11 - Chittakone Baccam (Jeunesse Cosmique)
L’épopée de Jeunesse Cosmique
Chittakone Baccam
Sylvain Aubé
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public

Hazy Montagne Mystique (performance live 2020 ConnexiOnze par Kimura Byol, photo fournie par l’artiste).

SA : On va parler aujourd’hui de ce que tu as fait comme production personnelle, autant en musique, qu’au niveau du label Jeunesse Cosmique. Mais avant, peux-tu nous parler de tes nouveautés ? Des projets qui s’en viennent ? J’ai entendu dire que vous seriez en Europe ? Et peut-être même vous serez revenu d’ici à ce que cet épisode sorte ?

CB : Ça dépend quand l’épisode va sortir ! Mais effectivement, j’ai mon projet personnel qui s’appelle Hazy Montagne Mystique. Ça, c’est mon projet solo, sur lequel je travaille depuis 2013, quand j’ai commencé à release sous ce nom-là. Mais sinon, avant, je faisais partie d’autres formations.

Et oui, on prévoit d’enregistrer à Amsterdam, avec mon groupe qui s’appelle Starter, un projet que j’ai avec Rémi de Velvet Glacier. On va être accompagné de deux artistes visuels, Gabrielle Godbout et Guillaume Vallée, qui vont nous aider à travailler la vidéo qu’on va faire en 8mm1. C’est mon projet le plus récent. Sinon, avec Hazy Montagne Mystique, il y a un projet d’album que j’ai en chemin pour l’été 2019. C’est mon album en vinyle qui s’appelle Tu ne te retourneras pas2.

EXTRAIT 1
Hazy Montagne Mystique
le bleu redevient bleu et le gris reste gris
LP Tu ne te retourneras pas (2019)

Historique

SA : Y a-t-il eu de nouvelles publications sur Jeunesse Cosmique au cours de la dernière année ?

CB : Dans la dernière année, il y en a des nouveaux. Mais en fait, il y en a toujours eu. À chaque année, il y a de nouveaux artistes. Il y a aussi les artistes les plus anciens qui se greffent à Jeunesse Cosmique. En 2019, il va y avoir d’autres parutions, des artistes d’Europe et aussi du Japon. Par la suite, c’est sûr qu’il y a toujours de nouveaux projets qui sont avec nous, qu’on travaille aussi. Jeunesse Cosmique, ça ne s’arrête jamais, et c’est pour ça que ça continue. Justement l’an prochain, en 2020, ça sera notre dixième anniversaire.

SA : C’est vrai !

CB : À Noël dernier, c’était le dixième Krautmas3. Depuis 2009, c’était décalé puisqu’à ce moment-là, Jeunesse Cosmique n’existait pas encore. Il y avait juste la soirée Krautmas, pis on n’avait pas encore fondé notre collectif. L’idée est venue avec cette soirée-là : faire un collectif qui s’appellerait Jeunesse Cosmique. C’est venu avec cette soirée-là, l’idée d’en faire un collectif qui allait s’appeler Jeunesse Cosmique.

SA : Donc 2010 est la naissance de Jeunesse Cosmique. Si l’on revient aux débuts, il y avait Catherine Debard4 qui était là à l’époque, pis d’autres musiciens et musiciennes. Quelles étaient tes inspirations dans le temps ? D’où est venue l’idée d’avoir un label, au-delà d’un simple groupe de musique ?

CB : Catherine et moi, on était dans un groupe qui s’appelait Sally Paradise5 et on préparait la sortie de notre EP6. On n’avait pas de maison de disques. On l’avait envoyé un peu partout au Québec, et aussi des labels aux États-Unis. Mais personne ne pouvait ou ne voulait le faire, c’est pour ça qu’on a décidé de fonder notre propre étiquette de disque, pour le sortir en tant que label, et c’était la première sortie : L’ascension du Mont Sching, le EP de Sally Paradise7.

EXTRAIT 2
Sally Paradise
Ses mains s’estompent
LP Compilation Terre à Terre (2013)

Sally Paradise, groupe fondateur

CB : Par la suite, ça nous a donné le goût de faire d’autres releases, avec des amis qui, à l’époque, avaient envie de sortir des albums et qui n’étaient pas nécessairement attachés à un label en particulier, ici, à Montréal. C’est pour ça que, dans les débuts, on a sorti des artistes comme Téléphone Maison, Félix de l’Étoile, Yetis Dei et Flory Daahboy8.

