untitled

Mot d’introduction

Naissance du projet

  • Problématique

En 2013, je cherchais désespérément une épigramme, tout ce dont je me rappelais était son contenu approximatif ; aucune idée du livre ni de son numéro. Pour la trouver, la seule solution qui se présentait à moi était de me rendre à la bibliothèque (ou d’ouvrir Perseus) et de parcourir les quelques 4000 épigrammes contenues dans l’Anthologie grecque jusqu’à trouver celle correspondant à mes souvenirs flous.

  • Nécessité d’indexation

Comment ce titan de la littérature grecque (pour citer Margot Mellet) ne bénéficie toujours pas d’une indexation précise et accessible des éléments qui le constituent? Les éditions savantes – imprimées – de l’Anthologie sont déjà nombreuses, et, bien que certaines d’entre elles présentent un index thématique, cette structuration a ses limites et s’avère insuffisante, notamment dans cette optique heuristique initiale.

  • Plusieurs plateformes (évolution technique équipe // technique plateforme)

C’est ainsi qu’est né le projet d’édition numérique collaborative de l’Anthologie Palatine, initialiement, qui s’est récemment étendu à l’Anthologie grecque en tant que corpus. Ce projet s’est déployé sur plusieurs plateformes et environnements numériques, la technique, le support évoluant parallèlement aux connaissances de l’équipe, tant sur le point technique que philologiques ; notons aussi le nombre d’acteur.trice.s ayant travaillé sur le projet et qui ont tous pu lui donner une direction propre. La première version se présentait sous la forme d’un site web généré avec le système de gestion de contenus SPIP. Cette plateforme, bien que simple, permettait déjà de penser une accessibilité du corpus et a permis de spécifier des besoins techniques et herméneutiques pour réaliser ce qui deviendra le projet d’édition numérique collaborative de l’Anthologie ; aujourd’hui, deux plateformes plus tard, l’Anthologie grecque se structure autour d’une base de données relationnelle et dotée d’une API - loin d’être finie ou aboutie, cela serait contraire à l’essence de l’Anthologie – mais fonctionnelle.

Anthologie -> particularité du corpus :

La conception, création, implémentation de l’infrastructure a du s’adapter aux nombreuses particuliratés du corpus, émanentes notamment de sa forme anthologique, et donc ouverte et non finie. Plus que l’édition d’un texte, il s’agit ici d’éditer un ensemble d’hétérogène, un imaginaire collectif. Outre la nécessité d’une indexation, il nous a semblé primordial de retranscrire la circulation des idées ainsi que les structures intertextuelles que comporte le corpus.

Nous sommes face à un corpus ouvert, en mouvement, hétérogène, en résonnance avec nos imaginaires actuels. Nous devons penser et décider un modèle éditoral (stable et pérenne) qui parvienne à retranscrire ses caractéristique et son essence. Plusieurs enjeux se posent : Comment faire voir ces dialogues entre le passé en le présent ? Comment faire apparaitre dans notre édition les topos de l’oeuvre anthologique en négociant simultanément son accessibilité et sa constante évolution ? L’environnement numérique, par la modularité de son support, répond presque parfaitement à ces besoins. Le principe d’écriture collaborative et de mise en réseaux des écritures qui fondent l’architecture du numérique permettrait à une édition de poursuivre et de parachever le projet anthologique : la circulation des contenus en environnement numérique permet l’émergence et la valorisation des pluralités de perceptions du matériel textuel ainsi que de l’ensemble des liens possibles entre les textes constituant l’Anthologie.

Résultat :

  • Plateforme anthologiagraeca.org :

Notre édition s’articule autour de la notion de fragment, ou entitié textuelle abstraite, où chaque épigramme correspond à un fragment. Valoriser l’Anthologie consiste à prendre en compte ses unités textuelles, les caractéristiques qui les définissent (auteur·e, époque, thématiques), leurs hétérogénéités comme les liens qu’elles tissent entre elles, et donc non seulement considérer l’importance d’une recontextualisation des fragments mais également leurs conversations ou cristallisations par le biais de l’éditorialisation. Chaque épigramme est une entité. Chaque entité, ou chaque épigramme, est associée à plusieurs informations. Vous voyez ici la page concernant l’épigramme 7.68, le livre 7 de contenant les épitaphes et épigrammes funéraires.

