Édition électronique
Marin Dacos
Pierre Mounier
Communications 2011/01/01
Electronic publishing is gradually gaining its independence from traditional publishing. This booming sector can be broken down into three distinct areas : digitization reproduces printed publications in the digital environment ; native digital publishing occurs when the editing process is exclusively grounded on digital format and doesn’t undergo the printing process ; network publishing takes advantage of the opportunities for collaborative writing allowed by the Internet. Starting at different times in the history of electronic publishing, these three approaches now coexist within the same environment centered around the notion of text.

Édition électronique

par Pierre Mounier et Marin Dacos

RÉSUMÉ

L’édition électronique prend progressivement son autonomie par rapport à l’édition classique. Ce secteur d’activité en plein développement doit être décomposé en trois secteurs bien distincts : la numérisation, qui consiste à reproduire des publications imprimées dans l’environnement numérique, l’édition numérique native, qui désigne un travail éditorial dont le support numérique est le pivot, sans passage par l’imprimé, et l’édition en réseau, qui tire partie des possibilités d’écriture collaborative que permet Internet en particulier. Ayant débuté à des moments différents de l’histoire de l’édition électronique, ces trois approches coexistent aujourd’hui au sein d’un même environnement centré sur la notion de texte.

ABSTRACT

Electronic publishing is gradually gaining its independence from traditional publishing. This booming sector can be broken down into three distinct areas : digitization reproduces printed publications in the digital environment ; native digital publishing occurs when the editing process is exclusively grounded on digital format and doesn’t undergo the printing process ; network publishing takes advantage of the opportunities for collaborative writing allowed by the Internet. Starting at different times in the history of electronic publishing, these three approaches now coexist within the same environment centered around the notion of text.

Édition électronique

La massification des usages des technologies numériques en réseau constitue-t-elle une révolution culturelle ? Paradoxalement, la question n’a été posée que récemment dans le débat public et intellectuel. Et si aujourd’hui elle l’est, c’est en termes essentiellement polémiques où s’expriment davantage les intérêts particuliers de tel ou tel acteur industriel inquiété ou, au contraire, favorisé par les évolutions en cours. Particulièrement intenses, ces polémiques mettent au jour une angoisse quasi existentielle pour les métiers de l’édition. Semble en effet menacé l’acte éditorial lui-même, celui qui, par-delà le geste créateur de l’auteur, construit l’oeuvre, en détermine la forme achevée, la distribue et la fait connaître. Car l’éditeur, celui qui porte l’oeuvre de l’auteur vers le public, se trouve à présent dans la plus grande incertitude, dans toutes ses dimensions à la fois : technique, économique, juridique, industrielle. La figure du pirate n’est que l’emblématique avatar d’une inquiétude ancienne, qui trouve ses racines dans la notion de «désintermédiation » , c’est-à-dire la pure et simple disparition de l’intermédiaire éditorial dans le circuit de diffusion de l’information(Le Crosnier 2004). Des phénomènes comme l’ouverture d’archives dans le domaine scientifique, les plates-formes du Web 2.0 pour la production culturelle grand public, l’émergence des pro-am («professionnels-amateurs » )(P. Miller 2004) ont en effet pu laisser penser à une évolution rendant obsolète toute position intermédiaire entre le producteur (auteur) et le consommateur (lecteur). Depuis, les analyses ont pu s’affiner, et plutôt qu’à une disparition de la position éditoriale, c’est à sa transformation qu’il faut penser. De là l’apparition de la notion d’édition électronique, qui se situe à la fois en continuité et en rupture avec les pratiques éditoriales antérieures au numérique.

Une approche historique du développement de l’édition électronique permet de distinguer trois étapes majeures : la numérisation, l’édition numérique, et enfin l’édition en réseau. Par sédimentation, ces trois 47 dimensions cohabitent désormais. On peut donc définir la notion d’édition électronique comme un hyperonyme englobant chacune d’elles. Sur ces trois dimensions de l’édition électronique se greffent d’importants enjeux économiques, technologiques et politiques. Ainsi assiste-t-on à d’amples manoeuvres des géants de l’industrie culturelle pour constituer des plates-formes incontournables dans la diffusion des oeuvres et des idées : Amazon a concentré ses efforts autour du Kindle, sa liseuse, et de son imposant portefeuille de clients ; iTunes est le cheval de Troie d’Apple pour faire converger les pratiques d’achat et de lecture des livres vers l’iPhone, l’iPad, et même les ordinateurs personnels ; Google a misé sur sa puissance de calcul et d’indexation pour construire la plus grande bibliothèque de livres numérisés du monde et devenir l’acteur incontournable de l’édition de demain. Tous se battent pour imposer leur format, leurs protocoles, leur standard sur un réseau traditionnellement neutre et ouvert.

