Documentation par un tiers médiateur de démarches participatives de conception et de prototypage
François Millet
Le Dôme est un tiers lieu culturel situé à l’entrée de la Presqu’île de Caen, espace de friches et d’activités économiques multiples, à la fois espace de patrimoine naturel et de mémoire de l’activité industrielle de l’agglomération. Il déploie une méthodologie de type Living Lab pour permettre la participation de ses publics à des projets de recherche création, recherche action et autre programme d’innovation populaire. L’essentiel de ces activités fait l’objet de restitutions et de documentations - de formes et de natures variées, plus ou moins retravaillées - qui sont comme autant d’écrits et de témoignages collectifs capitalisés et diffusés numériquement. En s’appuyant sur le cas pratique d’un projet de production sauvage de signalétiques urbaine révélant des parcours de mémoire et de patrimoine de la Presqu’île de Caen, cet article propose d’affiner une cartographie des formats de documentation de telles démarches participatives. Il questionne également les nouvelles formes d’écriture collective proposées par les activités de co-desing, ainsi que la place et les usages de ces écritures pour un tiers-lieu dédié à la recherche participative.
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Introduction

L’association normande Relais d’sciences s’inscrit dans le paysage de la culture scientifique, technique et industrielle (CSTI) où il est rarement question de laisser les publics bouleverser, par leurs apports, les résultats et les propositions énoncées. Mais cette association s’inscrit moins dans une posture de vulgarisation que dans la création de temps, de lieux et de conditions permettant à des personnes qui n’auraient pas l’occasion de le faire autrement de se rencontrer, de débattre et d’échanger (Gillet 1998). C’est dans ce contexte que Relais d’sciences a rejoint en 2011 le Programme des Investissements d’Avenir Inmediats qui l’a amené à modifier en profondeur son offre culturelle et ses méthodes de médiation pour aboutir en 2015 à l’ouverture du Dôme à Caen en Normandie.

Le Dôme s’inscrit dans la mouvance actuelle des tiers-lieu, entendu comme « des lieux de partage, de socialisation, mais aussi d’innovation et d’entreprenariat » recouvrant de nombreuses réalités et bénéficiant d’un renouveau d’intérêt ces dernières années (Burret 2015). Il est pensé comme un espace de recherches et d’innovations participatives avec les publics mais s’appuie une logique de programmation et d’action qui l’assimile au concept plus récent de tiers-lieux culturels qui « promeuvent une culture de l’expérimentation, de la mise en scène et de la coproduction des savoirs et des cultures » (Besson 2018).

Il est situé à l’entrée de la presqu’île de Caen, un espace de friches et d’activités économiques multiples, à la fois espace de patrimoine naturel et de mémoire de l’activité industrielle de l’agglomération. Il dispose d’une résidence de projet réunissant des équipes de recherches, des chambres consulaires, des entreprises, des associations culturelles et d’éducation populaire, des structures de formation et d’insertion professionnelle. Le Dôme dispose également d’un atelier de fabrication numérique de type Fab Lab1 ouvert au public. Enfin, il déploie une méthodologie de type Living Lab pour permettre la participation de ses publics à des projets de recherche-création et de recherche-action et à d’autres programmes d’innovation participative. Une grande part de ses activités collaboratives fait l’objet de restitutions et de documentations – de formes et de natures variées, plus ou moins retravaillées – qui sont autant d’écrits et de témoignages collectifs, capitalisés et diffusés numériquement.

C’est le cas d’un projet d’intervention en milieu urbain actuellement en cours et baptisé Presqu’en Fabrique, qui réunit enseignement supérieur, établissements culturels, habitant·e·s et usager·e·s de la presqu’île de Caen et qui doit aboutir à la production de panneaux signalétiques révélant des éléments de parcours, de mémoire et de patrimoine de cette presqu’île.

