Écrire ensemble la mémoire des (dé)confinements ?
Retours réflexifs sur un projet pédagogique Avignon Université - Mucem autour de la crise sanitaire
Sébastien Appiotti
Au printemps 2020, pendant le premier confinement, le Mucem a décidé de lancer auprès de ses publics la collecte participative « Vivre au temps du confinement », pour laquelle des objets témoignant de la crise sanitaire du Covid-19 ont été proposés pour faire partie des collections et des archives du musée. Cette collecte participative a été l’opportunité pour moi d’imaginer un projet pédagogique impliquant les étudiant·e·s du Master 1 Culture et Communication d’Avignon Université et trois directions du Mucem (conservation, publics et recherche). Ce dernier a consisté en une préfiguration d’actions muséographiques, de médiation et de programmation culturelle autour du Covid-19, et par la co-création avec les étudiant·e·s d’une plateforme contributive culturelle (Severo, 2021), support d’une collecte de photographies autour du (dé)confinement entre le printemps et l’automne 2020. Ce chapitre sera l’occasion d’une part d’expliciter les contours de ce projet pédagogique, et d’autre part, de proposer une analyse de la collecte photographiques « Vos proches et vous au temps du (dé)confinement ». Les images recueillies ont en effet donné lieu à une co-interprétation entre chercheur et étudiant·e·s s’inscrivant dans la filiation de démarches en « sémiotique sociale » (Saemmer, Tréhondart, 2020 ; Saemmer, Tréhondart, 2022) et permettent de renseigner de façon précieuse la mise en scène visuelle du vécu des étudiant·e·s pendant la crise sanitaire du Covid-19.
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Nous vivons un épisode exceptionnel, qui est déjà l’Histoire. Participez à la collecte #memoiredeconfinement ! Envoyez par mél à [vosges-archives[at]vosges.fr] vos témoignages, récits et photos (pdf et jpg 200ko max) ou vidéos (20mo), nous les conserverons pour l’éternité !

C’est par cette annonce, postée sur Twitter au printemps 2020, que les Archives des Vosges ont fait naître #mémoiredeconfinement, l’une des initiatives ayant cherché à archiver les traces de la crise sanitaire du Covid-19. Des institutions patrimoniales et des initiatives citoyennes ont, à la même période, mené des collectes en ce sens.

L’objectif affiché ? Récolter des « témoignages de toutes sortes produits par nos concitoyens contraints à rester chez eux pour lutter contre l’épidémie1 ». Une démarche similaire a été proposée au printemps 2020 par le Mucem avec la collecte participative « Vivre au temps du confinement2 », pour laquelle des objets, pris en photo par les publics du musée, ont été proposés pour faire partie des collections et des archives du musée. Cette collecte participative a été l’opportunité pour moi d’imaginer un projet pédagogique impliquant les étudiant·e·s du Master 1 Culture et Communication3 d’Avignon Université et trois directions du Mucem : conservation, publics et recherche.

Ce projet a été construit autour d’une interrogation qui constituera également le fil rouge de ce chapitre : comment constituer une mémoire commune des gestes, des pratiques et des émotions reconfigurées par la crise sanitaire du Covid-19 ? Comment les citoyens s’ajustent-ils face à cette reconfiguration de leur « territoire » de vie et mettent-ils en récit ces expériences ?

Pour ce faire, je présenterai dans un premier temps comment ce projet pédagogique s’inscrit dans l’intérêt que porte le Mucem pour la participation des publics et l’enquête-collecte. Dans un second temps, je proposerai une analyse raisonnée de la plateforme « Vos proches et vous au temps du (dé)confinement ». Les images recueillies ont donné lieu à une co-interprétation s’inscrivant dans la filiation de démarches en « sémiotique sociale » dont je préciserai les contours.