  1. Manuscrit
    Les premières informations sont les images du manuscrit. Celles-ci sont annotées directement depuis la plateforme de la Bibliothèque de Heidelberg. Concrètement, les éditeurs et éditrices de la plateforme vont découper les images du manuscrit correspondant à chaque épigramme, une image de cette épigramme est créée, et les liens sont récupérés sur notre plateforme via le protocole iiif

  2. Plusieurs versions textuelles de l’épigramme
    Vous voyez ici les textes relatifs à l’épigramme, qu’il s’agisse des textes grecs (et parfois plusieurs versions de ceux-ci) et des traductions, issues d’éditions critiques ou d’édition originales. Le texte grec est celui de Paton (et a été récupéré automatiquement depuis Perseus). Il y a deux traductions en français. Le première est visiblement celle des belles-lettres, et a été ajoutée par un des éditeurs du projet. Il y a ensuite deux traductions en anglais, toutes deux de Paton, dans l’une l’orthographe original est gardé, dans l’autre il est normalisé. Enfin, il y a la traduction issue de l’édition Pontani. J’ai en outre rédigé une traduction, originale. Encore une fois, cette absence de hiérarchisation est voulue et s’inscrit dans la continuation du corpus de l’Anthologie grecque.

Dans ce projet d’édition, l’idée même de “vérité” du texte – habituellement à la base de l’approche critique – ne constitue pas un objectif à atteindre. Au contraire, nous cherchons à faire émerger les pluralités de perception du matériel textuel - car c’est cette pluralité qui est l’essence de l’Anthologie grecque. Le défi d’une édition est alors celui de parvenir à rassembler ces multiples versions pour unifier, au moins dans la forme, un patrimoine anthologique. Passées entre différentes mains, l’Anthologie peut être abordée comme un espace ouvert pour l’enrichissement et le dialogue entre ses épigrammes plutôt que comme un objet clos réservé à une discipline de langue et culture grecque, ou se limitant à une vérité littéraire (une « bonne » version de l’Anthologie).

  1. Mots clés
    Nous arrivons ensuite aux mots-clés qui sont de nature diverse : auteurs, villes, et autres mots-clés variés (forme métrique, époque, genre…). Les mots-clés sont identifiés grâce à un identifiant unique: son wikidata. Pour ajouter un nouveau mot-clé, il faut donc que celui-ci possède une page wikidata ; quand ce n’est pas le cas, il faut la créer. Un des gros chantiers en cours est l’amélioration des données sur les auteurs reprises dans notre plateforme. Avec une étudiante Mitacs, nous avons passé une bonne partie de l’été à vérifier et harmoniser nos données concernant les auteurs des épigrammes, en vérifiant leur divers identifiants uniques (tlg et wikipedia) et en analysant la littérature à leur sujet. Nous avons été confrontés à des difficultés éditoriales parfois surprenantes et nous contraignant à repenser notre modèle épistomologique. Dans les données récupérées automatiquement de Perseus et de l’édition de Paton, l’époigramme 14.148 était attribuée à un certain Germanus. Dans la plupart des éditions critiques consultées, l’épigramme est toutefois notée comme anonyme. L’attribution à Germanus vient en réalité de l’acrostiche donnant le nom “Germanou”, encourageant certains éditeurs (cf. Utet, Beckby, Radinger) à voir là le nom du poète. La littérature ne connait rien de ce Germanus, et son existence est remise en question : or, un TLG-ID lui avait été attribué : alors certes, admettons qu’il n’ait pas existé, il a toutefois une existence dans la littérature et dans les écrits de plusieurs philologues : doit-on donc le supprimer de la plateforme, ou plutôt le considérer comme une entité à part entière ?

