Projet de thèse - Un modèle pour les gouverner tous
Enquête sur la stabilisation des représentations du social dans les projections énergétiques croissancistes et décroissancistes en Europe
Victor Ecrement

Contexte

La prospective énergétique, une science de gouvernement née de la nécessité de planifier les systèmes énergétiques

Si les énergies ont été un élément central de l’avènement des sociétés industrielles occidentales, elles y ont peu fait l’objet d’une planification ambitieuse avant la fin du 20ème siècle (Aykut 2019). Le choc pétrolier de 1973 a révélé la vulnérabilité des approvisionnements dans une économie mondialisée, et a incité en France à la construction de la deuxième génération de réacteurs nucléaires, qui fournissent encore aujourd’hui 70% de l’électricité du pays (Veyrenc et Houvenaguel 2021c). L’importance de ces investissements, qui ont pris différentes formes selon les pays, ont poussé les États à s’appuyer sur l’expertise d’énergéticien·nes et d’économistes afin de prévoir les besoins en énergie, les coûts et les capacités de production de différentes technologies.

Ces savoirs et pratiques sont souvent rassemblés sous des noms comme prospective énergétique, prévision énergétique, energy forecasting, modélisation énergétique ou encore futurologie énergétique. Selon EDF, ce champ se distingue de la simple planification en ce qu’il vise à simuler des transformations des marchés, du contexte économique et des institutions pour mieux prévoir leurs conséquences (EDF 2009). Pour ce faire, un de ses outils principaux est la modélisation : un modèle est un ensemble d’équations qui permettent de représenter l’évolution de variables d’un système dans le temps. On peut par exemple faire le modèle de la production d’électricité d’une éolienne, des phénomènes météorologiques de la région dans laquelle elle sera implantée, de la production d’électricité d’un parc éolien dans ces conditions météorologiques ou encore de la demande en énergies renouvelables au Danemark sur les 10 prochaines années.

L’urgence d’une décroissance énergétique

La constitution de grands réseaux électriques, gaziers et pétroliers dans les pays européens au cours du 20ème siècle a indéniablement été la garantie d’une abondance et d’une disponibilité de l’énergie (Lopez 2019), mais les crises socio-écologiques déjà en cours remettent en cause nos modes de production, de distribution, de gouvernance et de consommation de l’énergie. L’explosion récente des prix de l’électricité a contraint 29 piscines en délégation de service public à fermer en septembre dernier (Vautier-Chollet 2022) et un vaste mouvement de non-paiement des factures d’énergie traverse le Royaume-Uni (« Don’t Pay » 2022). La menace des coupures d’électricité et la déclaration d’Enedis que les patient·es sous respirateurs artificiels ne sont pas prioritaires (« Coupures de courant : les patients sous respirateur artificiel ne font pas partie des «clients prioritaires» » 2022) montrent bien l’urgence de définir une politique de décroissance ambitieuse pour qu’elle cesse de s’imposer aux plus vulnérables.

Alors que la limitation du réchauffement climatique à 1.5°C paraît de plus en plus improbable, beaucoup d’États ont recours à la prospective énergétique pour planifier une transition vers une économie décarbonée et moins intense en ressources, délaissant néanmoins souvent les autres limites planétaires : pollutions atmosphériques, changements d’usages des sols, intégrité de la biosphère, etc. Ainsi en France, des acteurs publics comme EDF, Réseau de Transport d’Électricité (RTE, Veyrenc et Houvenaguel 2021c) ou l’ADEME (ADEME 2021) produisent des scénarios de transition sur plusieurs dizaines d’années. Par exemple, le scénario de référence du rapport Futurs énergétiques 2050 de RTE, en accord avec la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), propose de réduire de 40% la consommation d’énergie d’ici 2050 tout en sortant des énergies fossiles.

Toutefois, tous les scénarios de ce rapport nécessitent des extensions conséquentes du réseau électrique pour supporter l’électrification des usages, et il n’est pas clair à quel point l’empreinte écologique de ces aménagements est prise en compte. De plus, certain·es voix critiques avancent que c’est l’interconnexion croissante du réseau européen qui rend possible l’augmentation illimitée de la consommation (La Chose 2021 ; Lopez 2022). De fait, beaucoup de projets de micro-réseaux une fois connectés sont devenus des réserves pour le marché de l’énergie, et ne tiennent donc pas leur promesse d’alignement de la production sur les besoins locaux (Lopez 2019).