Après avoir resitué la démarche Living Lab et ses principes, puis le positionnement de ses productions dans l’échelle de la participation, cet article propose d’affiner une cartographie des formats de documentation de telles démarches participatives. Enfin, en s’appuyant sur le projet d’urbanisme tactique Presqu’en Fabrique, il questionnera de nouvelles formes d’écriture collective proposées par les activités de co-design ainsi que la place et les usages dans ces écritures d’un tiers-lieu dédié à la recherche participative.

Démarche Living Lab et échelle de la participation

Pour l’énoncer simplement, un Living Lab (« laboratoire vivant ») est une organisation regroupant des acteurs issus de milieux diversifiés – recherche, industrie, collectivité – dans le but de co-concevoir des produits et des services, en accordant aux usager·ère·s une « place active » à l’occasion d’ateliers et de rencontres participatives. La mission revendiquée des Living Lab (LL) est de partir d’éléments de connaissance informels portés par des « usager·ère·s » – l’expertise de leurs usages – et d’en rendre compte pour orienter la production d’innovation·s.

Aujourd’hui, les LL ont comme objectifs de répondre à des problématiques concrètes dans une variété de domaines allant de l’agriculture à la santé, en passant par l’inclusion, la mobilité, l’environnement, la démocratie participative ou l’urbanisme.

Cinq étapes sont proposées par Dubé et al. (2014) pour formaliser un parcours Living Lab :

La participation des publics dans ces étapes suit une échelle qui conditionne également la nature de ce qui est « écrit ».

Échelle de la participation (Artheau et al. 2014)

Activités et documentation collectives

Ces étapes d’une démarche LL et cette échelle de la participation font appel à différents formats d’activité·s – parfois unique et parfois répétées – à destination de petits groupes ou au contraire adressés à des publics en masse. Les personnes participantes – dont la nature peut varier en fonction des projets, qu’il s’agisse de groupes constitués, d’individuels, de tout âge, toute condition et tout intérêt – vont y manipuler, parler, dessiner, écrire, parfois seuls mais le plus souvent à plusieurs, en dialogue ou en rebond sur les propositions faites par les uns et les autres, personnes intervenantes inclues. Ces contributions se font en suivant des consignes, contraintes et cadres donnés par les personnes en charge de la médiation et de l’animation. Au terme de chaque activité, Le Dôme tente de fournir un certain nombre de livrables reprenant ces productions, qu’il s’agisse d’outils d’information et de vulgarisation pour permettre aux publics de se saisir de la problématique, de restitutions d’ateliers et de leur traduction sous forme de scénario d’usages ou de prototypes conceptuels ou réels pour l’étape de prototypage.

On identifie en premier lieu les éléments de problématisation qui sont le produit de rencontres, d’interviews ou de tables rondes. Qu’ils s’agissent de textes reprenant les morceaux choisis des discussions, de transcriptions littérales ou graphiques saisissant les moments forts de la rencontre, d’une mise en forme sommaire ou d’une cartographie mentale des éléments de la controverse, ils légitiment les phases suivantes du projet. Ils donnent le cadre dans lequel s’inscrit la recherche et tentent de la rendre accessible au plus grand nombre. Ils présentent les arguments, les points de vue, les opinions et les révèlent en tant que tels.

Ensuite, tous les temps de médiation – qu’il s’agisse de 2 à 3 sessions réparties sur quelques semaines ou de plusieurs dizaines de rencontres sur une temporalité allant de quelques mois à plusieurs années – sont parsemées de questions et de réponses autour des sujets soulevés par le projet. Au fil des sessions, une foire aux questions apparaît qui trouve ses réponses en direct ou a posteriori par la sollicitation d’expert·e·s. Cette FAQ constitue aussi un espace de réflexivité pour les équipes de recherche impliquées. Toute participation ne génère pas de contributions fortes et élaborées. Certaines sont restreintes à la réponse à un questionnaire ou à la formulation d’idées. Leur restitution la plus simple consiste à les énumérer. Dans une version plus élaborée, elles peuvent être organisées, cartographiées, regroupées en des ensembles thématiques plus explicites et convergents. Elles peuvent être accompagnées de la captation des textes et croquis réalisés lors des activités, voire de la méthode de médiation utilisée. Enfin, une synthèse graphique peut être réalisée pour donner rapidement à voir l’étendue des productions.