SA : Il y avait aussi Samuel Bobony qui était en entrevue avec nous dans un récent épisode9, il me semble que vous avez collaboré ensemble ?

CB : Oui pour son premier album, Autorail, de son projet Black Givre. Lui, c’était dans la deuxième vague, parce qu’on commençait à faire des vinyles. Au début, on se concentrait beaucoup plus sur les CDs, car en 2010, c’était encore à la mode et c’était prisé par les auditeur.ice.s. On faisait également encore beaucoup de cassettes, parce que c’était moins cher de produire de la musique sur ce support physique.

Au début, c’est sûr qu’on était plus sur la formule de projets en groupe. On s’était moins dispersé.
C’est en 2012 que le collectif a commencé à avoir davantage de projets solos : Catherine Debard, en tant que Ylang Ylang, Samuel Bobony, sous le pseudonyme Black Givre et moi avec mon projet Hazy Montagne Mystique.

SA : Donc tout ça, c’était il y a dix ans ?

CB : C’était les premières formations solos du collectif issu d’un groupe comme Sally Paradise entre autres, puisque c’était notre formation principale. Ensuite il y a eu plusieurs musiciens qui ont joué avec nous, dont Samuel Bobony au drums, Chloé Sinotte et Sébastian Trafalgar aux synthés (et qui aujourd’hui produit ses propres pédales d’effets qu’il vend via sa boutique), Catherine qui chantait.

Éditeur VS musicien

SA : Sur un autre sujet, que préfères-tu : le côté éditeur/directeur de label, ou le côté musicien ? Il y a plein de gens qui font comme toi, je pense à Charles Barabé/La Cohu et Samuel Mercure/Archive Officielle, qui était dans le précédent épisode10 ? As-tu une préférence ?

CB : C’est sûr que produire des gens c’est vraiment le fun ! Ça permet de faire avancer l’art expérimental, ici, à Montréal. Il n’y a que peu de labels qui le font au Québec. C’est pour ça que je trouve intéressant de le faire. Ça permet aux gens d’avoir un aperçu de ce que c’est, l’expérimental à Montréal, autant dans l’installation sonore que de la performance.

J’ai aussi une émission de radio à CISM11 qui s’appelle Jeunesse Cosmique. C’est une plateforme pour présenter pour présenter des sons et des artistes que j’aime, en plus des artistes qui font partie du label. Il n’y a pas juste le label de l’étiquette de disques, mais il y a aussi le fait qu’on est présents dans les salles des spectacles ou des galeries à Montréal, qu’on a un accès quand même assez facile, je dirais, pour présenter quelque chose. C’est sûr que c’est pas toujours évident, surtout pour les festivals qui sont un peu plus gros, qui acceptent peut-être moins l’art expérimental… mais ça, c’est un autre débat. Par contre, là où l’expérimental est présenté, on a un accès, parce que ça fait maintenant 10 ans qu’on est sur la scène, ici, à Montréal.

Et tout récemment, depuis peut-être deux ou trois ans, on peut performer ailleurs. Et ça, c’est quelque chose que je trouve fun également. Avec mon projet personnel, je peux me détacher du label et arriver à présenter mon travail ailleurs qu’à Montréal, que ce soit au Japon, en Italie, en France, et bientôt à Amsterdam. Ça aide à me séparer du label et miser sur une carrière solo.

SA : Y a-t-il d’autres labels qui prennent la relève pour toi là-bas ? Par exemple, au Japon ?

CB : J’ai eu la chance de rencontrer des labels qui ressemblent beaucoup à Jeunesse Cosmique, des microlabels°, comme on les appelle. En Italie aussi j’ai rencontré des gens. Parce qu’à chaque fois que je voyage, je m’intéresse beaucoup à la scène locale, à ce qui se passe là-bas, et aussi aux magasins de disques. Je vais les voir, parce que je suis curieux et je sais qu’en allant vers ces personnes-la, je vais découvrir la scène qui est plus underground ou DIY°, le « milieu ». Donc j’ai rencontré des gens, des amis qui runnent des labels comme moi ici, et avec qui je me suis lié d’amitié ensuite. On garde toujours contact, on s’échange des tapes. Donc on reste à l’affût de ce qui se passe un peu partout dans le monde, dans le petit milieu DIY.