Numérisation

La numérisation consiste à porter et représenter des documents physiques et/ ou leur contenu sous forme numérique. C’est la pratique d’édition électronique la plus ancienne que l’on puisse trouver. La première initiative de numérisation émane d’une impulsion individuelle, celle de Michael Hart, en juillet 1971(Lebert 2007). Le projet s’est développé lentement, puis a été dopé par l’arrivée du Web en 1991. Des bénévoles de plus en plus nombreux l’ont dès lors alimenté en classiques tombés dans le domaine public. En 2008, le Gutenberg Project dépassait le cap symbolique des vingt-cinq mille livres. D’autres bibliothèques numériques, disposant de moyens industriels, sont venues le rejoindre, comme les très connues Gallica et Google Books.

Ces initiatives massives épuisent-elles pour autant la question de la numérisation ? Une étude un peu attentive de ce qui se passe en sciences humaines et sociales prouve le contraire. Car si les premières numérisent de manière relativement indistincte (essentiellement en fonction de la disponibilité documentaire), historiens et littéraires, anthropologues et sociologues cherchent au contraire à constituer des corpus numériques de sources structurées qu’ils pourront exploiter pour mener leurs recherches. Les enjeux portent alors sur la publicisation de ces sources – phénomène assez rare dans ces disciplines – et sur leur exploitation informatique selon plusieurs modèles épistémologiques possibles (textométrie, analyse des réseaux sociaux, exploitation des sources iconographiques). C’est cette dernière dimension qui est conditionnée en amont par un certain nombre de choix éditoriaux faits au moment de la numérisation. L’illusion référentielle est en effet courante qui consiste à penser la numérisation comme une action technique neutre, le simple portage d’un support à l’autre. Cette opération repose en réalité sur un travail de représentation, et donc d’interprétation, de la source. Les choix interprétatifs qui sont faits sont déterminants dès la première photographie de la source au moyen d’un scanner, mais surtout lorsqu’il s’agit de définir l’unité documentaire à partir de laquelle le corpus sera ordonné. La structuration et la finesse des métadonnées décrivant chacun des items numérisés joueront enfin un rôle considérable dans le résultat obtenu(Poupeau 2004).

En ce qui concerne la numérisation des sources textuelles, la recherche, menée pour une bonne part par les linguistes et philologues, s’est cristallisée autour de la Text Encoding Initiative, communauté scientifique internationale ayant en charge de définir une méta-structuration standard pour les textes, d’abord en SGML, puis en XML(TEI 2008).

Édition numérique

Par opposition aux projets de numérisation qui visent à transformer l’information inscrite sur un support physique en information numérique, on désigne par «édition numérique » tout travail d’édition sur des supports qui sont numériques de bout en bout. Le secteur de l’édition connaît depuis très longtemps un phénomène de passage au numérique de sa chaîne de fabrication. L’invention des premiers logiciels de traitement de texte, mais surtout l’arrivée dans les années 1980 sur le marché professionnel des logiciels de publication assistée par ordinateur (PAO) ont constitué une petite révolution interne, prolongée dans le secteur de l’imprimerie par la mise au point des chaînes d’impression numérique(Legendre 2007). Mais le dernier maillon de la «chaîne du livre » , la diffusion au lecteur, est longtemps resté à l’écart de la dématérialisation du fait du maintien du recours au support papier. Les obstacles à cette dernière évolution vers le numérique du secteur de l’édition (presse, revues et livres confondus) sont d’ordre technologique, économique et culturel.

