Du pornographos à la pornē
Partie chapitre thèse
Luiz Capelo

Si le mot « pornographie » n’existe pas en grec et la « pornographie » n’existe pas en tant que genre, l’affirmation que ces épigrammes érotiques sont pornographiques per se devient problématique. Un concept du XIXe siècle ne doit pas être utilisé pour cerner un objet du Xe siècle sans que nous nous l’appropriions de façon critique. Pour éviter le piège de l’anachronisme, nous devons analyser ce qui incite le scholiaste à écrire prós tina pórnēn en commentaire d’une épigramme. De cette manière, nous pouvons élucider les mécanismes, les thèmes et les structures autour des épigrammes érotiques pour trouver des points de tangence entre les épigrammes et le concept moderne de la pornographie. Nous analyserons donc d’abord le concept de pornographos pour ensuite analyser les occurrences du mot pornē dans le texte des épigrammes et dans celui des lemmes. Mais « pornē » n’est pas une catégorie isolée, et pour comprendre cette catégorie nous devons également penser aux hetairai. Nous comprenons l’un par contraste avec l’autre.

Pornographos

Le mot « pornographie », en français, a été utilisé pour la première fois en 1806, et « pornography », en anglais, apparaît en 1842 (Gladfelder 2013). L’étymologie grecque du mot « pornographie » est évidente. Le mot vient du substantif pornē, qui veut dire prostituée, et du verbe graphō, qui veut dire écrire, représenter. Cependant, malgré les apparences, le mot pornographie ne fait pas partie du lexique grec ancien, il est une création plus tardive. L’idée de pornographie ne trouve pas beaucoup de correspondance dans la conceptualisation des Grecs et des Romains. De plus, le contenu obscène n’était caractéristique d’aucun genre textuel spécifique. Des images sexuelles explicites et du langage obscène sont autorisés dans une myriade de genres, comme la comédie, les pièces satiriques, les mimes, les œuvres en vers iambiques et la satire. La présence d’une sexualité explicite n’est une caractéristique définitionnelle d’aucun de ces genres (Parker 1992).

Le mot le plus proche de « pornographie » que l’on trouve dans les dictionnaires de langue grecque est πορνογράφος, ου (ὁ), « l’auteur d’écrits sur la prostitution » (Bailly et al. 2000). Pornographos est une création d’Athénée dans l’œuvre Les Deipnosophistes (Athénée de Naucratis. et Gulick 1928), écrite dans la Rome de la fin du IIe ou du début du IIIe siècle1. Dans l’œuvre, à un moment donné du banquet, l’amour devient le sujet de la discussion. Les deux participants les plus impliqués dans cette partie du dialogue sont Cynulcus, le philosophe cynique, et Myrtilus, le grammarien2. La muse Érato est invoquée ; la polygamie et les amours d’Hercule, de Thésée et de Philippe de Macédoine sont mentionnées ; les femmes qui ont provoqué des guerres sont énumérées ; Éros est loué et les invités commencent alors à discuter des hétaïres. Cynulcos prend la parole et commence à dénoncer les hétaïres et ceux qui les fréquentent. Le cynique énumère des poètes de l’ancienne comédie et des philosophes – il cite Aristophane, Apollodore, Ammonios, Antiphane et Gorgias – et il affirme que ces auteurs n’écrivent qu’au sujet des prostituées athéniennes :

Σὺ δὲ, ὦ σοφιστά, ἐν τοῖς καπηλείοις συναναφύρῃ οὐ μετὰ ἑταίρων ἀλλὰ μετὰ ἑταιρῶν, μαστροπευούσας περὶ σαυτὸν οὐκ ὀλίγας ἔχων καὶ περιφέρων αἰεὶ τοιαυτὶ βιβλία ᾿Αριστοφάνους καὶ ᾿Απολλοδώρου καὶ ᾿Αμμωνίου καὶ ᾿Αντιφάνους, ἔτι δὲ Γοργίου τοῦ ᾿Αθηναίου, πάντων τούτων συγγεγραφότων περὶ τῶν ᾿Αθήνησι ῾Εταιρίδων. Ὢ τῆς καλῆς σου πολυμαθίας, ὡς κατ’ οὐδὲν ἐμιμήσω Θεόμανδρον τὸν Κυρηναῖον, ὅν φησι Θεόφραστος ἐν τῷ περὶ Εὐδαιμονίας περιιόντα ἐπαγγέλλεσθαι διδάσκειν εὐτυχίαν, ἐρωτοδιδάσκαλε·οὐδὲν ἄρα διαφέρεις Ἀμάσιος τοῦ ’ Ἠλείου, ὃν Θεόφραστος ἐν τῷ Ἐρωτικῷ περὶ τοὺς ἔρωτας δεινὸν γεγονέναι λέγει οὐκ ἂν ἁμάρτοι δὲ τίς σε καὶ πορνογράφον καλῶν, ὡς Ἀριστείδην καὶ Παυσίαν ἔτι τε Νικοφάνη τοὺς ζωγράφους (Athénée de Naucratis. et Gulick 1928, 567b)

Mais toi, charmant sophiste, tu te vautres dans ces lieux, non pas avec des amis de ton sexe, mais avec des femmes, des maquerelles à la pelle. En outre, tu ne cesses de distribuer à la volée les ouvrages d’Aristophane, d’Apollodore, d’Ammonios, d’Antiphane, et même de Gorgias d’Athènes, bref que des torchons où l’on ne parle que de putains athéniennes !
Ma foi, elle est belle, ton érudition ! Il est sûr et certain que tu n’as rien à voir avec Théomandros de Cyrène, dont Théophraste dit dans son livre sur le Bonheur, qu’il désirait enseigner l’art d’être heureux. Non, toi, tu cherches plutôt à nous apprendre l’érotisme. En fait, tu ressembles à cet d’Amasis d’Élis, dont Théophraste – encore lui – fait mention dans son Traité sur l’amour, et qui était un expert en matière sexuelle. On ne se tromperait pas de beaucoup en t’appelant pornographe, au même titre que les peintres Aristide, Pausias et Nicophanos. (Philippe Remacle s. d.a)

