversement de la consommation, préférant les flacons à l’ivresse (Goldsmith 2015). »↩︎