Lors des temps de co-création, des scénarios sont enrichis et affinés. Ils traduisent les usages, les objets, les organisations et les méthodes formalisés par les participants. Ils font figure de concepts problématisés renvoyant aux restitutions des étapes précédentes. À ce stade, l’accompagnement se limite à la mise en forme, à l’aide à la structuration du propos et à la mise en page. Il peut aussi s’attacher à la reformulation graphique, à la construction de visuels qui rendent intelligibles, voire attractifs, les scénarios. Ces documents sont ceux qui ont le plus large spectre d’utilisation.

Aux étapes d’expérimentation ou de fabrication, les restitutions renvoient aux outils utilisés par les communautés : plateforme de dépôt de code, de plans, de protocoles d’expérimentation, espace de forum ou de réseaux sociaux dédiés. La matière produite par la communauté agissante échappe alors à la structure de médiation, sauf à mettre en œuvre un travail conséquent d’animation de cette communauté ou à conditionner l’accès à l’outil d’expérimentation par la documentation des travaux. Dès lors que le carnet de recherche devient participatif, il en devient donc moins accessible pour un travail de diffusion extérieure à sa communauté de production – pour des raisons de motivation, de jargon, de sous-entendus et de non-dits liés à la connaissance inter-individus, d’intégration de significations spécifiques liées à la pratique et l’histoire commune, de structuration voire de compétence de documentation – jusqu’à ce qu’une ou plusieurs personnes ne se donnent pour mission et expertise d’assurer cette fonction et exigence de diffusion.

Les interviews et « portraits » sont les derniers éléments caractérisés, qu’ils concernent les expert·e·s invité·e·s, porteur·e·s du projet ou les participant·e·s. Ils sont fortement orientés par la structure qui cadre l’entretien et sa mise en forme – article, podcast ou vidéo – et constitue l’un des éléments les plus scénarisés.

L’ensemble de cette documentation est accéléré par le fait que Le Dôme s’est doté des outils et services permettant d’héberger, de structurer et de valoriser cette documentation des projets. Outre les plateformes de diffusion constituées par un ensemble de média sociaux, Le Dôme dispose :

Le Dôme s’incarne ainsi comme l’interface physique d’un univers numérique cohérent, un espace tiers qui invite comme il facilite (et parfois contraint quand il s’agit d’exercices encadrés d’étudiants) à la documentation sous des formes de restitutions diverses. Enfin, il invite à la production sous licence relevant des Creative Commons (licences CC). Chaque restitution réalisée ou accompagnée par Le Dôme affiche ainsi a minima une licence CC-BY-SA et essaye lorsque c’est possible de faire figurer le nom de l’ensemble des personnes participantes. La documentation des projets sur les plateformes Echosciences et FabManager implique également que l’une des licences en Creative Commons soit choisie.

Les personnes participantes sont informées que cette documentation sera effectuée au terme de l’atelier et qu’une telle licence y sera apposée. La posture de tiers médiateur du Dôme dans la documentation lui confère donc une responsabilité tout comme une fonction pédagogique sur les enjeux portés par les écritures collectives à l’ère du numérique.

Motivations et productions

Les motivations de la documentation sont multiples pour un lieu dédié à la participation des publics. En effet, envisager la mobilisation des participant·e·s sous le seul angle de l’engagement citoyen dans la contribution au bien commun restreint leur motivation à leur militantisme et à leur conviction. Car engager la participation nécessite que celles et ceux qui apportent leur part au projet en retirent également une part (Zask 2011). Assurer la documentation des activités et leur restitution constitue alors la part la plus simple et directe pour en faire bénéficier les participant·e·s. Les chercheurs et la structure de médiation redonnent ainsi à chacun le produit de leur collaboration.