  2. Scholies
    Les scholies sont des fragments à part entière reliés à une épigramme. Le procédé est le même, chaque scholie a une image du manuscrit, des textes, et éventullement des mots-clés.

  3. Commentaires
    La section commentaires permet à l’éditeur de saisir du texte. Dans le cas de 14.148, l’explication au sujet de Germanus est ajoutée, ainsi qu’une note tirée de l’édition UTET et permettant de développer plus que les mots-clés.

  4. Références
    D’autres éléments arrivent, comme les références internes et externes. Je vais commencer par les références externes : des liens renvoient à plusieurs éléments, que nous appelons liens faibles, ce qui permet fondamentalement d’actualiser l’Anthologie : ici, plusieurs éléments, de la comédie de Dante à une chanson de Scorpions en passant par un gif représentant une peinture célèbre…

Une référence interne renvoie vers l’épigramme 7.67, qui relate elle aussi la descente aux Enfers de Diogène, dans une forme légèrement différente et attribuée à Léonidas de Tarente. Il s’agit d’un processus de variation, objet qui nous intéresse particulièrement dans le cas d’un projet dérivé de celui-ci et dont je toucherai un mot pour conclure cette communication.

  1. Last modification
    Pour en revenir à l’épigramme 7.68, nous pouvons en dernier lieu voir l’historique des modifications qui ont eu lieu sur la page en question ; la fonctionnalité a été ajoutée il y a peu, raison pour laquelle on ne voit pas beaucoup d’actions, mais on a pu voir le même procédé dans les scholies : les actions qui sont posées sur la plateforme sont donc reliée au pseudonyme d’un éditeur ou d’une éditrice.

Tous ces éléments contribuent à la mise en place d’un véritable hug pour l’Anthologie grec, rassemblement des informations diverses et variées relatives aux épigrammes, à divers niveaux épistémologiques, en ce qu’il permet une véritable succession des savoirs, notamment grâce à la rencontre entre savoirs établis (Stadtmueller, Waltz, etc) et des étudiants, qu’ils soient au doctorat ou même au lycée, comme ca a été le cas des étudiant d’Annalisa qui est avec nous aujourd’hui.

La mise en place de ce hub est permise par une collaboration à divers niveaux : outre les chercheur.e.s principal.e.s et l’importance des institutions qui permettent le financement d’un tel projet, avec le lot de contraintes qui en découlent, les auteurs sont multiples au sein du projet. Plusieurs partenariats ont été mis en place, avec la bibliothèque de Heidelberg, avec Annalisa, Serena,… Plusieurs étudiants de l’Université de Montréal ont travaillé en tant qu’auxiliaire de recherche pour l’édition de la plateforme, ce qui devint parfois leur sujet de recherche, comme ce fut le cas pour Luiz Capelo, éditeur de la plateforme depuis plusieurs années et qui s’est longuement intéressé aus Scholies :

Luiz

À Anthologia, l’usager est une sorte de scholiaste. Il ajoute des données aux objets présents à la plateforme, c’est-à-dire les épigrammes et les scholies. l’environnement numérique fait rend ce trait anthologique plus évident – et ainsi chaque objet devient un assemblage multimédia.

C0mme pour le cas de figure de Germanus, nous pouvons nous retrouver face à des situations surprenantes lors de l’édition de la plateforme ; c’est le cas de l’épigramme 5.49. D’abord, il y a des doutes autour de l’annotation. Doit-on la lire τοῦ δικαίου Γάλλου – du juste Gallus – comme Stadtmüller le fait, or Τουδίκιου Γάλλου – de Tudicius Gallus – comme le lit Waltz ? À Anthologia, on maintient la multiplicité, et l’on y inscrit les deux hypothèses. Pourtant ni Gallus ni Tudicius Gallus n’apparaissent que dans cette annotation. La scholie 5.49.2 n’aide pas à résoudre la situation. L y écrit que 5.49 est l’épigramme la plus injuste (ἐπίγραμμα ἀδικώτατον) – ce que suscite Waltz à poser la question de qu’est-ce qu’est l’injustice pour L (quid hoc sibi uelit) – mais L ne dit rien par rapport à l’auteur de l’épigramme. Ces scholies ajoutent plus d’incertitudes que des résolutions.