« Vivre au temps du confinement » : comprendre la structuration d’un projet pédagogique autour d’une collecte participative

Le 20 avril 2020, le Mucem lance un appel aux dons pour une « collecte participative4 » à travers ses réseaux sociaux, sa lettre d’information et la presse quotidienne régionale :

Proposez les objets ou documents qui pour vous, symbolisent, incarnent, traduisent votre quotidien confiné. Quels sont selon vous les objets qui parlent de la situation dans laquelle vous vivez, travaillez, passez le temps ou encore enseignez à vos enfants ? Quels objets traduisent la manière dont vous organisez vos sorties, vos relations avec les autres, proches ou lointains, chez vous et à l’extérieur, en France ou à l’étranger ?

540 propositions de dons ont été adressées au Mucem. Dans un communiqué de presse en date du 5 juin 2020, les équipes du musée tentent une première classification : on retrouve notamment des objets de protection et de prévention (attestations, masques), des objets en soutien au monde soignant (ustensiles, banderoles, enregistrements sonores d’applaudissements à 20h), des objets témoignant d’occupations créatives, productives ou sportives (ustensiles de cuisine, créations artistiques…), des objets signifiant le temps qui passe (calendriers), des objets symboles d’une reconfiguration des rapports entre extérieur et intérieur (chaussures, clés) et enfin, des objets cristallisant la transformation brutale des sociabilités (objets technologiques, images d’écrans).

Cette collecte s’inscrit plus largement dans l’intérêt qu’accorde le Mucem à la participation (Varine 1991) des publics, élément au cœur de son projet scientifique et culturel (« Projet scientifique et culturel » 2016, 71).

Cet intérêt pour la participation se traduit concrètement par l’organisation régulière d’enquêtes-collectes auprès de la société : ces dernières visent à combiner une enquête ethnographique pour observer un fait de société, avec la récolte de témoignages matériels et immatériels destinés à enrichir les archives et les collections du musée. Les enquêtes-collectes5 constituent le cœur de la politique scientifique du Mucem : je pense ici par exemple aux enquêtes menées par Georges-Henri Rivière à propos de l’Aubrac et du Châtillonnais entre 1964 et 1968. Elles ont par ailleurs été relancées depuis les années 2000 avec la préfiguration du musée autour de thématiques telles que l’histoire et les mémoires du SIDA, la production et l’inscription urbaine des tags et des graffs ou encore les sociabilités liées au football.

Initié de septembre 2020 à janvier 2021, le projet pédagogique mené à Avignon Université s’inscrit dans un contexte de forte interrogation de plusieurs services du Mucem quant aux formes de valorisation à imaginer de la collecte « Vivre au temps du confinement ». Les étudiant·e·s du Master 1 Culture et Communication ont été impliqué·e·s dans ce projet pédagogique co-animé avec Aude Fanlo, directrice de la recherche au Mucem, sous deux formats complémentaires : d’une part, ils et elles ont été invité·e·s à proposer par groupe des préfigurations d’actions de médiation, d’expositions ou de programmation culturelle qui pourraient être proposées par le musée dans les années à venir. D’autre part, ils et elles ont procédé à une collecte de photographies et de témoignages autour de la crise sanitaire : pour cela, ils et elles ont créé et animé une « plateforme contributive culturelle », soit un « dispositif numérique où le public, appelé contributeur dans ce contexte, peut reconnaître, définir ou créer les objets qu’il considère comme faisant partie de sa culture » (Severo 2021). Ce chapitre sera l’occasion de me concentrer sur cette deuxième initiative, intitulée « Vos proches et vous au temps du (dé)confinement6 ».

Vos proches et vous au temps du (dé)confinement : analyse raisonnée d’une plateforme contributive culturelle

Un projet co-élaboré avec les étudiant·e·s du Master Culture et Communication d’Avignon Université

Capture d’écran de la page d’accueil du site web collecte « Vos proches et vous au temps du (dé)confinement », https://docovid19.gogocarto.fr/, 2020