À l’heure où la collecte de données et sa capitalisation constituent un nouveau modèle économique basé sur l’instrumentalisation et la privatisation de la créativité collective, redonner à chacun le fruit de sa contribution constitue une marque déontologique qui peut assurer l’adhésion nécessaire au projet. Documenter et faire restitution d’une recherche participative relève d’une démarche de transparence qui contribue à la confiance et la reconnaissance de la structure de médiation partie prenante de leur mise en œuvre.

Cette documentation permet également de maintenir la participation et de recruter de nouvelles personnes. Elle contextualise le projet, indique aux potentielles recrues son état d’avancement et témoigne de son caractère participatif en incarnant ou rendant visible la diversité des participations et son accessibilité. Elle permet aussi d’intégrer le projet même si on a raté « les premiers épisodes ».

Enfin, cette documentation témoigne de la valeur de connaissance produite par le projet et l’incarne. Il constitue le livrable qui fait somme au terme du projet et qui peut inspirer, essaimer et nourrir de nouvelles initiatives. Il renvoie également au concept de « la traduction », emprunté à Michel Serre, par l’établissement de liens entre des activités hétérogènes et qui donnent à voir le réseau des personnes et des objets qui forment le projet.

Une première cartographie de ces écrits en fonction de leur usages et bénéfices peut être envisagée :

Répartition destinataires/bénéfices des formats et restitution d’un carnet de recherche participative

Les cartographies d’idées, de FAQ et de scénarios d’usages semblent bien constituer une restitution d’un travail d’écriture collective qui passe par de multiples formes. Ces documents sont publiés et livrés comme commun dont on commence également à percevoir la nature en tant que résultat d’enquête pour les équipes de recherche. Ils permettent la reconnaissance de la contribution des publics à la démocratie en tant que participation des individus à l’action collective (Zask 2011).

Mais le résultat de cette écriture collective ne se révèle et ne devient intelligible que par l’action de restitution et de documentation réalisée par la structure de médiation qu’est Le Dôme. Plus précisément, il l’accélère, c’est à dire qu’il n’attend pas que le collectif ou la communauté, qu’il a participé à créer, affirme ou se dote de la volonté, des outils et des compétences nécessaire à la documentation. Il assume ainsi un pouvoir puisque c’est lui qui détient la capacité de produire du commun avec la parole des participant·e·s. Ce pouvoir est néanmoins parfois délégué à la personne ou au groupe à qui Le Dôme confie le travail de restitution – qu’il s’agisse de membres de l’atelier ou du groupe auto-désigné ou non, de personnes extérieures, volontaires ou mobilisées de façon rémunérées ou non – mais toujours sous son contrôle et sa supervision.

Cette posture et ce pouvoir qui pourraient être perçus comme contradictoires avec les aspirations démocratiques revendiquées plus haut n’ont pour l’instant pas été critiqués ou dénoncés par des participant·e·s. Il est surtout un palliatif à une absence, une invitation à la documentation, qui semble en réalité n’être le fait que d’un petit nombre de d’individus au sein de tel groupe sociaux (Belett Vigneron et al. 2019). Reste que « aux médiations continues de tous ceux qui comprennent le message en le transformant, il faut ajouter celle de l’autorité qui distingue, au milieu des transformations, ce qui prolonge le message de ce qui le trahit » (Latour 1993).

En théorie, cette posture ne devrait pas être la même pour les activités qui relèvent du prototypage. En effet, celles-ci sont réalisées au sein du Fab Lab du Dôme. L’esprit qui gouverne à l’existence de ces lieux est celui du commun, et la charte des Fab Lab stipule que les usager·ère·s se doivent de contribuer à la documentation et à la formation des autres. Néanmoins, les usager·ère·s des projets collectifs ne viennent pas en premier lieu au Fab Lab pour ses valeurs, mais tout d’abord pour les services qu’il rend. Sauf à appliquer des méthodes coercitives, l’acte volontaire de documentation reste donc encore minoritaire chez les usager·ère·s du Fab Lab du Dôme si elle est laissée à leur discrétion.