Cynulcos dit que, si quelqu’un entendait ce qu’affirme Myrtilus, il ne se tromperait pas en le qualifiant de pornographos3. La caractéristique essentielle du pornographos pour Cynulcus n’est pas d’avoir des relations avec des prostituées, mais de les représenter en discours ou en images (Henry 1992). Ainsi, Myrtilus est aussi comparé au peintre Amasis d’Élide. Selon le modèle d’Aristote, le genre artistique est déterminé par les moyens de représentation – le rythme, la mélodie et le mètre –  par les objets représentés – les gens sont représentés meilleurs qu’ils ne le sont, pires qu’ils ne le sont ou tels qu’ils sont –  et par les modes de représentation –  la narration ou la représentation en mouvement et en action, comme le théâtre (Aristóteles 2003, 1448a). Le pornographos d’Athénée suit le modèle aristotélicien. Le pornographos ne diffère du peintre4 à partir du moment où tous deux représentent quelque chose. Le peintre reproduit des scènes de la vie, d’où le nom zōgraphos pour désigner le peintre ; et le pornographos reproduit le monde des prostituées. Ainsi, dans un paradigme d’analyse aristotélicien, ce qui caractérise le pornographos, c’est l’objet représenté, et non le mode ou le moyen de représentation, à tel point que Cynulcos va jusqu’à dire que Myrtilus peut être qualifié de pornographe au même titre que les peintres Aristide, Pausias et Nicophanos. Ces quatre personnages partagent le même objet de représentation. Par contre, ils diffèrent par les modes et moyens de l’imitation. Le pornographe peut représenter son objet par des mots ou des images, le texte peut être fait pour être lu ou pour être joué et peut être en vers ou en prose. Ce qui est déterminant, c’est l’objet représenté. Ce que le pornographos médiatise, ce sont les prostituées et leur univers. Ainsi, les lemmatistes considèrent que ces épigrammes concernent des prostituées et, par conséquence, les auteurs des épigrammes sur les pornai et les hétaïres, plus que des auteurs pornographiques, sont des pornographes. En effet, leurs textes révèlent certains éléments présents dans ou attribués au monde de ces femmes.

Les pornai dans l’AG

Dans l’Athènes classique, il y avait trois catégories fondamentales dans le contexte de la prostitution féminine : pornē (πόρνη), hetaira (ἑταίρα) et pallakē (παλλακή) (Goldhill 2014). La distinction entre ces catégories s’établit à partir des dynamiques d’échange, de plaisir, de temporalité, d’espace domestique ou public et d’autonomie. Apollodore — or Demosthènes, une fois que ce discours est intégré dans le corpus du pseudo-Demosthènes — révèle cette distinction dans le discours Contre Nééra : « nous avons des hetairai à cause du plaisir, des courtisanes pour le soin quotidien du corps et des épouses pour faire des enfants dedans le genos » (notre traduction)5 (Démosthène, Butcher, et Rennie 1938, 59.122). Il est remarquable que la pornē ne soit pas dans la liste d’Apollodore. Est-elle si bas dans l’échelle qu’elle ne mérite pas d’être citée ?

L’épouse — τὰς γυναῖκας dans Contre Nééra, mais aussi γυνή γαμετή — est la femme qui reste dans la maison, responsable de la survivance du genos. Lorsqu’il faut qu’elle sorte, elle s’habille avec une grosse cape. Comme les activités et les affaires publiques sont de la responsabilité des hommes, la femme qui est dehors, soumise au regard de quiconque, démontre sa disponibilité (J. N. Davidson 2011). L’épouse n’est pas là pour donner du plaisir et n’a pas non plus l’autonomie de se promener dans la rue. Elle est là pour donner des enfants légitimes. On la représente autant qu’on la voit, c’est-à-dire qu’on ne la représente presque jamais. Les épouses sont le paramètre à partir duquel les comparaisons avec les autres femmes sont faites. Lorsqu’on dit que les pornai sont visibles et disponibles dans les rues, on dit aussi que les épouses sont cachées et invisibles dans l’oikos. Davidson affirme que les épouses ne sont presque jamais citées dans les comédies ni dans les discours politiques (J. N. Davidson 2011). À Athènes, les épouses ne sont pas une affaire de la vie publique. Les prostituées, par contre, sont un sujet de la vie commune. Par exemple, il y avait des lois réglementant le prix d’une joueuse de flûte — deux drachmas par nuit – et il y avait un impôt sur la prostitution — le πορνικὸν τέλος.

Il est important de comprendre les différents mots utilisés pour nommer les femmes parce que l’acte même de donner des noms est un moyen d’exercer un contrôle sur femmes et leur sexualité (J. N. Davidson 2011). Selon Pierre Chantraine, le nom πόρνη, ης (ἡ) vient du verbe « πέρνημι » et signifie « prostituée, putain ». D’habitude, on utilise le mot pour une femme que l’on prostitue ou qui se prostitue. Le verbe πέρνημι a comme sens « vendre en transportant ailleurs, en exportant », et chez Homère la plupart des exemples sont employés à propos d’esclaves que l’on vend à l’étranger (Chantraine s. d.). L’étymologie nous dit que pornē est un terme utilisé pour décrire des femmes soumises à l’esclavage et souvent forcées à travailler dans un bordel.