Plusieurs raisons m’ont amené à proposer ce choix : d’une part, le contexte sanitaire à la rentrée 2020, instable et pour lequel les étudiant·e·s et moi avons convenu que le dispositif de collecte devrait être accessible à distance, notamment en cas de reconfinement. D’autre part, j’ai développé ces dernières années un vif intérêt pour l’injonction à la participation, que ce soit sous la forme d’une incarnation sociotechnique dans les institutions culturelles (scénographie, signalétique, dispositifs) ou de discours incitant à l’implication des publics sous la forme de « communautés participatives » (Appiotti 2019). J’entends par là « un agrégat de publics dont l’homologie n’est pas tant fondée sur des déterminations culturelles, économiques, politiques ou encore sociales, que sur une capacité commune à être dans l’activité et à s’impliquer, selon différents formats et modalités, dans la création, la diffusion, la médiation, la médiatisation et/ou le financement d’un objet culturel ou patrimonial » (Appiotti 2019).

Par ailleurs, dans le cadre d’un cours co-élaboré avec Lisa Chupin sur les cultures visuelles des données, je me suis intéressé de plus près aux dynamiques propres des sciences participatives, du crowdsourcing et de la « documentarisation participative » (Chupin 2016) par la mise en place ces dernières années de plateformes contributives : je pense notamment à des initiatives telles que les Herbonautes7, Tela Botanica8 ou Zooniverse9.

Ayant apprécié les fonctionnalités de géolocalisation contributive mises en place pour le projet « Vitrines en confinement10 » (Gensburger et Severo 2021), j’ai également choisi d’utiliser la plateforme Gogocarto. Cet « architexte11 » (Jeanneret et Souchier 1999) a l’avantage d’être open source, de permettre la publication d’un site web de type CMS12 autour de fonctionnalités de géolocalisation contributive : les internautes peuvent à la fois parcourir la carte et consulter des fiches géolocalisées, mais également proposer des contributions pour enrichir ces dernières.

Plusieurs choix éditoriaux ont été co-décidés avec huit étudiant·e·s nommé·e·s « référent·e·s de la collecte » auprès de leurs groupes de travail respectifs. Là où le « défi collaboratif » Vitrines en confinement a choisi de se concentrer sur les vitrines et les façades visibles lors des brèves sorties autorisées pendant le printemps 2020, nous avons privilégié des thématiques plus larges, dont nous pensions initialement qu’elles permettraient de documenter à la fois le premier confinement et le déconfinement de l’été 2020. Menée du 19 octobre au 26 novembre 2020, cette initiative coïncide en réalité avec le début du second confinement en France, que la collecte a également permis de documenter.

Quatre thématiques ont été imaginées par les étudiant·e·s :

  • S’informer : « Consignes sanitaires liées au Covid-19, actualités du confinement et du déconfinement : notre rapport à l’information et aux médias a été bouleversé ces derniers mois. Dans cette catégorie, vous pourrez par exemple poster des captures d’écran, des images marquantes, des actualités, en lien avec le confinement, et qui renseignent de la manière dont vous vous informez pendant cette période ».
  • Culture, divertissement et loisirs : « Décoration, cuisine, objets faits maison (DIY – Do It Yourself), jeux vidéo, sport en ligne, sport en extérieur, série Netflix sous un plaid : si vous avez documenté vos pratiques culturelles, de divertissement et de loisirs du (dé)confinement, vos témoignages nous intéressent ! »
  • Contester : « Faire entendre sa voix ; manifester, dans la rue ou depuis ses fenêtres, être contre l’urgence sanitaire ou le port du masque. Les exemples de contestation et de résistance sont nombreux depuis le début de cette crise sanitaire, n’hésitez pas à nous les partager ! »
  • Vivre ensemble, vivre seul : « Confinement en solo, en famille ou avec vos amis, distanciation sociale, fermeture des frontières, couvre-feu, limitation des rassemblements publics, rapport à l’ennui, apéro en visio, communication à distance ou avec vos proches (voisins) : comment vivez-vous les changements de notre rapport aux autres et à soi-même pendant cette période ? »
Capture d’écran de l’interface de géolocalisation des contributions et de filtrage par catégorie, collecte « Vos proches et vous au temps du (dé)confinement », [https://docovid19.gogocarto.fr/annuaire#/carte/[at]46.33,2.50,6z?cat=all], 2020

La collecte comporte au total 220 contributions et plus de 300 photographies. Deux thématiques concentrent la majorité des contributions : « Vivre ensemble / vivre seul » (117 contributions) ; « Culture, loisirs et divertissement » (96 contributions). Si la majorité des contributions a été localisée en France, des contributeur·trice·s de 17 autres pays d’Europe, d’Amérique et d’Asie ont proposé leurs images, les étudiant·e·s ayant notamment sollicité leurs cercles amicaux et familiaux à l’étranger afin qu’ils participent à la collecte.