EXTRAIT 3
Hazy Montagne Mystique
Conséquences Acte_01
LP Compilation Selected music for winter 2014-2015 (2014)

Les Ghost’s of Ghazals (jam animé au repaire cosmique le Psychic City en 2013 par François Ubald Brien. Photo fournie par l’artiste).

Les hauts et les bas du format cassette

SA : Tu as été super actif pour le format cassette. Comment trouves-tu que ça va ces temps-ci ? Tu as 10 ans de parutions, est-ce que tu as pu constater une mode ? Il y a toute la culture noise° aux États-Unis qui a été une influence. Je ne sais pas si aujourd’hui c’est aussi populaire.

CB : Aujourd’hui, en 2019, c’est sûr que c’est beaucoup plus difficile de vendre quelque chose sur un support. Avant, quand on commençait, la cassette était déjà très populaire. Même moi, avant de faire de la musique, j’allais voir des concerts ici à Montréal, et il y avait déjà beaucoup d’artistes, surtout des Américains, qui faisaient leur merch en cassette.

J’ai grandi avec la cassette, et je trouvais surprenant de voir que la cassette allait revenir. Surtout après 2012, j’ai été surpris que ça fasse un boom, et que les gens soient créatifs pour faire de belles pochettes et de belles illustrations pour accompagner leur travail. Tu vois, il y avait des labels américains dans le noise qui sortaient leurs cassettes, des fois le produit n’était même pas écoutable, mais la pochette était tellement belle que c’était le fun à avoir, ça faisait un produit collector. C’est pour qu’on en a fait, des cassettes, lorsqu’on a vu qu’il y avait le marché qui allait s’ouvrir, surtout dans l’expérimental. Il y a aussi des nostalgiques, des collectionneurs.

SA : C’est le fun à échanger aussi.

CB : Oui, c’est le fun de faire des trades de cassette à cassette, pis aussi je sais qu’il y a des gens qui aime beaucoup le son de la cassette, parce qu’ils aiment ce grain, ce côté lofi°. Ça, puis la nostalgie du temps où l’on était plus jeune et qu’on dubbait nos mixtapes12 et qu’on s’amusait avec les cassettes. C’est pour ça que j’aime beaucoup le médium, mais je le vois un peu partir. Je sais aussi que le cost des cassettes est beaucoup plus cher qu’avant. Comme nous, on en fait de 30 à 50, le cost est très cher, il faut en acheter une grosse batch pour avoir un prix équitable, mais nous, on en fait pas assez, on ne fait pas de grosses quantités de cassettes. Donc les prix augmentent, l’impression augmente, tout augmente, la vie augmente. Donc les cassettes qu’on vendait à 5 dollars, il faut les vendre plus cher à 7 dollars, pour arriver à un petit profit et réinvestir sur les autres albums du label.

SA : Il y a des labels comme Phinery, par exemple, qui ont disparu aussi complètement ? Des tape labels° qui ont disparu ?

CB : Ce genre de label était très sélectif. C’est sûr que la mode évolue dans un tel style de musique expérimental, les gens peuvent évoluer et être rendus ailleurs, il faut que tu changes ton concept ou ta mentalité de gestionnaire de label.

Mais moi avec Jeunesse Cosmique, j’ai toujours été très libre d’accepter n’importe quel genre de projet. C’est pour ça que je suis capable de rester vivant, si tu veux, en 2019, encore, parce qu’on peut sortir du rap, de la pop, du noise, de l’expérimental, de l’ambient, et c’est comme un melting pot, c’est pas juste un style attaché à quelque chose. C’est pour ça qu’on peut arriver, nous, à sortir des albums sans prétention.

EXTRAIT 4 Hazy Montagne Mystique
Tu ne te retourneras pas (live au MAI, 2017)
LP Tu ne te retourneras pas (2019)

Des vinyles à présent

SA : D’ailleurs vous avez sorti deux vinyles. L’album de Paraphonique13 est sorti en mai 2019, et le tien. Est-ce des événements uniques, ou vous allez en faire de plus en plus (au détriment des cassettes ?) ?