Le πορνοϐοσκός, οῦ (ὁ, ἡ) est celui qui « alimente » (βόσκω) une maison de prostitution. Selon Davidson, dans l’Athènes classique, le pornoboskos a mauvaise réputation. Il est perçu comme manipulateur et cupide. Il empêche les amours des romantiques; selon les philosophes, il est avare; et il charge trop pour une commodité que tout le monde désire. En plus, il menace d’envoyer les pornai dans un bordel. Or, le bordel était considéré un lieu terrible. C’était un lieu décrit comme « ‘common place’, like that which receives corpses, and much sperm perishes there. So it is reasonable that this place should resemble death. The life of the brothel was despised and feared, especially by other prostitutes » (J. N. Davidson 2011, 83). Même parmi les pornai, il y avait situations diverses. La femme pouvait travailler dans les rues, mais elle pouvait aussi être envoyée dans une maison de prostitution.

Pornē n’est pas un mot très récurrent dans l’AG. Suivant le mécanisme de recherche de Perseus, pornē apparaît six fois dans toute l’Anthologie6. Dans le livre 5, le mot pornē apparaît seulement dans le texte de l’épigramme 5.257, l’épigramme de Palladas. En guise de comparaison, hetaira est au texte de 21 épigrammes de l’AG. Il est par ailleurs remarquable qu’il n’y ait qu’une seule occurrence du terme pornē dans le livre érotique de l’AG. La rareté de l’occurrence du terme peut indiquer que ces textes n’étaient pas forcément dédiés aux pornai. Cependant, les lemmatistes ont été plus enclins à utiliser le terme dans leurs commentaires, comme le montre le tableau ci-dessous.

Épigramme Auteur Collection Nom de la prostituée Scholiaste Scholie
5.28 Rufin Sylloge de Rufin N’est pas nommée J/L Εἰς πόρνην γηράσασαν καὶ τοῖς ἐρασταῖς ὑποκαταβαίνουσαν / εἰς μειράκιον
5.30 Antipater de Thessalonique Sylloge de Rufin/Couronne de Philippe7 N’est pas nommée J/L ὅτι πόρναι τὸν χρυσὸν μᾶλλον ἤ τοὺς ἐραστὰς ἀσπάζονται
5.35 Rufin Sylloge de Rufin N’est pas nommée J/L εἰς πόρνας, ἀναίσχυντον καὶ σαπρὸν καὶ ὅλον γέμον ἀναίδειαν
5.41 Rufin Sylloge de Rufin N’est pas nommée J/L πρός τινα πόρνην: χλευαστικόν
5.42 Rufin Sylloge de Rufin N’est pas nommée J/L εἰς πόρνας
5.55 Dioscorides Sylloge de Rufin ou Couronne de Méléagre Doris J/L εἰς Δωρίδα τὴν πόρνην : πορνικώτατον
5.76 Rufin Sylloge de Rufin N’est pas nommée J/L εἰς πόρνην γηράσασαν: σκωπτικόν
5.109 Antipater de Thessalonique Couronne de Philippe Europe J/L εἰς πόρνην τινὰ καλουμένην Εὐρώπην
5.110 Marcus Argentarius Couronne de Philippe Lysidikê et Euphrantê J/L εἰς δύο πόρνας, τὴν μὲν Λυσιδίκην, τὴν δὲ Εὐφράντην καλουμένην
5.114 Mæcius Couronne de Philippe Philistion J/L εἰς πόρνην βαρύμισθον ἐν τῇ νεότητι, γηράσασαν δὲ πᾶσιν ὑποκύπτουσαν
5.129 Automédon Couronne de Philippe N’est pas nommée, mais elle est identifiée comme une bayadère d’Asie C εἰς πόρνην ὀρχηστρίδα
5.185 Asclépiades de Samos Couronne de Méléagre Tryphéra C ἐπὶ πόρνῃ · ὀψώνιων
5.186 Posidippe Couronne de Méléagre Philainis C εἰς Φιλαινίδα πόρνην

Dans les scholies du livre 5 de l’AG, on compte 13 occurrences du terme pornē, et J/L est responsable de dix d’entre elles. On constate alors qu’un mouvement de perception s’opère. Dans le texte des épigrammes, on ne retrouve qu’une seule utilisation du terme. Dans les commentaires chronologiquement plus tardifs des scholiastes, le nombre d’occurrences augmente de façon exponentielle. Cela indique que les épigrammes du livre 5 de l’AG sont de plus en plus considérées comme se rapportant à des prostituées, et que leurs auteurs sont de plus en plus considérés comme des pornographes potentiels. Ainsi, les scholiastes, en commentant que telle épigramme est dédiée à une pornē, créent entre ces épigrammes des liens qui n’existaient pas auparavant. Hormis le fait que ces treize épigrammes appartiennent toutes à l’AG, elles sont différentes les unes des autres. Or, si l’on considère leur l’origine, il y a des épigrammes de la Couronne de Méléagre, de la Couronne de Philippe et du Sylloge de Rufin. Il n’y a pas que des épigrammes du Cycle d’Agathias. Les auteurs de ces épigrammes sont également divers. On trouve des textes d’Asclépiade, d’Automédon, de Dioscoride, de Marcus Argentarios, de Mæcius, de Méléagre, de Posidippe et de Rufin. Dans ce contexte, il est important d’identifier les éléments qui rassemblent ces épigrammes. Il est donc nécessaire d’énumérer les épigrammes dans lesquelles le lemmatiste précise que la femme citée est une hétaïre.