La collecte a plus largement été relayée par l’université, le bouche-à-oreille et l’usage des réseaux sociaux par les étudiant·e·s, ce qui a permis d’atteindre un public essentiellement d’étudiant·e·s français et étrangers et de leurs proches, et plus secondairement d’enseignant·e·s et de personnels administratifs. Il me semble également de préciser que certain·e·s contributeur·trice·s ont pu poster pour d’autres, soit en raison de difficultés de prise en main de la plateforme, soit du fait de la possibilité laissée par les étudiant·e·s de publier les images reçues sur Facebook ou Instagram.

Une volonté de co-interpréter les images collectées

Une fois la collecte terminée, j’ai privilégié une démarche de co-interprétation des images avec différents groupes d’étudiant·e·s. En cela, je m’inscris dans la filiation des travaux sur la sémiotique sociale (Saemmer et Tréhondart 2020)(Saemmer et Tréhondart 2022), qui a pour objectif de saisir ce qui motive la sémiose chez le sujet, y compris chez le·la chercheur·e expert·e, à partir de la confrontation d’hypothèses interprétatives sur le terrain, d’une réflexion sur les « savoirs situés » (Haraway 2007) et les « habitudes de pensée », au sens d’un « habitus de pensée » (Lorusso 2019)(Darras 2006).

Cette collecte m’a permis de documenter le plus finement possible l’interaction entre les matières graphiques, textuelles et visuelles articulées sur un support par une instance d’énonciation et les « filtres interprétatifs » à travers lesquels les étudiant·e·s et moi-même interprétons ces matières. La scientificité de cette démarche s’évalue par rapport à la précision avec laquelle les « savoirs situés » (Haraway 2007) mobilisés dans le processus interprétatif sont décrits dans l’interaction avec les signes.

Des images et des catégories : pistes analytiques et réflexives

Étant donné l’inégale répartition des contributions en fonction des thématiques proposées, j’ai proposé aux étudiant·e·s de co-interpréter principalement les catégories « Vivre ensemble / vivre seul » et « Culture, loisirs et divertissement ».

Tableau synthétique de co-interprétation de la catégorie « Vivre ensemble / vivre seul », collecte « Vos proches et vous au temps du (dé)confinement
Catégorie « Vivre ensemble / Vivre seul » Catégorisation d’images proposée
Groupe 1

Se connecter

Se déconnecter

Entreprendre

S’adapter

S’arrêter

S’aimer

Groupe 2

Le temps qui passe

Investir de nouveaux lieux

Le rapport modifié à l’extérieur

Le bouleversement des espaces relationnels

Groupe 5

Créations artistiques

Bien se nourrir

Masques et autres matériaux sanitaires

Animaux

Jardin

Vues depuis les fenêtres

Cours en ligne

Maintenir le lien

Le vide

Retour à la nature

Activités

Déconfinement

Espoirs et sourires

Une remarque liminaire que l’on peut faire est la forte porosité existante entre la catégorisation proposée par le Mucem et les étudiant·e·s. Le groupe 2 indique à ce sujet s’être « notamment inspirées de la présentation d’Aude Fanlo, chargée de mission au département de la recherche et de l’enseignement, au Mucem. De ce fait, ainsi qu’elle l’avait mentionné, les notions d’espace et de temps sont centrales. »

Un premier regroupement s’opère autour du bouleversement émotionnel et relationnel que représente le (dé/re)confinement : « Espoirs et sourires », « Maintenir le lien », « Le bouleversement des espaces relationnels » ou « S’aimer » en sont des exemples révélateurs. Dans ces catégories, les étudiant·e·s ont regroupé des images en lien avec les êtres aimés, la solitude ou les activités sociales à distance.