De plus, ce rapport hérite d’hypothèses qui semblent difficilement compatibles avec une société écologique. Il s’appuie par exemple sur une croissance économique moyenne de 1.3% entre 2020 et 2050, alors que les conflits et crises à venir rendent cette perspective incertaine et qu’il est de plus en plus consensuel qu’un découplage absolu entre croissance et empreinte écologique est extrêmement improbable (Parrique 2019, 98). De même, l’électrification de l’intégralité du parc automobile semble très optimiste : les prix du lithium, du nickel et du cobalt pourraient connaître une hausse très importante d’ici 2050 (Hache, Simoën, et Sokhna 2018).

Cet exemple parmi d’autres montre que les exercices de prévision énergétique incorporent des projets politiques explicites — le fait de s’appuyer sur des documents de planification préexistants — et implicites — l’absence de remise en question de la croissance et de l’usage de véhicules individuels.

Performativité des modèles et État centralisé

Ces projets politiques ne sont pas des biais qui viendraient fausser une investigation scientifique : ils font partie intégrante des savoirs produits. Depuis les années 1970, des recherches en études des sciences et des techniques se sont intéressées à la performativité des savoirs prédictifs, dans une acception étendue de l’usage qu’en fait Austin (1962). Ces travaux montrent comment les savoirs sur le futur influencent les croyances et transforment l’action des acteur·rices, et peuvent donc sous certaines conditions être autoréalisateurs (Aykut 2019). Par exemple, à partir des années 1970, EDF a commencé à largement surestimer l’élasticité PNB de la demande d’électricité, ce qui a permis de valider une hausse de la production. Mais les observations n’ont pas confirmé cette prévision, la demande a même stagné entre 1974 et 1975. Au lieu d’ajuster ses modèles, EDF a lancé une grande campagne d’électrification des foyers français, couplée à l’exportation des surplus et une intense stratégie de tourisme industriel (Aykut 2019 ; Lopez 2019) :

En d’autres termes, l’économie française a été “calibrée” avec succès par l’assemblage politique prédictif dominant, pour s’adapter aux modèles d’EDF et aux prévisions officielles basées sur les calculs de l’entreprise.

(Aykut 2019, traduction personnelle)

La prospective énergétique est donc autant une pratique épistémique qu’un instrument de légitimation de politiques de développement. Ce phénomène est particulièrement vérifiable dans les États où le pouvoir est fortement centralisé comme la France (Baumgartner et Midttun 1986), mais la rétroactivité (Desrosières 2014; Hong et al. 2020) des modèles se vérifie partout de différentes manières. En effet, si tous les scénarios ne parviennent pas à faire advenir ce qu’ils prédisent, les plus influents d’entre eux donnent lieu à des aménagements, des organisations et des croyances qui transforment la disponibilité de l’énergie et les dispositions des acteur·rices à en consommer.

Politisation de la prospective et compétition des assemblages politiques prédictifs

Conscient·es de la normativité de ces projections, des groupes écologistes de nombreux pays occidentaux ont commencé dans les années 70 à avoir les moyens de réaliser leurs propres modèles (Baumgartner et Midttun 1986). On trouve par exemple en France les modèles MEDEE et ALTER (Aykut 2019), et plus récemment les scénarios de l’association Négawatt (Institut Négawatt 2022), le travail des Amis de la Terre au Royaume-Uni en 1979 ou encore celui de l’Institut für angewandte Ökologie en Allemagne en 1980 (Baumgartner et Midttun 1986). Ceux-cis ont parfois permis de faire baisser significativement les prévisions des industriels et des institutions, qui étaient très largement surévaluées, parfois jusqu’à 3 ou 4 fois.

À cause de cette politisation accrue, la prévision énergétique a progressivement perdu de son aura d’objectivité, devenant de plus en plus un champ de négociation d’intérêts politiques. De fait, l’étude menée par Silvast et al. (2020) montre que les modélisateur·rices énergétiques sont tout à fait conscient·es des incertitudes liées à leurs prévisions, en particulier celleux qui étudient la demande. Pour elleux, les modèles sont surtout utiles pour prendre des décisions. En 1986, Baumgartner et Midttun écrivaient déjà :

Le critère pour une modélisation réussie n’est plus tant de prédire le bon futur, mais de parvenir à des compromis raisonnables entre les intérêts des personnes affectées.