Sur le plan technologique, le retour des liseuses a constitué un changement majeur. Conçu comme une machine à écrire plutôt qu’à lire, l’ordinateur personnel s’est installé dans la plupart des foyers. Toutefois, il est réputé malcommode pour une lecture prolongée de textes longs. C’est d’abord la position, nécessairement appuyée sur une table de travail, qui correspond peu aux différents usages de lecture attendus : dans un fauteuil, dans les transports, au lit, voire dans des conditions plus extrêmes pour les livres pratiques ou les guides de voyage ; c’est ensuite la lecture sur écran LCD rétro-éclairé et à faible résolution qui est censée engendrer une fatigue oculaire excessive. La révolution des supports de lecture s’est longtemps fait attendre, et un premier essai aux alentours des années 2000, avec l’apparition de tablettes de lecture électroniques, fut un échec retentissant en termes d’usage. Depuis 2008, les tablettes redeviennent d’actualité. Ces liseuses s’appuient sur des technologies d’encre électronique plus mûres et moins coûteuses. Mais c’est l’évolution des téléphones portables, transformés en smartphones par le BlackBerry et l’iPhone, qui joue le rôle le plus important dans cette révolution des supports de lecture(Lafrance 2008).

L’économie de l’attention et le phénomène de la longue traîne représentent des contraintes d’ordre économique. L’invention d’un modèle économique est très certainement la grande affaire de l’édition numérique ces dernières années. Le secteur, dont la source de revenus vient des maîtrises juridique, technologique et industrielle de la copie des oeuvres, s’est soudain trouvé déstabilisé par des technologies qui rendent la copie triviale et quasiment sans coût, et par le développement d’usages de «piratage » qui constituent une remise en cause de fait du droit sur la copie. Les technologies numériques sont donc souvent considérées comme une véritable révolution contraignant tous les modèles économiques à se repenser, quoiqu’un certain nombre de leurs propriétés s’inscrivent en réalité dans la catégorie plus large des biens informationnels dont la valeur est déterminée par l’information elle-même plutôt que par le support sur lequel elle est inscrite(Benhamou 2008). Or, dans ce cas, les coûts sont bien plus importants pour la production de l’information que pour sa reproduction. C’est dans cette perspective que s’inscrit la théorie de la «longue traîne » popularisée par le journaliste Chris Anderson(Anderson 2007). Cette théorie économique montre que la dématérialisation des supports de diffusion des biens informationnels rend possibles l’édition et la diffusion d’un très grand nombre de produits touchant chacun un faible nombre de consommateurs, pourvu qu’elle soit concentrée sur des plates-formes centralisées.

Le phénomène de la longue traîne est source de nombreuses difficultés pour les éditeurs traditionnels : ils se retrouvent concurrencés par une multiplicité de nouveaux acteurs, professionnels ou non, qui bénéficient de l’abaissement des barrières d’entrée sur le marché. Le phénomène «tous auteurs, tous journalistes, tous éditeurs » les contraint à se repositionner dans le contexte d’une explosion documentaire qui entraîne une inversion de la relation de rareté entre les consommateurs et les produits disponibles. Ce sont les lecteurs qui désormais sont relativement rares, et non les informations mises à leur disposition. Ce phénomène, qualifié d’ «économie de l’attention » par Herbert Simon(Simon 1971), entraîne une pression vers la gratuité d’accès sur les biens informationnels. La presse peine aujourd’hui à trouver un modèle économique dans ce qu’elle appelle à tort la «culture de la gratuité » , et qui n’est en fait que la conséquence de la longue traîne.

Dans un contexte d’économie de la longue traîne et d’économie de l’attention, de nouveaux acteurs apparaissent, qui bénéficient d’un transfert d’utilité en provenance des producteurs d’information(O. Bomsel 2006). Ce sont ces acteurs qui ont la capacité de trier et de retrouver l’information pertinente dans une masse de contenus en constante croissance. Les industries de traitement de l’information comme les moteurs de recherche extraient beaucoup plus facilement de la valeur de leur activité que les industries culturelles, qui voient leur utilité marginalisée. Le phénomène des vases communicants des revenus des éditeurs de presse et de livres vers Google est manifeste et nourrit le ressentiment que le nouveau maître du Réseau suscite dans tout ce secteur.