Les hetairai et une pallakē

Épigramme Auteur Collection Nom de l’hétaïre Scholiaste Scholie
5.2 Anonyme Sylloge de Rufin Sténélaïde J/L ἐις Σθενελαΐδα τὴν ἐταίραν
5.3 Antipater de Thessalonique Couronne de Philippe/Sylloge de Rufin Chrysilla J/L εἰς Χρύσιλλαν τὴν ἑταῖραν
5.4 Philodème de Gadara Couronne de Philippe/Sylloge de Rufin Philainis J/L εἰς Φιλαινίδα τὴν νεωτέραν
5.5 Statilius Flaccus Couronne de Philippe/Sylloge de Rufin N’est pas nommée J/L εἰς ἑταίραν τινά
5.6 Callimaque Couronne de Méléagre/Sylloge de Rufin Ionis J/L εἰς Ἰωνίδα ἑταίραν Καλλιγνώστου
5.7 Asclépiade de Samos Couronne de Méléagre/Sylloge de Rufin Héracleia J/L εἰς ἑταίραν Ἡράκλειαν
5.8 Méléagre Couronne de Méléagre/Sylloge de Rufin N’est pas nommée J/L εἰς ἑταίραν τινά
5.9 Rufin Sylloge de Rufin Elpis J/L είς Ἐλπίδα εἴτε ῾εταἰραν τινὰ εἴτε τὴν οὕτω καλουμένην ἐρωτικόν
5.12 Rufin Sylloge de Rufin Prodikê A εἰς Προδίκην ἑταίραν
5.13 Philodème Couronne de Philippe Charito J/L εἰς ἑταίραν τινὰ Χαριτώ
5.14 Rufin Sylloge de Rufin Europê J/L εἰς Εὐρώπην τὴν ἑταίραν
5.15 Rufin Sylloge de Rufin Mélitê J/L εἰς Μελίτην ἑταίραν
5.16 Marcus Argentarius Couronne de Philippe/Sylloge de Rufin Aristê J/L εἰς Ἀρίστην τὴν ἐταίραν
5.17 Gétulicus Anthologion de Diogénien/Sylloge de Rufin N’est pas nommée J/L εἰς ἐταίραν τινά ἐρωτικόν
5.21 Rufin Sylloge de Rufin Prodikê J/L εἰς Προδίκην ἑταίραν
5.22 Rufin Sylloge de Rufin Boôpis J/L εἰς Βοῶπιν τὴν ἑταίραν
5.23 Callimaque Couronne de Méléagre/Sylloge de Rufin Conôpion J/L εἰς Κωνώπιον τὴν ἑταίραν
5.24 Méléagre/Philodèmos Couronne de Méléagre/Sylloge de Rufin Héliodora J/L εἰς Ἡλιοδώραν τὴν ἑταίραν
5.25 Philodème Couronne de Philippe/Sylloge de Rufin Cydilla J/L εἴς Κυδίλλην τὴν ἐταῖραν
5.27 Rufin Sylloge de Rufin Mélissa J/L εἰς Μέλιτταν τὴν ἐταίραν
5.31 Antipater Couronne de Philippe/Sylloge de Rufin N’est pas nommée J/L ὅτι πάσας τὰς ὕλας ἡ ἡδονὴ ἀσπαζέται καὶ χωρὶς χρυσοῦ ἑταίρα οὐχ ἁλίσκεται
5.32 Marcus Argentarius Couronne de Philippe/Sylloge de Rufin Mélissa J/L εἰς Μέλισσαν τὴν ἐταίραν
5.40 Nicarque Anthologion de Diogénien/Sylloge de Rufin Philoumene J/L πρὸς ἑταίραν Φιλουμένην παραινέσεις
5.44 Rufin Sylloge de Rufin Lembion et Kerkourion J/L εἰς τὰς ἑταίρας Λέμβιον καὶ Κερκούριον : εἰσὶ δὲ ταῦτα τὰ ὀνόματα μικρὸν καραβίων, τῶν παρ᾽ ἡμῖν σανδάλων
5.46 Philodème Couronne de Philippe/Sylloge de Rufin N’est pas nommée J/L πρὸς ἑταίραν : κατὰ πεῦσιν καὶ ἀπόκρισιν
5.47 Rufin Sylloge de Rufin Thaleia J/L εἰς Θάλειαν, τὴν ἑαυτοῦ ἑταίραν
5.52 Dioscoride Couronne de Méléagre/Sylloge de Rufin Arsinoé J/L et C εἰς Ἀρσινόην ἑταίραν, Σωσιπάτρου
5.61 Rufin Sylloge de Rufin Philippê J/L εἰς Φιλίππην τὴν ἑταίραν
5.70 Rufin Sylloge de Rufin N’est pas nommée J/L εἰς ἑταίραν εὔμορφον
5.73 Rufin Sylloge de Rufin Rhodocleia J/L εἰς Ῥοδόκλειάν τινα ἑταίραν ὡραίαν
5.79 Platon Sylloge de Rufin N’est pas nommée J/L εἰς ἑταίραν τινὰ δυσπιθῆ
5.87 Rufin Sylloge de Rufin Mélissias J/L εἰς Μελισσιάδα τὴν ἑταίραν
5.92 Rufin Sylloge de Rufin Rhodopê J/L εἰς Ῥοδόπην τὴν ἑταίραν
5.107 Philodème Couronne de Philippe N’est pas nommée J/L εἰς ἑταίραν ὑπερήφανον
5.121 Philodème Couronne de Philippe Philainion J/L εἰς Φιλέννιον ἑταίραν ἔπαινος θαυμάσιος
5.123 Philodème Couronne de Philippe Callistion C εἰς Καλλίστιον τὴν ἑταίραν
5.125 Lollius Bassus Couronne de Philippe Corinne C εἰς Κόρινναν ἑταίραν
5.126 Philodème Couronne de Philippe Lysianassa et hétaïre inconnue C τωθαστικὸν ἐπί τινι ἐρῶντι σαρπῷ καὶ πολλὰ παρεχομένῳ ταῖς ἑταίραις
5.128 Marcus Argentarius Couronne de Philippe Antigone C εἰς ἑταίραν Ἀντιγόνην
5.130 Quintus Mæcius Couronne de Philippe Philainis C εἰς τὴν ἑταίραν Φιλαινίδα
5.133 Quintus Mæcius Couronne de Philippe Hédylion C εἰς Ἡδύλιον ἑταίραν
5.158 Asclépiade Couronne de Méléagre Hermione C εἰς Ἑρμιόνην ἑταίραν
5.160 Méléagre Couronne de Méléagre Démô C εἰς Δημὼ τὴν ἑταίραν
5.165 Méléagre Couronne de Méléagre Héliodora C εἰς Ἡλιοδώραν τὴν ἑταίραν
5.184 Méléagre Couronne de Méléagre N’est pas nommée C εἰς ἐπίορκον ἑταίραν
5.191 Méléagre Couronne de Méléagre N’est pas nommée C εἰς ἑταίραν ἄσωτον · ζηλότυπον καὶ μανίας μεστόν
5.197 Méléagre Couronne de Méléagre Timô et Démô C εἰς Τιμὼ καὶ Δημὼ τὰς ἑταίρας
5.199 Hédylos Couronne de Méléagre Aglaonice C εἰς Ἀγλαονίκην ἑταίραν
5.201 Anonyme Couronne de Méléagre Léontis C εἰς ἑταίραν τινὰ Λεοντίδα
5.202 Asclépiade Couronne de Méléagre Plangon C εἰς Πλαγγὼ ἑταίραν
5.204 Méléagre Couronne de Méléagre Timarion C εἰς Τιμάριον ἑταίραν · τωθαστικόν
5.220 Agathias Scholastique Cycle d’Agathias Cléoboulos C ἐπὶ τινί Κλεοβούλῳ τὴν παλλακὴν ἀποκείραντι
5.230 Paul le Silentiaire Cycle d’Agathias Doris C εἰς Δωρίδα τὴν ἑταίραν