Le groupe 2 souligne à ce sujet « la diversité de ce que peut représenter “vivre ensemble” et les solutions de chacun pour communiquer et pallier la solitude. Par conséquent, plusieurs photographies mettent en scène les relations numériques par les cours en ligne ou les apéros en visio. D’autres sont encore plus imaginatifs, et une contribution propose même de dessiner les êtres aimés. »

Le groupe 5, de son côté, insiste sur le sentiment de solitude et sa matérialisation dans la collecte d’images, avec les contributions « Solitude » (Bourgoin-Jallieu), « Solitude commune » (Toulouse) et « Portraits des êtres aimés dans la solitude » (Acacias).

« Solitude commune », Toby ©, collecte « Vos proches et vous au temps du (dé)confinement », 2020

Un autre faisceau d’interprétation s’est concentré sur la mutation des rapports à l’espace et au temps, avec les catégories « Le temps qui passe », « Investir de nouveaux lieux », « Jardin », « Vues depuis les fenêtres » ou « Vide ».

Le groupe 2 met par exemple en avant le fait que :

le rapport à l’extérieur semble différent, et beaucoup de personnes témoignent des espaces extérieurs de leur vie quotidienne à présent transformés. Ainsi, nous documentons les rayons de papier-toilette à Tallin (“J’ai décidé de continuer mon Erasmus en Estonie pendant la période du confinement, et quel plaisir de ne pas avoir eu de pénurie de papier-toilette !”), le centre-ville de Bordeaux abandonné ou encore les rues de Montpellier désertes.

« Rayon de papier-toilette », Claire A. ©, collecte « Vos proches et vous au temps du (dé)confinement », 2020

Je poursuis la synthèse des co-interprétations en m’intéressant désormais à la thématique « Culture, loisirs et divertissement ».

Tableau synthétique de co-interprétation de la catégorie « Culture, loisirs et divertissement », collecte « Vos proches et vous au temps du (dé)confinement
Catégorie « Culture, loisirs et divertissement » Catégorisation d’images proposée
Groupe 6

Les sorties au grand air et les plaisirs de la nature

Les arts plastiques et les activités manuelles

Les lieux publics : entre vide et plein

Le sport

La cuisine

Les activités pour se divertir et s’occuper

Le télétravail : une nouvelle relation à l’ordinateur

Les masques : un objet central

Prendre soin de soi et de son environnement

Les enfants

Rire du confinement

Groupe 7

Garder la forme

L’appel de la nature

Combattre l’ennui

Les essais culinaires

Un temps suspendu

Groupe 8

Humour et citations

Vivre et s’occuper chez soi

Créations DIY

Lieux culturels et touristiques

Nature

Un premier regroupement s’opère autour de la relation à l’extérieur, avec « Nature », « L’appel de la nature » ou encore « Les sorties au grand air et l’appel de la nature ». Se superposent ici l’euphorie liée au déconfinement de l’été 2020, le recouvrement de la liberté de déplacement, et une nostalgie de la nature, alors même que la temporalité de la collecte correspond à un reconfinement dans des espaces clos.

Le groupe 6 remarque ainsi que :

Près de 20 % des participations dans la catégorie « Culture, divertissement, loisirs » montrent des grands espaces verts, des parcs ou des jardins. Que ce soit la joie de sortir pendant le confinement ou celle de pouvoir de nouveau se balader aussi loin que l’on veut et aussi longtemps que l’on veut au moment du déconfinement, il ressort de cette collecte une redécouverte des plaisirs de la nature et du grand air, qui sont parfois venus à nous manquer.