Enfin, les mutations de la lecture sont des enjeux de nature culturelle. Le fort développement des usages du numérique s’accompagne d’une baisse tendancielle du temps consacré à la lecture, tel qu’il est mesuré par diverses enquêtes(Donnat 2009). Cette baisse est évidemment antérieure au numérique, ayant commencé à se faire sentir avec le déploiement universel des mass media audiovisuels. Un certain nombre d’observateurs établissent ainsi une sorte de continuité marquée par la prolifération des «écrans(Jouët et Pasquier 1999) » (cinéma, puis télévision, puis jeux vidéo, puis téléphones portables, puis Internet), dont la consommation excessive, en particulier par les jeunes, viendrait grignoter et finalement faire disparaître tout à fait le temps consacré à la «lecture » (sous-entendu : de livres et de presse imprimés). D’autres font au contraire remarquer que les écrans d’ordinateur sont aussi des écrans où on lit, beaucoup, et sans doute de plus en plus. Ce canal diffuse non seulement des articles de presse, ce qui n’est pas nouveau, mais aussi, désormais, des livres électroniques. Avec la démocratisation d’Internet, ce serait donc finalement à un retour en force de la lecture, sous toutes ses formes et sur tout support, qu’on assisterait.

Explosion du texte, démultiplication des supports de lecture, certes. Mais pour quel type de lecture ? Une tribune publiée en 2009 posait la question : «Google nous rend-il stupides ? » Derrière le titre accrocheur, c’est une véritable réflexion sur l’évolution des modes de lecture à l’ère du numérique que propose son auteur, Nicholas Carr(Carr 2008) : multiplicité des liens hypertextes, avantage de la forme courte, éparpillement des discours ; la lecture immersive et linéaire qui est celle du livre est mise à mal au profit de modes de lecture rapides et fragmentaires, suivant les associations d’idées du lecteur et non le fil narratif ou argumentatif de l’auteur. Le développement de ce type de lecture n’a-t-il pas pour conséquence d’ériger en modèle cognitif le déficit d’attention caractéristique des enfants difficiles ? Et de disqualifier une fois pour toutes une pensée complexe et articulée ? La question fait aujourd’hui débat ; elle mobilise les historiens du livre et des pratiques de lecture, les philosophes, mais aussi, de manière croissante, les neurosciences, qui tentent d’objectiver et de visualiser les processus cognitifs engagés selon les différents types de lecture.

Édition en réseau

Dernière modalité possible de l’édition électronique, l’édition en réseau s’appuie sur les possibilités qu’offre la communication par Internet pour développer des modes d’écriture collaboratifs. Dans l’édition numérique, le réseau n’intervient qu’en fin de chaîne, au niveau de la diffusion des contenus. Il n’y est utilisé que marginalement et dans un seul sens : afin de les faire parvenir à ses lecteurs. Dans le cadre de l’édition en réseau, c’est au contraire la communication propre à Internet qui est au coeur du processus éditorial : la participation de tous ou d’une communauté définie à l’élaboration et l’amélioration des contenus est alors permise. Dernière venue dans l’histoire de l’édition électronique, l’édition en réseau bouleverse radicalement les processus éditoriaux et se déploie à travers ce que le journaliste Richard McManus appelle «Read/ Write Web(McManus 2003) » et que nous proposons d’appeler, pour le monde de l’édition, le Read/ Write Book(M. Dacos 2010).

C’est sans doute l’encyclopédie en ligne Wikipédia qui représente le cas le plus connu et le plus marquant de l’édition en réseau fondée sur un modèle collaboratif. Encyclopédie jamais achevée, à l’instar du savoir humain, Wikipédia est éditée, corrigée et améliorée en permanence de manière ouverte par des dizaines de milliers de contributeurs plus ou moins réguliers. Commencée en 2001, cette grande entreprise multiforme est née de l’échec d’un projet beaucoup plus classique de réalisation d’une encyclopédie en ligne écrite par les seuls scientifiques. Alors que Nupedia – c’était son nom – n’a jamais réussi à rassembler un nombre suffisant de contributions, son équivalent ouvert à tous a vu affluer de toute part des volontaires enthousiastes. Les débats ont été nombreux autour de cette proposition radicalement démocratique. Beaucoup se sont focalisés sur les questions de qualité éditoriale et d’exactitude du texte, sur la base de comparaisons qui ont été faites avec son contre-modèle : l’encyclopédie Britannica(Giles 2005).