(Baumgartner et Midttun 1986, traduction personnelle)

Prenant acte de cette transformation, iels proposent des directions pour rendre les exercices d’anticipation plus démocratiques :

  • Tous les intérêts sociétaux pertinents sont-ils bien représentés ?
  • Les hypothèses de base sont-elles claires et ouvertes au débat public ?
  • À quel point les procédures de sélection des modèles et des prévisions sont-elles équitables et ouvertes ?
  • À quel point le processus de mise en place est-il impartial lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des futurs énergétiques alternatifs ?

(Baumgartner et Midttun 1986, traduction personnelle)

En France, les exercices d’anticipation gouvernementaux intègrent aujourd’hui une plus grande diversité d’acteur·rices, à l’instar du Débat National sur la Transition Énergétique proposé par François Hollande lors de sa candidature en 2011 (Aykut et Nadaï 2019). Les groupes de travail comptaient notamment des universitaires, des membres d’associations et des expert·es du privé. Plus récemment, en octobre 2022, une concertation en ligne sur le “mix énergétique” de la France a été initiée (« Mix énergétique : lancement d’une grande concertation nationale » 2022). Toutefois, la mise en place d’un dispositif de participation n’est pas la garantie d’un débat pleinement démocratique, les plateformes pré-définissant des rôles et des modalités d’échanges entre les contributeur·rices (Bonaccorsi et Julliard 2010). Par exemple, la focalisation sur le “mix” écarte du débat d’autres enjeux, comme celui du volume de production.

Dans ce contexte, plutôt qu’un dialogue démocratique apaisé, la fabrique des politiques énergétiques est mieux comprise comme la compétition d’assemblages politiques prédictifs : des ensembles interreliés d’objets, d’acteur·rices, de pratiques et de discours qui se disputent la détermination du futur (Aykut 2019). C’est la capacité d’un scénario à réunir un large panel d’acteurs influents grâce à des processus de traduction (Latour 1987) qui détermine son poids dans les politiques énergétiques.

Problématisation

Délimiter les représentations de la société et de l’économie mobilisées dans la construction des scénarios énergétiques

Les positions défendues par les assemblages politiques prédictifs sont articulées autour de représentations concurrentes de la société et de l’économie. Ainsi, dans le Débat National sur la Transition Énergétique organisé en 2012, Aykut et Nadaï avancent que, même si les scénarios portés par les différents groupes d’intérêt ont été rationalisés dans des tableurs, ils restent difficiles à comparer. Le tableur est :

un outil simplifié de mise en regard de scénarios existants, qui sont porteurs de visions politiques hétérogènes mais ne s’inscrivent pas forcément dans les mêmes référentiels de fondamentaux économiques. Il ne produit donc pas de comparabilité au sens de la constitution de sous-groupes de scénarios qui seraient jugés comparables parce qu’ils s’inscriraient (au sein de chaque sous-groupe) dans un monde économique unifié.

(Aykut et Nadaï 2019)

Dans leurs stratégies argumentatives, les participant·es au Débat s’appuyaient sur différentes visions de la demande énergétique pour soutenir la viabilité de leur scénario. Elle peut par exemple être conçue comme une réalité immuable à laquelle on devrait s’adapter, ou un objet transformable par le biais de l’action publique :

S’agissant de l’effort sur la demande, une baisse de 50 % n’est pas jugée souhaitable par les électriciens et une partie des acteurs industriels au motif qu’elle semble difficilement réalisable (croissance démographique, faible disposition des citoyens à changer leurs comportements), tandis que les associations défendent cette même réduction arguant qu’elle permet de créer des emplois et de la croissance, de réduire les risques associés à la production d’énergie et de respecter l’objectif du facteur 4 adopté en 2005.

(Aykut et Nadaï 2019)

De la même manière, sur la base d’une concertation, RTE a construit une représentation de la “société française”, dans laquelle 2 tendances existent autour de l’énergie :

Pour débattre de ces choix, RTE a proposé d’emblée un choix méthodologique clair, articulé autour de la distinction entre deux familles de scénarios, qui représentent des tendances de la société française d’aujourd’hui, selon que les nouveaux investissements dans le parc de production se portent exclusivement sur les énergies renouvelables (scénarios « M ») ou sur un mix plus diversifié technologiquement, c’est-à-dire une combinaison d’énergies renouvelables et de nouveaux réacteurs nucléaires (scénarios «N»).