Le groupe 7 abonde en ce sens, en proposant une interprétation du déconfinement comme opportunité de se reconnecter à « la nature, proche de leur hébergement, ou encore de la retrouver […]. En effet, cette quarantaine a mis en perspective le besoin de chacun d’aller à l’extérieur, de se balader voire même faire des randonnées, afin d’observer de magnifiques paysages. »

« Découverte des Pyrénées 2020 », Steffi Thies ©, collecte « Vos proches et vous au temps du (dé)confinement », 2020

Un second regroupement dans cette thématique s’opère autour des activités manuelles, artistiques, créatives ou productives permettant de s’occuper, de se divertir et de s’évader. On retrouve ici des catégories telles que les « Créations DIY », « Les essais culinaires » ou « Les arts plastiques et les activités manuelles ».

Conclusion

Menée en écho à l’importance accordée par le Mucem à l’enquête-collecte comme moyen d’investiguer et d’exposer des faits de société, la collecte « Vos proches et vous au temps du (dé)confinement » menée par les étudiant·e·s d’Avignon Université est une incursion visuelle singulière dans leur quotidien bouleversé par la crise sanitaire.

Ce projet a également permis, par la pratique de la collecte et sa co-interprétation, de mieux appréhender les reconfigurations émotionnelles, spatio-temporelles et sociales engendrées par le Covid-19.

Dans cette optique, le groupe 2 estime que « notre collecte et celle du Mucem se rejoignent dans le fait qu’elles se sont intéressées au quotidien de chacun et qu’elles permettent de témoigner d’un enjeu de société contemporain. Par ailleurs, elles encouragent la participation de tous, et donnent alors une vision vaste de nos confinements. Toutes les contributions participent à la création d’une œuvre, d’un témoignage collectif ». Il me paraît toutefois important de prendre ici une distance critique par rapport à cette illusion du participatif pour toutes et tous que la plateforme contributive permettrait, tant le dispositif et le cadrage de la collecte par ses concepteur·trice·s influent sur les profils des contributeur·trice·s et la nature des contributions proposées.

Interroger les témoignages autour de la crise sanitaire du Covid-19, notamment via les collectes menées par les archives, les bibliothèques ou les collectifs citoyens, représente un enjeu majeur de recherche et de société pour les années à venir.

Je souhaiterais à l’avenir approfondir mes analyses sur ce sujet afin d’appréhender si la collecte participative peut être un outil mis au service d’une pédagogie réflexive sur la production et la réception des images témoignant de faits de société contemporains.

Appiotti, Sébastien. 2019. « Les usages du crowdfunding en contexte patrimonial (États-Unis / France) ». In Financement participatif: les nouveaux territoires du capitalisme, par Loïc Ballarini, Stéphane Costantini, Marc Kaiser, Jacob Matthews, et Vincent Rouzé, 59‑80. Nancy, France: PUN Éditions universitaires de Lorraine.
Chupin, Lisa. 2016. « Documentarisation participative et médiation du patrimoine scientifique numérisé. Le cas des herbiers ». Études de communication, nᵒ 46 (juin):33‑50. https://doi.org/10.4000/edc.6499.
Darras, Bernard. 2006. « L’enquête sémiotique appliquée à l’étude des images. Présentation des théories de C. S. Peirce sur la signification, la croyance et l’habitude ». In L’image entre sens et signification, par Anne Beyaert-Geslin, Publications de la Sorbonne, 15‑34. Paris.
Gensburger, Sarah, et Marta Severo. 2021. « L’espace public du confinement. Archives, participation et inclusion sociale ». Revue d’histoire culturelle. XVIIIe-XXIe siècles, Les usages du temps libre, nᵒ 3 (octobre). Association pour le développement de l’histoire culturelle (France) ; Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03509986.
Haraway, Donna Jeanne. 2007. Manifeste cyborg et autres essais: sciences, fictions, féminismes. Édité par Laurence Allard, Delphine Gardey, et Nathalie Magnan. Paris: Exils éditeurs.
Jeanneret, Yves, et Emmanuël Souchier. 1999. « Pour une poétique de l’écrit d’écran ». Xoana, 97‑107.
Jeanneret, Yves, et Emmanuël Souchier. 2001. « Présentation ». Communication & Langages 128 (1):33‑33. https://doi.org/10.3406/colan.2001.3072.
Lorusso, Anna-Maria. 2019. « Sémiotique et culture ». In La sémiotique et son autre, par Amir Biglari, 161‑76. Paris: Éditions Kimé.
« Projet scientifique et culturel ». 2016. Marseille: Établissement public du Mucem. https://www.mucem.org/sites/default/files/2017-04/psc_mucem_2017.pdf.
Saemmer, Alexandra, et Nolwenn Tréhondart. 2020. « Remonter aux motivations sociales et politiques du regard. Éléments d’une méthode en sémiotique sociale ». MEI 59:101‑13.
Saemmer, Alexandra, et Nolwenn Tréhondart. 2022. Sur quoi se fondent nos interprétations ? Introduction à la sémiotique sociale. Lyon: Presses de l’ENSSIB.
Severo, Marta. 2021. « Plateforme contributive culturelle ». Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/plateforme-contributive-culturelle/.
Varine, Hugues de. 1991. L’initiative communautaire: recherche et expérimentation. Mâcon, France: Éditions W.