Des études plus récentes se sont intéressées à d’autres aspects de ce projet, politiques et sociologiques notamment. Elles mettent en évidence les tensions qui existent au sein de la communauté Wikipédia entre un idéal d’égalité des droits pour tous les contributeurs et l’introduction d’une différenciation des pouvoirs nécessaire à la gestion éditoriale et au maintien de la cohérence intellectuelle de cette entreprise(Firer-Blaess 2007). Le mode de fonctionnement de Wikipédia illustre bien l’évolution que l’édition en réseau fait subir au travail éditorial : la prise en charge de la publication de contenus s’accompagne désormais d’une fonction sociale d’animation de communauté et de gouvernance qui consiste à créer les dispositifs permettant aux individus d’apporter leur contribution(J. Levrel 2009). Contrairement à l’édition numérique, l’édition en réseau travaille donc moins directement sur les contenus que sur les producteurs de contenus, dont elle organise les interactions de manière à produire le meilleur résultat possible.

Le phénomène des blogs est, lui aussi, à la marge de la définition canonique de l’édition, puisqu’il paraît en être l’antithèse. Lieu souverain de la désintermédiation, il est pourtant, paradoxalement, l’objet des convoitises de la plupart des entreprises de presse. Alors que les médias traditionnels ont tendance à dénoncer les blogs, les journaux semblent se précipiter pour avoir une place au sein de la blogosphère en adjoignant une plateforme de blogs à leur site Web. Le phénomène est complexe. Il correspond d’abord à une volonté d’améliorer la proximité entre les journalistes et leur lectorat : en effet, les blogs de la rédaction permettent d’explorer une liberté de ton, une économie de l’écriture et une périodicité inédites. Viennent ensuite une stratégie de fidélisation du lectorat, par l’apport d’un service exclusif aux abonnés, et la construction d’une communauté, par la possibilité d’entrer dans la «grande conversation » permise par les commentaires et les billets de blogs. Enfin, dans la bataille de l’audience pour les contenus gratuits, financés par la publicité, disposer d’un portefeuille de blogs de qualité est un atout d’importance : ils garantissent une grande réactivité à l’actualité, ainsi qu’une capacité à faire nombre, mais aussi à gagner de précieux dixièmes d’indice de PageRank pour apparaître en haut des résultats du moteur de recherche dominant qu’est Google. Dès lors, lemonde. fr pourrait-il s’effacer devant la myriade de blogs dont il s’est doté ? L’apparition de billets de blogs en «une » du Monde, comme s’il s’agissait d’articles, montre l’hybridation progressive des articles et des billets. Elle brouille, plus encore, les frontières entre les genres(Rebillard 2006).

Que ce soit dans le domaine des encyclopédies collaboratives ou dans celui des blogs, on aurait tort de se focaliser sur ce qui se délite dans l’édition à travers ces formes nouvelles. En effet, émergent des formes d’écriture, de coopération et de construction du savoir qui sont susceptibles de dépasser certaines des apories auxquelles mènent les formes traditionnelles de rapport au savoir. Pour le dire simplement, le modèle de l’encyclopédie collaborative est une opportunité pour repenser la place de l’auteur dans la construction d’un savoir savant, en bouleversant l’unité documentaire de base. De même, les blogs constituent un espace spécifique d’expression de la pensée, en amont et en aval de l’édition traditionnelle. Ils s’inscrivent dans la logique de la forge des idées.

* * *

L’édition électronique prend donc trois formes possibles et recouvre trois types d’activité assez différentes : la numérisation, l’édition numérique et l’édition en réseau. Ces modes d’édition ne se sont pas succédé dans le temps mais ils s’ajoutent aujourd’hui les uns aux autres, comme trois couches superposées d’un ensemble en voie de trouver sa cohérence autour de la notion de texte. Alors que les évolutions sont très rapides et que des entreprises mondiales se positionnent, les frontières traditionnelles entre acteurs semblent amenées à évoluer fortement. La révolution numérique a tout l’air d’être en mesure de jeter de nouvelles bases pour le secteur de l’édition, dans lequel, désormais, les éditeurs pourraient avoir à composer avec de nouveaux partenaires. Il est possible que la «chaîne du livre » prenne une forme non linéaire, et non concentrée sur le seul objetlivre, qu’elle se mette à fonctionner, elle aussi, en réseau.

Pierre MOUNIER pierre.mounier@ehess.fr Cléo, EHESS

Marin DACOS marin.dacos@ehess.fr Cléo, CNRS

Citer l’article

Dacos, Marin, et Pierre Mounier. 2011. « Édition électronique ». Communications 88 (1):47‑55. https://doi.org/10.3406/comm.2011.2584.

NOTES

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