(Veyrenc et Houvenaguel 2021c)

Toutefois, il n’existe à ma connaissance que peu d’études du processus de stabilisation de ces “sociétés” au cours d’exercices d’anticipation, dont la nature politique ne doit pas être sous-estimée. Alors que se multiplient les discours tentant d’allier durabilité et croissance économique voire croissance de la consommation d’énergie, il serait pertinent de classer ces représentations et de mieux comprendre comment elles sont construites. Cela permettrait d’évaluer la pertinence des projections non plus dans l’absolu mais relativement à des projets de société.

La difficile intégration des “facteurs sociaux” dans la modélisation et la question de la stabilité

En réalité, la représentation adéquate du social au sein des processus de modélisation est déjà un sujet de préoccupation pour les chercheur·ses du domaine. Dans un article sur l’intégration des facteurs sociaux dans la modélisation énergétique, Krumm, Süsser, et Blechinger (2022) évaluent une vingtaine de publications au regard de 5 facteurs. Iels les ont sélectionnés parce que ces facteurs sont identifiés par les transition studies comme cruciaux pour la mise en place d’une transition énergétique :

  • Comportement et style de vie
  • Hétérogénéité des acteur·rices
  • Acceptabilité et opposition
  • Participation et propriété
  • Dynamiques de transformation

Iels montrent que, même s’iels ont sélectionné des modèles réputés pour être particulièrement propices à l’intégration de facteurs sociaux, la plupart des pratiques de modélisation n’incluent que les comportements de consommation et l’acceptabilité sociale. Plus problématique encore, même si ces 5 facteurs étaient correctement représentés dans les modèles, ils n’engloberaient pas la responsabilité d’instances comme les lobbies du pétrole, les organisations patronales ou les organismes de rénovation énergétique. En reprenant les hypothèses des transition studies, Krumm, Süsser, et Blechinger (2022) illustrent le fait qu’il n’est possible d’isoler des facteurs bloquants dans la société qu’en naturalisant certaines parties de cette société.

Cet exemple m’amène à préciser la nature de mes objets de recherche. Je devrai identifier dans les pratiques de prospective énergétique les éléments de la société et de l’économie considérés comme stables, ceux qui sont dits malléables et ceux que l’on évoque pas, afin de rattacher ces classifications à des projets politiques.

Évaluer l’ouverture des imaginaires sociotechniques

Dans le rapport Futurs énergétiques 2050, toutes les possibilités de réduction du volume consommé sont basées sur l’efficacité, en particulier liée à l’électrification des usages et au progrès technique (Veyrenc et Houvenaguel 2021c). À aucun moment ne sont discutées d’autres propositions, qui pourtant ne manquent pas :

  • Organiser une baisse du niveau de production général, comme recommandé par les économistes de la décroissance (Parrique 2019).
  • Renoncer à certaines activités définies comme incompatibles avec les limites planétaires, à l’instar des propositions développées dans Héritage et fermeture (Bonnet, Landivar, et Monnin 2021).
  • Accepter l’intermittence pour certaines activités définies comme non-essentielles, comme proposé dans À bout de flux (Lopez 2022).

Cette fermeture des possibles s’appuie sur une représentation de l’économie, définie notamment comme en croissance continue et hors du débat politique. À l’inverse, d’autres scénarios proposent une plus grande remise en question des systèmes énergétiques et de l’ordre économique. C’est le cas par exemple du Plan Alter Breton publié en 1979 suite à la lutte contre la centrale nucléaire de Plogoff (Borvon 2019).

Ce projet de thèse a donc pour objectif d’évaluer l’ouverture des imaginaires sociotechniques de différents exercices d’anticipation, c’est à dire leur capacité à accueillir une plus grande diversité d’hypothèses socio-économiques et à s’écarter de l’organisation socio-économique actuelle.