L’épigramme 5.71 est aussi attribuée à deux auteurs différents au CP 23. D’abord, A écrit que l’épigramme est du même auteur (τοῦ αὐτοῦ οἱ δὲ), c’est-à-dire Rufin, l’auteur de l’épigramme 5.70. Par contre, dans son commentaire L dit que Palladas d’Alexandrie est l’auteur de 5.711. Ensuite, comme le texte d’A fut presque effacé (Planudes et Stadtmüller 1894 , p. 110), C intervienne et consolide le τοῦ αὐτοῦ οἱ δὲ fait par A. Les scholies 5.71.2 et 5.72.1 renforcent l’ordre chronologique du travail des scholiastes établi par Cameron et Preisendanz. D’abord travaillent A et L, ensuite C fait des changements qu’il juge nécessaires. Les scholiastes font un travail d’écriture collective, d’ajout constant de données à l’épigramme. Et la discussion autour de qui est l’auteur de ces épigrammes annonce la multiplicité anthologique. A, C ou L ne sont pas des mauvais copistes, ni le scholiaste a commis une faute parce qu’il a mis un « Anonyme » où Waltz met un « De Méléagre », par exemple. Ce sont des regards différents sur un même objet. Dans ce contexte, Anthologia comporte cette pluralité. L’épigramme peut être classée comme étant de Méléagre ou Anonyme. On peut y ajouter différents auteurs.

L’analyse des scholies montre aussi l’écriture collaborative de l’anthologie, où chaque anthologiste joint des données.

Prolongement :

Toutes ces données rassemblées depuis 2014 nous permettent d’appréhender l’Anthologie sous un angle neuf. Un premier projet, mené par Margot Mellet, consistait en l’élaboration de parcours de lecture - grâce aux mots-clés ajoutés sous les épigrammes. Récemment, nous avons commencé un nouveau projet pour exploiter et valoriser nos données tout en répondant à une question de recherche fondamentale : comment proposer des définitions formelles de concepts littéraires ? Le projet “Intelligence artificielle littéraire” à pour but de répondre à cette question, en partant de l’hypothèse que la littérature est un ensemble de données, mais très complexes, et que, pour rendre compte de cette complexité, il est nécessaire de développer des modèles formels riches. Nous utilisons des algorithmes (ensemble des règles opératoires propres à un calcul, suite de règles formelles) non pas pour chercher des contenus ou pour faire de nouvelles découvertes à propos de notre corpus, mais pour essayer de définir de façon formelle un concept : celui de variation ; au sein d’un corpus : cleui de l’Anthologie. Au lieu de chercher de nouvelles variations dans l’Anthologie grecque, nous avons dressé la liste de toutes celles qui sont considérées comme telles. Nous allons ensuite essayer de définirn algorithme capable de les repérer. L’intelligence artificielle sera mise au service de la théorie de la littérature plutôt que de l’analyse littéraire. Si notre algorithme est capable de trouver toutes les variations identifiées en amont, cela signifiera que cet algorithme est, de fait, la définition formelle du concept de variation.

En guise de mot de la fin, pour répondre au titre de notre présentation “L’Anthologie sur le Web - quid novi?” et bien, le numérique, le Web est un espace particulièrement propice à héberger une corpus tel que l’Anthologie, tous deux ayant une structure anthologique, ouverte, collaborative. Mais à la suite, ce que nous tentons de démontrer par le biais de IAL, c’est que l’Anthologie peut aussi apporter beaucoup au numérique.