La pallakē est la responsable pour les soins quotidiens du corps. C’est davantage que le plaisir momentané d’une relation sexuelle. Elle reste également plus longtemps dans la vie de l’homme. Souvent, la pallakē n’a qu’un amant qui la soutient financièrement. Elle se situe dans une zone limitrophe de l’oikos. Elle ne peut pas donner d’enfants légitimes à l’homme, mais elle est là pour l’entretien journalier (Goldhill 2014). Il n’y a pas beaucoup de références à ces courtisanes nées dans la ville. Elles glissent plus facilement dans l’obscurité des épouses. Dans les scholies du livre 5 de l’AG, la seule référence à une pallakē est dans 5.220.2, où C écrit que le texte porte sur un homme qui a tondu une courtisane. Dans l’épigramme, le poète reproche à Cléobulos le traitement que celui-ci dispense à une jeune fille.

εἰ καὶ νῦν πολιή σε κατεύνασε, καὶ τὸ θαλυκρὸν
κεῖνο κατημβλύνθη κέντρον ἐρωμανίης,
ὤφελες, ὦ Κλεόβουλε, πόθους νεότητος ἐπιγνούς,
νῦν καὶ ἐποικτείρειν ὁπλοτέρων ὀδύνας,
μηδ᾽ ἐπὶ τοῖς ξυνοῖς κοτέειν μέγα, μηδὲ κομάων
τὴν ῥαδινὴν κούρην πάμπαν ἀπαγλαΐσαι.
ἀντὶ πατρὸς τῇ παιδὶ πάρος μεμέλησο ταλαίνῃ,
καὶ νῦν ἐξαπίνης ἀντίπαλος γέγονας.(Agathias, AG 5.220)

Bien qu’aujourd’hui les cheveux blancs t’aient calmé et que ce brûlant aiguillon d’antan de ta rage amoureuse se soit émoussé, tu devrais, Cléobulos, te souvenant à cette heure des amours de ta jeunesse, compatir aux tourments de nos cadets, ne pas prendre une telle colère pour un accident des plus communs, ni dépouiller complètement ta délicate enfant de la parure des cheveux. Hier la pauvre enfant te regardait comme un père ; aujourd’hui brusquement te voici devenu son ennemi. (Waltz et al. 1928)

Cléobulos a châtié la jeune fille en lui coupant les cheveux parce qu’elle a eu d’autres partenaires sexuels. Or, si on suit Aubreton lorsqu’il fait la liaison entre 5.220 et 5.418, on voit des ressemblances entre pornē et pallakē, ce qui rend plus difficile une distinction précise de ces catégories. Les deux femmes sont maltraitées et châtiées à cause d’une chose que, selon Rufin, toutes les femmes font en théorie (Πᾶσαι τοῦτο ποοῦσι) et qui, selon Agathias, est des plus communes (ἐπὶ τοῖς ξυνοῖς). Dans 5.41, Rufin soulève la possibilité d’un amant, mais ce n’est pas une certitude. La pornē et la pallakē restent une cible de la jalousie et de la violence masculines.

L’hetaira est là pour les plaisirs (ἡδονῆς). Les premières femmes qu’on peut appeler hetairai sont les mistharnoussai (μισθάρνισσα,ας (ἡ)), des « salariées », celles qui reçoivent un salaire pour passer de longues périodes avec leurs compagnons — comme une nuit complète — et pas simplement pour l’acte sexuel, comme font les pornai (J. N. Davidson 2011). L’hetaira vend son temps, et pas forcément son corps. Les joies fournies par les hetairai sont plus vastes que la simple satisfaction sexuelle ; elles jouent des instruments, elles conversent, elles démontrent leur intelligence ; c’est à elles que revient l’obligation de créer un environnement agréable pour l’homme. Le sexe peut être inclus parmi ces joies, mais l’hetaira a une relative autonomie. Elle n’a pas de clients, mais des amis. Ce sont ses amis qui lui donnent des cadeaux lorsqu’ils lui rendent visite, et pas de l’argent pour payer pour du sexe. Elle peut choisir ses amis, elle doit être persuadée si on souhaite coucher avec elle. Les hetairai sont souvent présentes aux symposia. Sa position par rapport à la maison familiale est bien définie : elle reste à l’extérieur de celle-ci. L’hetaira n’est pas accessible au regard masculin comme le sont les pornai, puisqu’elle n’est pas dans les rues ou dans le bordel. Par contre, elle n’est pas cachée dans les maisons comme la gunē gametē. Elle est un point dans la ligne dont les extrémités sont : nue/visible et habillée/invisible. Pour les hommes d’Athènes, toutes les femmes sont dans une échelle de nudité. Plus elle est habillée, moins elle est visible.