CB : Paraphonique a été le premier artiste lancé en format vinyle pour 2019. Il y a aussi mon projet Hazy Montagne Mystique qui va être lancé plus tard dans l’année. Je laisse un peu le temps d’installer le son de Paraphonique, et de laisser l’album circuler. Après, on va travailler sur mon album, qui est d’ailleurs tout fait. Il ne manque qu’à trouver une date et voir comment on va le lancer. Donc oui, on fait aussi des parutions en format vinyle.

La question off

SA : C’est cool ! Merci à toi, ça nous met à jour sur Jeunesse Comique, et aussi sur tout le petit monde des tapes labels derrière. À présent, j’aimerais ça demander une question off, par rapport aux autres. Y’a-t-il une question qu’on ne t’a jamais posée en entrevue ? Y’a-t-il un film, un livre, quelque chose que tu aimes, une pièce de théâtre, un plat préféré ? Une affaire qui n’a pas rapport à la musique ? Bref, as-tu un plaisir coupable ? De quoi es-tu fan, à part la musique ?

CB : C’est sûr que les films, ça va toujours un peu se relier à la musique que j’écoute. J’aime beaucoup les films expérimentaux et les films qui font réfléchir.

Mais récemment, j’ai vu un film que j’avais vu à l’époque où c’est sorti, et que je n’ai quand même pas détesté, et c’est 40 ans toujours puceau !, avec Steve Carrell. J’avais vu ça quand c’est sorti, mais je me souvenais plus ou moins des gags assez crus, assez misogynes des acteurs. Il y a Seth Rogen aussi là-dedans. C’est un genre de film que je me suis dit que ça passerait plus en 2019 avec tous les thèmes qu’on aborde aujourd’hui, pis le respect qu’on peut avoir de tous les gens. Je trouvais ça drôle, le fait qu’avant on était vraiment plus libre dans ce qu’on pouvait dire, et dans qui on pouvait niaiser et tout. Alors je suis bien content d’être en 2019, pour avoir le respect de chacun !

EXTRAIT 5 Hazy Montagne Mystique
慟哭 – Lamentation (Exploiter le sens de la création de l’esprit)
LP Tu ne te retourneras pas (2019)

EXTRAIT 6 PARAPHONIQUE
Paraphonique
L’imaginaire du territoire
LP Propos et confidences (2019)

Juillet 2019


  1. Format de film populaire dans les années 70 et utilisé à présent pour des projets artistiques.↩︎

  2. Page de l’album sur Bandcamp.↩︎

  3. Krautmas : spectacle annuel, ayant lieu durant le temps des fêtes, regroupant la majorité des artistes présents sur Jeunesse Cosmique en une unique soirée. Jeu de mots sur « Krautrock »° et « Christmas ».↩︎

  4. Catherine Debard, musicienne montréalaise ayant cofondé et longuement collaboré à Jeunesse Cosmique. Elle a publié plusieurs albums en solo sous le pseudonyme de Ylang Ylang. Soulignons qu’en 2020, son album Interplay a fait le top 100 de la revue The Quietus.↩︎

  5. Voir l’épisode 7 avec Samuel Bobony.↩︎

  6. Un EP est un mini-album, souvent de 4 chansons, permettant de faire la promotion d’un groupe avant le lancement d’un album officiel.↩︎

  7. L’ascension du Mont Sching, le EP de Sally Paradise, est encore disponible sur Bandcamp.↩︎

  8. Liste d’artistes de l’étiquette.↩︎

  9. Voir l’épisode 7 pour plus d’infos sur le premier vinyle de Black Givre, Autorail.↩︎

  10. Les deux labels sont cités dans l’épisode 9 avec Samuel Mercure.↩︎

  11. CISM, radio universitaire de l’Université de Montréal, au 89,3 sur le FM.↩︎

  12. Les mixtapes sont des mix de différents groupes de musique. Bien qu’ils puissent être sous n’importe quel format, physique ou numérique, le format cassette s’est toujours bien prêté à cette formule.↩︎

  13. Propos et Confidences de Paraphonique est un album vinyle tiré à 200 copies. Page de l’album.↩︎