  1. Mémoires de confinement, France Archives, 2021. Disponible à l’adresse : https://francearchives.fr/fr/actualite/224765841. Consulté le 3 mars 2022.↩︎

  2. Vivre au temps du confinement, la collection, Mucem, 2022. Disponible à l’adresse : https://www.mucem.org/vivre-au-temps-du-confinement-la-collection. Consulté le 3 mars 2022.↩︎

  3. Les étudiant·e·s ayant participé à ce projet proviennent de deux parcours (Arts et Techniques des Publics ; Médiation, Musée et Patrimoine) du Master Culture et Communication d’Avignon Université. Leur implication dans ce projet a été remarquable, dans un contexte sanitaire, personnel et universitaire délicat. Qu’elles et ils en soient ici remercié·e·s.↩︎

  4. Appel aux dons pour une collecte participative, Mucem, 2020. Disponible à l’adresse : https://www.mucem.org/collecte-participative-vivre-au-temps-du-confinement. Consulté le 3 mars 2022.↩︎

  5. Enquêtes-collectes, Mucem. Disponible à l’adresse : https://www.mucem.org/recherche-et-formation/enquetes-collectes. Consulté le 3 mars 2022.↩︎

  6. Vos proches et vous au temps du (dé)confinement, Gogocarto. Disponible à l’adresse : https://docovid19.gogocarto.fr/. Consulté le 3 mars 2022.↩︎

  7. Les Herbonautes, MNHN / Recolnat / Tela Botanica. Disponible à l’adresse : http://lesherbonautes.mnhn.fr/. Consulté le 3 mars 2022.↩︎

  8. Tela Botanica. Disponible à l’adresse : https://www.tela-botanica.org. Consulté le 3 mars 2022.↩︎

  9. Zooniverse. Disponible à l’adresse : https://www.zooniverse.org/. Consulté le 3 mars 2022.↩︎

  10. Vitrines en confinement, Gogocarto. Disponible à l’adresse : https://vitrinesenconfinement.gogocarto.fr/.

    Voir également l’éditorialisation de la collecte sous la forme d’une « base de données participative Vitrines en confinement – Une mémoire visuelle du (dé/re)confinement ». Disponible à l’adresse https://vitrinesenconfinement.huma-num.fr/. Consulté le 3 mars 2022.↩︎

  11. Yves Jeanneret et Emmanuël Souchier appellent « architextes » les cadres, formulaires et menus normés, les prescriptions et injonctions qui, dans les « médias informatisés », formatent et guident les pratiques expressives.↩︎

  12. Le Content Management System (Système de Gestion de Contenus) est une interface numérique entre un serveur de site web et l’utilisateur. Ce type d’interface logicielle est accompagné d’un « discours d’escorte » (Jeanneret et Souchier 2001) insistant sur une plus grande facilité de création et de mise à jour des contenus d’un site web. En contrepartie, les CMS ont tendance à orienter plus fortement les pratiques et à uniformiser les contenus produits.↩︎