L’exemple de Presqu’en fabrique : une écriture par l’acupuncture urbaine

C’est dans ce contexte que Le Dôme s’est associé en 2020 avec Le Pavillon, un espace culturel dédié à l’urbanisme, et avec le « Campus des transitions » de Science Po Renne à Caen pour créer un parcours de recherche-action d’urbanisme tactique en prenant la presqu’île de Caen comme terrain d’expérimentation. Rejoint par des étudiant·e·s de l’École de Management de Normandie, ce projet s’est baptisé Presqu’en Fabrique.

En collaboration avec les habitant·e·s et les usager·ère·s de la presqu’île de Caen, Presqu’en Fabrique, propose une approche d’urbanisme tactique, c’est à dire de concevoir des aménagements temporaires sur les espaces urbains délaissés par les pouvoirs publics. Engagée sur des petites échelles (un mobilier urbain, une rue, un quartier), ses installations sont faciles à mettre en place et à démonter, et démontrent les changements possibles pour redonner une vie à ces lieux ou mobiliers.

Concernant la mobilisation des personnes participantes, il repose sur différentes modalités et leviers :

Une première expérience sur les « blocs-bétons » urbains

Un premier programme s’est tenu sur la saison 2020/21, prenant les blocs bétons comme terrains d’expérimentation et se revendiquant d’une « acupuncture urbaine ». Cette appellation fait un parallèle entre la ville et un être vivant et propose de revitaliser des espaces « malades » en s’appuyant sur des « points clés ».

En mars 2021, des participant·e·s ont donc été invité·e·s par les étudiant·e·s à imaginer des usages aux blocs bétons, qui parsèment l’espace urbain et en contraignent ou interdisent des accès ou des usages. Quatre ateliers de conception ont été organisés. De cet exercice sont nées plus d’une cinquantaine de propositions, réduites à 36 grâce à un travail de convergence à grand renfort de votes, de gommettes et de débats entre les étudiant·e·s porteurs du dispositif. L’ensemble de cette démarche a été restituée au sein d’un document en ligne reprenant une partie des textes, des schémas, des dessins et des contributions réalisées par les publics lors des ateliers.2

La nature de ce document relève autant de la notice d’atelier et du scénario d’usage que de la cartographie des idées. Un comité de pilotage – constitués des instigateurs institutionnels du projet – s’est réunis pour rassembler encore les propositions des publics et en sélectionner dix qui ont été soumises à une campagne de vote sur les réseaux sociaux invitant les habitant·e·s de Caen à choisir laquelle des dix propositions d’aménagement éphémères serait implémentée. Pour cela, des visuels explicatifs fruits du travail de co-création ont été produits et diffusés sur les réseaux sociaux. 470 votes ont eu lieu et trois scénarios ont ainsi été sélectionnés impliquant la transformation des blocs bétons en espace de végétalisation, de jardinage urbain et de lieu de vie temporaire.

De nouveaux ateliers participatifs se sont ensuite tenus en juin 2021. Les trois thèmes ont été réinterprétés sous la forme d’une construction de jardinière d’une part et de jeux d’autre part. Les prototypes ont été installés sur les blocs bétons au pied du Dôme. Ils ont été documentés, mais aucun plan ou notice n’est encore diffusées ou accessibles en ligne. Un témoignage de cette étape finale a néanmoins été réalisé sous la forme d’un billet de blog3 écrit par l’étudiant en charge du projet dans le cadre de son alternance au Dôme. Il reprend notamment quelques photos de la fabrication et de la mise en test des prototypes.