Comme les pornai, les hetairai et les pallakai sont aussi ciblées par le désir masculin. Par contre, toutes ces catégories sont des représentations, et non des mises en texte d’une réalité distincte. Il y a un glissement entre les concepts, et les limites entre les noms donnés aux femmes ne sont pas toujours claires. Comme l’affirme Goldhill,

It should be immediately clear that the system of thinking which links pornê, hetaira, pallakê, aulêtris and other related terms is a system (rather than discrete fields of definition), and, as a system, is constructed in opposition to marriage, as a legal and social institution. (Goldhill 2014, 187).

La même femme peut être qualifiée de pornē ou d’hetaira selon la situation. Si le but est d’offenser la femme, on utilise le mot pornē, alors qu’hetaira est un mot plus euphémique. Par contre, les limites entre l’épouse et les autres femmes se maintiennent clairement, alors que les autres divisions représentent un riche lexique utilisé par des hommes pour faire référence aux femmes qu’ils fréquentent (J. N. Davidson 2011). Chaque mot dans ce lexique a ses particularités, mais toutes ces prostituées sont là pour satisfaire la volonté des hommes. Ces représentations partent toujours du regard masculin sur la femme. Les auteurs parlent des femmes, les lemmatistes jugent si tel texte fait référence à tel type de situation, mais les femmes restent toujours muettes. La femme est le contenu, mais l’homme en est l’écrivain.

L’amour vaut de l’or ?

Dans cette partie de l’ouvrage, nous traiterons des épigrammes dans lesquelles le prix de la relation sexuelle avec l’hétaïre-prostituée est clairement indiqué. Lorsqu’on parle des prostituées, l’une des principales caractéristiques que l’on signale est l’échange de sexe contre de l’argent ou des cadeaux. Davidson affirme que l’un des thèmes les plus récurrents dans le monde du sexe est « the attempt to draw a sharp distinction between two kinds of amorous intercourse : the romantic strategy of courting, wooing and seduction and the more direct approach of buying and selling sex » (J. N. Davidson 2011, 109). Lorsqu’on échange des cadeaux, la relation est entre deux êtres humains et l’on y trouve de la séduction, de la courtisanerie et de la réciprocité. L’un donne le cadeau, l’autre le reçoit. Ensuite, les rôles s’échangent, et la personne qui a donné va recevoir. Lors d’un échange d’argent, la situation est différente. Il n’y a plus de courtisanerie ni de séduction. Il s’agit d’une relation commerciale dans laquelle la structure de pouvoir est évidente. L’un achète, l’autre vend, et la marchandise en question dans ce cas est la pratique sexuelle.

Les prostituées ont des relations sexuelles en échange d’argent, ce qui crée des problèmes pour elles. En effet, il y a des évidences que, pour les Grecs, le sexe entre amants est un échange de cadeaux et de faveurs, mais que l’acte sexuel vendu est considéré comme de l’hybris (J. N. Davidson 2011, 117). Les prostituées sont mises en marge en raison du fait qu’elles vendent un produit — soit elles-mêmes, soit leur corps, soit leur temps. Elles sont vues comme étant au rang le plus bas de l’échelle d’exploitation sexuelle. La pornē n’est plus perçue comme un être humain à partir du moment où elle reçoit de l’argent pour copuler. Elle devient une marchandise, une commodité. Or, « [c]ommodity exchange establishes a relationship between objects, a relationship expressed in terms of price » (J. N. Davidson 2011, 110). Dans le monde des prostituées, les relations s’effectuent entre des produits. On donne de l’argent pour recevoir un autre produit. Dans l’AG, on trouve trois épigrammes dans lesquelles l’auteur indique explicitement le coût d’un rapport sexuel : les épigrammes 5.109 d’Antipater, 5.125 de Lollius Bassus et 5.126 de Philodème. Parmi ces épigrammes, seule l’épigramme 5.109 fait l’objet d’un commentaire indiquant que le texte est dédié à une pornē. Dans les deux autres épigrammes, le scholiaste affirme que l’épigramme concerne une hetaira. Commençons par l’épigramme 5.109.

Europe, l’Athénienne

δραχμῆς Εὐρώπην τὴν Ἀτθίδα, μήτε φοβηθεὶς
μηδένα, μήτ᾽ ἄλλως ἀντιλέγουσαν, ἔχε,
καὶ στρωμνὴν παρέχουσαν ἀμεμφέα, χὠπότε χειμών,
ἄνθρακας. ἦ ῥα μάτην, Ζεῦ φίλε, βοῦς ἐγένου (Antipater, AG 5.109)

Pour une drachme, Europe l’Athénienne, sans que tu aies à redouter personne ni d’ailleurs à encourir de refus, est à toi ; elle fournit en outre un bon lit et, en hiver, du charbon : par ma foi, ce n’était pas la peine, mon cher Zeus, de te faire taureau (Waltz et al. 1928)

D’abord, on voit que le poète paie une drachme pour coucher avec Europe. Si l’on considère le prix tabulé de deux drachmes pour une joueuse de flûte9, Europa ne reçoit pas grand-chose pour ses services. De plus, elle est une femme disponible à quiconque et elle offre ses services de jour comme de nuit, hiver comme été. Elle ne va rien refuser à l’homme qui la paie et ne va pas non plus rétorquer à quelque chose qu’on lui dit. On découvre aussi qu’elle ne se restreint pas à l’acte sexuel. Elle s’assure que l’homme reste avec elle et lui fournit une maison chaude et confortable. La pornē Europe est là pour satisfaire les désirs et combler les besoins du client. Comme un objet, elle sert à quelque chose, elle a une fonction à remplir : le confort masculin.