Questions de recherche

Pour résumer, ce projet de thèse visera à répondre aux questions suivantes, qui pourront être mises à jour au fil de la recherche :

Terrains et méthodes envisagées

Telle que je la conçois aujourd’hui, cette étude se déploierait en 3 démarches complémentaires :

Faire le bilan des scénarios et contre-scénarios normatifs en Europe ces 10 dernières années

Dans l’optique de mieux comprendre les représentations du social mobilisées dans les exercices d’anticipation aujourd’hui, une première phase d’analyse très large me semble nécessaire. Elle sera notamment utile pour situer les données qualitatives que je produirai et évaluer leur représentativité. Voici les critères de délimitation du corpus qui m’ont semblé pertinents jusqu’ici. Je sélectionnerai :

  • Des processus de modélisation qui visent à accompagner l’aménagement de systèmes énergétiques.
  • À l’échelle d’un pays ou plus.
  • En terme de rapport aux institutions, soit :
    • Qui ont un lien avec l’action publique : produits dans le cadre d’un processus délibératif, commandés par un gouvernement, produits par une agence gouvernementale, intégrés à un plan stratégique, etc.
    • Qui sont présentés comme des alternatives aux scénarios gouvernementaux, qui remettent en question la croissance économique et/ou le développement.
  • En Europe, une échelle qui me semble adéquate car le marché européen de l’énergie est fortement interconnecté, ce qui me permettra d’étudier également les interactions entre les différents systèmes énergétiques. Je pourrais être contraint de restreindre le nombre de pays ou de revoir l’échelle géographique, en fonction de l’accessibilité en anglais des documents. Un autre critère de sélection pourrait être l’importance de la dette écologique.
  • Sur les 10 dernières années, de manière à limiter la quantité de données à traiter et à faciliter l’accès aux documents et personnes.

Une fois les rapports collectés, il s’agira de les classer selon les scénarios proposés et les représentations de la société et de l’économie sur lesquelles ils s’appuient. Ces 2 variables pourront être croisées avec d’autres, comme le type d’instance, les pays, les traditions politiques ou les expertises mobilisées. En fonction de la masse d’écrits à analyser, je pourrai combiner une lecture qualitative à des méthodes de lexicométrie, d’analyse des réseaux et des stratégies de sélection de sous-corpus ou de fragments de documents.

Pour chaque processus, il me faudra également réaliser un entretien avec une personne qui en a une compréhension globale. Cela devrait me permettre de me faire une idée de son déroulé afin de les classer. Je pourrais par exemple les schématiser selon un code graphique similaire à celui développé par David Gooding dans ses travaux sur les expériences scientifiques (Gooding 1992), afin de comparer leurs morphologies.

Études de cas : ouvrir les boîtes noires des représentations de la société et de l’économie

Malgré un effort de description méthodologique (Veyrenc et Houvenaguel 2021a, 2021b), le rapport Futurs énergétiques 2050 n’est pas toujours explicite sur les raisons qui ont guidé ses choix, et il est probable que d’autres documents soient encore moins transparents. Ainsi, il serait insuffisant de se contenter de le lire puis de m’entretenir avec une personne qui y a contribué pour comprendre en détail comment les représentations du social sont négociées et stabilisées sur le temps long.

Je pourrais donc réaliser des observations au sein d’exercices d’anticipation si j’en ai l’occasion, ou adopter la méthode d’ouverture des boites noires développée par Latour dans ses enquête sur la construction d’énoncés scientifiques (Latour et Woolgar 1979 ; Latour 1987). Concrètement, cela signifierait partir d’un rapport et questionner la provenance des énoncés sur la population, des hypothèses socio-économiques ou de certains choix méthodologiques. Cela pourrait commencer par un entretien d’explicitation autour d’un rapport, qui m’amènerait ensuite à lire des sources complémentaires, réaliser des entretiens avec les personnes citées, inspecter des jeux de données, manipuler des modèles, etc.

Compagnonnage de recherche : soutenir la formulation de contre-scénarios

Ce projet de thèse doit beaucoup à des discussions avec une amie qui a quitté son travail de modélisatrice énergétique pour des raisons politiques, et souhaite commencer une thèse à peu près en même temps que moi. Cette dernière vise notamment à concevoir des contre-scénarios de transition depuis des territoires, en partant d’enquêtes collectives pluridisciplinaires. Nous partageons déjà une base théorique commune et souhaitons nous soutenir dans nos travaux respectifs.

Je pourrai donc par exemple :

  • Repartir de mes enquêtes sur des alternatives aux scénarios gouvernementaux pour alimenter ces exercices d’anticipation.
  • Offrir une réflexivité aux participant·es en documentant le processus.
  • Apporter une image plus précise des politiques de l’énergie en Europe, et outiller les participant·es dans la construction de contre-argumentaires.

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