Photos de la phase d’installation et de mise en test des prototypes sur blocs-béton

Deuxième expérience sur un parcours urbain d’interprétation

Une seconde démarche a été lancée par Presqu’en Fabrique sur la saison 2021/22. Celle-ci doit aboutir à la co-création et au détournement de panneaux signalétiques qui seront fabriqués au Fab Lab du Dôme puis installés sur la presqu’île de Caen. Cette expérience diffère de la première dès ses premières étapes.

Les étudiants ont été amenés à parcourir l’espace de la presqu’île de Caen pour cartographier les espaces à doter de panneaux signalétiques. Après une approche classique marquée par le report sur carte et sur plans de l’emprise au sol, ils ont été invités à parcourir cet espace et à l’interpréter. Ils ont alors choisi de traduire leur découverte au travers de différentes cartographies géographiques révélant l’émotion, l’inaccessible, la matière, les déchets et les rails. En effet, des traverses de fer désaffectées parsèment encore cet espace et demeurent un témoignage de l’activité industrielle de ce territoire, et une trace, une empreinte ou encore une mémoire des trajets et des circulations.

Ces cartes ont été enrichies de photos, réunies et documentées en ligne pour être transmises à un autre groupe qui devra les compléter de nouvelles thématiques telles que l’underground/illégal, le visible/invisible/imaginaire, le temps passé/présent/futur proche ou lointain, le mouvant/vivant/inerte.

Lors des ateliers suivants, des participants extérieurs seront invités à enrichir et critiquer ces cartographies. Puis des parcours seront imaginés avec eux et enfin des panneaux signalétiques censés orienter, guider ou révéler ces parcours, les différentes étapes ou les points remarquables, seront fabriqués et installés dans l’espace public. Les plans des panneaux seront documentés et explicités sur les plateformes Echosciences et Fabmanager. Enfin, il est prévu de réaliser une carte numérique en s’appuyant sur des outils open source et alternatifs au GAFAM tel que Open Street Map.

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Cartographies « Rails » et « matières » de la presqu’île

Réflexions sur la production de valeur en guise de conclusion

Les lieux traditionnels du savoir et de production de la connaissance ne semblent plus être les lieux les plus adaptés pour « répondre aux enjeux du numérique et produire une connaissance tacite issue des contacts informels de la multitude ». Les activités de documentation sont donc constitutifs d’une organisation susceptible de produire « les conditions d’épanouissement de l’intelligence collective, afin de produire en continu des connaissances nouvelles » (Besson 2018).

La documentation des projets s’inscrit donc dans de nombreuses réflexions du Dôme et nous semble être un sujet essentiel pour le futur des tiers-lieux qui se donnent pour vocation d’initier des démarches collectives et participatives. Les objets et les prototypes que nous installons dans l’espace public, ou qui restent en exposition dans Le Dôme comme témoignage et traduction de l’activité, nous semblent y tenir une place particulière. Car encore plus que les scénarios d’usage, ces prototypes – conceptuels comme réels – incarnent la capacité du collectif à avoir une portée sur la vie de la cité autant qu’ils incarnent le lien entre les participant·e·s qui les ont porté, sans distinction de parcours, d’intention ou de prédisposition aux sciences ou aux technologies.

L’importance de ces écritures repose en grande partie sur la nécessité pour des tiers-lieu comme le Dôme d’identifier des éléments d’évaluation de ses activités qui se substituent à la simple fréquentation des publics et au « supplément d’âme » censés présider à l’existence de musées ou de centres de sciences plus traditionnels. Les démarches de recherche et d’innovation participatives, permises par la méthode Living Lab avec ses ateliers participatifs et par des outils comme le Fab Lab, renouvèlent la mesure d’impact sous l’angle d’une grille d’analyse C-S-A, à savoir de valeur de Connaissance (C) scientifique et technique, de mobilisation Sociale (S) et de contribution à des modèles d’Affaires (A).