Dans la Politique (Aristote 1988), Aristote parle de la science du maintien et de la gestion de l’oikos. Le philosophe identifie trois types de relations au sein de l’environnement familial : celle du maître et de l’esclave, celle du mari et de la femme, et celle des parents et des enfants. Dans la discussion sur la relation entre maître et esclave, le premier postulat d’Aristote est que la propriété fait partie de l’oikos et qu’il existe un art de gérer et d’acquérir les outils nécessaires à l’oikos. Parmi ces outils, il y a des outils animés — τὰ δὲ ἔμψυχα, les êtres vivants — et des outils inanimés — τὰ ἄψυχα, les objets. L’esclave est la propriété et l’instrument animé du maître de l’oikos. De plus, chaque instrument a une fonction préétablie qu’il doit être en mesure de remplir. En ce sens, Europe remplit très bien le rôle pour lequel elle a été désignée.

La pornē est une femme réduite à l’esclavage et son corps est complètement instrumentalisé (Goldhill 2014). Les pornai doivent avoir des relations avec quiconque le désire, ὁ βουλόμενος (J. N. Davidson 2011). Elle ne peut rien dire ni rien refuser. Elle doit avoir des relations sexuelles avec quiconque le souhaite et est en mesure de la payer. En effet, la prostutition n’était pas forcément un travail à temps plein. Il arrive fréquemment que la prostituée soit aussi employée dans la fabrication textile. Un propriétaire d’esclaves avide ne laisserait pas ses esclaves rester inactifs en attendant la tombée de la nuit. Le bordel, surtout s’il est bon marché, doit se doubler d’une usine de textile (J. N. Davidson 2011). Le motif du changement d’emploi de l’industrie textile pour la prostitution apparaît aux épigrammes 6.48, 6.283, 6.284 et 6.285.

La présence de Zeus dans cette épigramme est également à noter. Zeus est capable de performer tout type d’acte pour avoir des relations sexuelles. Ici, le poète se moque du dieu, qui s’est transformé en taureau pour coucher avec l’Europe mythique. Ce n’est pas la seule épigramme dans laquelle Zeus est représenté en train d’accomplir des actes fantastiques pour avoir des relations sexuelles avec quelqu’un. Dans l’épigramme 5.34, Zeus se transforme en pluie d’or pour avoir des relations sexuelles et, dans l’épigramme 5.65, il se transforme en aigle pour kidnapper Ganymède et en cygne pour avoir des relations avec Léda. La présence de Zeus, dieu cosmogonique, dans ces épigrammes en tant que consommateur de services sexuels indique que la pratique de la prostitution fait partie de l’ordre social et qu’elle n’est pas reprochée par la culture où s’insèrent les épigrammatistes. En lisant la scholie 5.109.2, on apprend que pour J/L cette épigramme est dédiée à une pornē, c’est-à-dire que, pour lui, recevoir de l’argent pour l’acte sexuel et être toujours disponible sont des caractéristiques du monde des pornai. De toutes les épigrammes qui, selon J/L, sont consacrées à une hétaïre, aucune ne précise le montant demandé par la femme10. Cependant, parmi les trois épigrammes dans lesquelles est quantifié le prix à payer pour avoir une relation sexuelle, seule 5.109 est consacrée à une pornē. Les autres, 5.125 et 5.126, sont, selon C, dédiées à une hétaïre. Cela indique une différence de compréhension entre les lemmatistes J/L et C sur la question de savoir qui demande de l’argent pour avoir des relations sexuelles. Pour J/L, seuls les pornai font payer, alors que C inclut également les hetairai dans ce groupe.

Corinne

οὐ μέλλω ῥεύσειν χρυσός ποτε: βοῦς δὲ γένοιτο
ἄλλος, χὠ μελίθρους κύκνος ἐπῃόνιος.
Ζηνὶ φυλασσέσθω τάδε παίγνια: τῇ δὲ Κορίννῃ
τοὺς ὀβολοὺς δώσω τοὺς δύο, κοὐ πέτομαι. (Lollius Bassus, AG, 5.125)

Je n’ai pas l’intention de tomber jamais en pluie d’or ; qu’un autre se mue en taureau ou, sur quelque rivage, en cygne à la voix mélodieuse. Laissons ces plaisanteries à Zeus : Corinne aura de moi ses deux oboles ; mais quant à prendre des ailes, non (Waltz et al. 1928)

Lollius Bassus était un poète et écrivain romain qui a vécu au Ier siècle av. J.-C. Il est principalement connu pour sa poésie et il est souvent associé au cercle de poètes et d’écrivains de la cour de l’empereur romain Auguste, qui régna de 27 av. J.-C. jusqu’à sa mort en 14 apr. J.-C. Lollius Bassus avait également la réputation d’être un poète éloquent, et certains de ses poèmes ont été inclus dans des anthologies et des recueils de poésie romaine. Dans le contexte de l’AG, les épigrammes de Bassus proviennent de la Couronne de Philippe.