Dans cette nouvelle grille de lecture, les plans, les prototypes, les scénarios ou toute autre forme de compilations des contributions des publics participent de la stabilisation des idées et prototypes et sont inséparables de la production d’un savoir (Akrich 2006). Ils incarnent et permettent d’objectiver :

La structure de médiation qu’est un tiers-lieu comme Le Dôme peut produire un cadre facilitant la valorisation, le recueil et la diffusion des restitutions et des documentations de projets participatifs. En tant que partie prenante active, elle donne également un cadre, des conditions et des contraintes sans lesquelles ces récits resteraient de l’ordre de l’éphémère. Enfin, en tant qu’intermédiaire, Le Dôme endosse une fonction presque éditoriale vis-à-vis des projets, notamment en créant les conditions de possibilité de cette documentation.

Parce qu’il permet et souvent réalise la sédimentation des récits collectifs qui émergent dans les ateliers Living Lab, et parce qu’il assure une médiation humaine et numérique des prototypes et objets qu’ils engendrent, un tiers-lieu comme Le Dôme contribue à sa façon à une forme de « service public de l’imaginaire, un lieu de possible pour s’inspirer de ce qui est en marche… » (Toledo 2021). Il revêt presque une fonction animiste en fixant un récit, une fiction qui donne la parole à l’inanimé. Une aspiration dont on peut mesurer l’importance dès lors qu’il s’agit de mémoire ou de patrimoine.

Akrich, Madeleine. 2006. « La description des objets techniques ». In Sociologie de la traductions : textes fondateurs, Presses des Mines, 159‑78.
Artheau, Malvina, François Millet, Laurence Battais, Didier Laval, et Ludovic Maggioni. 2014. « Living Lab : une nouvelle forme de rapport au public ».
Belett Vigneron, Nicolas, Xavier Coadic, Émilie Picton, et Sébastien Beyou. 2019. « De l’hypothèse de la documentation comme technique de résistance et du wiki comme objet de ces résistances. ». In Écrire les communs. Au-devant de l’irréversible, par Sylvia Fredriksson et Nicolas Sauret, Sens Public. Canada. http://sens-public.org/articles/1375/.
Besson, Raphaël. 2018. « Les Tiers lieux culturels. Chronique dun échec annoncé ». L’Observatoire 52 (2):17‑21. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01865931/document.
Burret, Antoine. 2015. Tiers lieux et plus si affinités. Editions Fyp. Limoges. https://www.decitre.fr/livres/tiers-lieux-et-plus-si-affinites-9782364051263.html.
Dubé, Patrick, Joelle Sarrailh, Christophe Billebaud, Claire Grillet, Virginie Zingraff, et Isabelle Kostecki. 2014. Qu’est-ce qu’un Living Lab ? Le livre blanc des Living Labs. Montréal In Vivo. https://www.montreal-invivo.com/wp-content/uploads/2019/12/livre-blanc-ll-umvelt-final-mai-2014.pdf.
Gillet, Jean-Pierre. 1998. Animation et animateurs – Le sens de l’action. Paris: L’Harmattan.
Latour, Bruno. 1993. Petites leçons de sociologie des sciences. La Découverte. Paris. https://www.editionsladecouverte.fr/petites_lecons_de_sociologie_des_sciences-9782707150127.
Toledo, Camille de. 2021. Le fleuve qui voulait écrire. Les Liens Qui Libèrent. Paris. http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Le_fleuve_qui_voulait_%C3%A9crire-661-1-1-0-1.html.
Zask, Joelle. 2011. Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation. Le bord de l’eau. Paris. https://doi.org/10.4000/lectures.8055.

  1. Fab Lab (contraction de FABrication LABoratory) désigne un atelier de fabrication partagé entre différents groupes d’utilisateurs, avec un fonctionnement collaboratif.↩︎

  2. Laboratoire Éphémère d’acupuncture urbaine : restitution des ateliers des 10 et 12 mars 2021 / https://www.echosciences-normandie.fr/uploads/attachment/attached_file/23339332/Synth%C3%A8se_des_ateliers.pdf↩︎

  3. https://www.echosciences-normandie.fr/articles/co-prototyper-les-usages-de-demain↩︎