La prostitution comprend plus d’éléments que le simple échange de sexe contre de l’argent. Des modèles d’échange et de réciprocité, des valeurs sociales et financières, des temporalités, des espaces publics ou privés, des travaux et des corps y sont également sous-jacents (Goldhill 2014). Comme l’affirme Antipater dans 5.109, une fois la pornē payée, toute la relation et son contexte se transforment en choses disponibles à l’homme. Pourtant l’objectification de la femme — en tant que pornē, la femme, sa maison et son temps deviennent des objets à vendre — confond les hommes aussi. J écrit dans 5.30.2 que les pornai accueillent mieux l’or que les amants (πόρναι τὸν χρυσὸν μᾶλλον ἤ τοὺς ἐραστὰς ἀσπάζονται). Dans 5.30, on voit la solidité de cette réflexion : J dit que le texte d’Antipater affirme que les pornai sont plus intéressées par l’argent que par les amants. Le Thessalonicien, à son tour, attribue à Homère cette représentation du féminin :

πάντα καλῶς, τό γε μήν, χρυσῆν ὅτι τὴν Ἀφροδίτην,
ἔξοχα καὶ πάντων εἶπεν ὁ Μαιονίδας.
ἢν μὲν γὰρ τὸ χάραγμα φέρῃς, φίλος, οὔτε θυρωρὸς
ἐν ποσίν, οὔτε κύων ἐν προθύροις δέδεται:
ἢν δ᾽ ἑτέρως ἔλθῃς, καὶ ὁ Κέρβερος. ὦ πλεονέκται,
οἱ πλούτου, πενίην ὡς ἀδικεῖτε νόμοι. (Antipater, AG 5.30)

Il dit toujours vrai, le poète de Méonie, mais jamais autant que lorsqu’il appelle Aphrodite la déesse d’or. Si vous apportez de l’argent, on vous reçoit en ami; pas de portier pour vous barrer la route, pas de chien : tout est enchainé dans le vestibule; mais si vous venez les mains vides, c’est Cerbère que vous trouverez. O hommes avides de richesses, quel crime vous commettez, légalement, envers la pauvreté ! (Waltz et al. 1928)

Or, une fois devenue marchandise, pourquoi la prostituée devrait-elle recevoir autre chose que de l’or ? L’incompréhension masculine dévoile la représentation pornographique de la femme. La femme est l’individu incontrôlé. Ou bien elle donne tout à l’amant — s’il a de l’argent — ou bien elle ne donne rien — dans le cas d’un manque pécuniaire. La théorique cupidité féminine est partie intégrante du regard pornographique. Selon Parker, la sexualité masculine est synonyme de contrôle, incluant la maîtrise de soi-même et de ses désirs. Le mâle est modéré, il domine ses passions. Par contre, la femme n’a aucune maîtrise. Elle ne domine pas, elle est dominée. Ainsi, ses désirs et ses passions sont les maîtres. C’est pourquoi la sexualité féminine est immodérée (Parker 1992). La femme ne réussit pas non plus à dominer son amour pour l’argent. Elle modifie ses actions et ses amours par rapport à la présence ou l’absence de l’or. Dans ce contexte, le pragmatisme de Bassus devient encore plus tranchant. Il ne se transformera pas en taureau, il ne fera rien d’autre que de payer les deux oboles à Corinne. Avec une certaine ironie, Bassus démontre sa modération et la valeur que représente pour lui une relation sexuelle avec Corinne. Il n’est pas prêt à sacrifier quoi que ce soit. La marchandisation de la prostituée est complète. Elle ne vaut que les deux oboles, rien de plus.

Les catégories d’hétaïre et de prostituée, comme nous le soutenons dans cette partie de l’ouvrage, sont construites l’une par rapport à l’autre. Ce ne sont pas des concepts fixes et immuables, surtout si l’on considère les variations dans le temps et l’espace. Le concept d’hétaïre change entre la pólis classique et l’Empire romain parce que les structures politiques et sociales sont différentes. Or, dans un contexte démocratique, le corps de la prostituée est public et le citoyen ne doit pas se battre contre un autre citoyen à cause d’une prostituée, et cette femme ne peut pas non plus prendre part à la vie citoyenne parce qu’elle est souvent une étrangère esclavagisée (Glazebrook 2016). En dépit de cela, l’hétaïre et la prostituée partagent des caractéristiques communes, notamment le fait de recevoir une rémunération pour avoir une relation sexuelle ou pour passer du temps avec le client. Ainsi, le fait que C ait écrit que l’épigramme de Bassus est dédiée à une hétaïre n’est pas anodin. C pourrait aussi, comme l’a fait J/L en commentant l’épigramme 5.109, dire qu’il s’agit d’une pornē, mais il ne le fait pas. En réalité, C ne considère que trois fois la femme mentionnée dans une épigramme comme une pornē. Il s’agit des épigrammes 5.129, 5.185 et 5.186. Dans ces textes, l’origine étrangère de la femme est soulignée — l’épigramme 5.129 a pour personnage une « bayadère d’Asie » — la femme est assimilée à une marchandise à consommer lors d’un banquet — dans l’épigramme 5.185, Tryphera n’est qu’un article de plus sur la liste des achats - et sa renommée la précède - l’épigramme 5.186 a pour personnage Philainis, dont nous parlerons plus loin. L’épigramme de Bassus et le commentaire de C révèlent la difficulté de distinguer clairement l’hétaïre de la prostituée. Ces deux concepts sont souvent interchangeables. Et ce n’est pas nécessairement le montant demandé par la femme qui départage l’hétaïre de la prostituée. L’épigramme de Philodème apporte d’autres éléments à cette discussion.

Lysianassa et l’amour épicurien de Philodème

Les épigrammes de Philodème font partie de la Couronne de Philippe. Comme Méléagre, Philodème est né à Gadara. À un jeune âge, il est sorti de Gadara et il est allé à Athènes, où il a étudié avec Zénon de Sidon, le maître de l’école épicurienne à ce moment (Fain 2010). Parmi les chemins qu’il a empruntés, Philodème a passé une période importante de sa vie à Rome. Là, il a fait partie du cercle des intimes de Lucius Calpurnius Pison Caesoninus, consul en 58 av. J.-C. et beau-père de Jules César. La présence de Philodème dans le cercle de Pison conduit Gigante (1987) à affirmer qu’il y a eu pénétration en profondeur de la doctrine épicurienne au sein de la classe dirigeante romaine du Ier siècle. En plus, l’hypothèse de l’auteur est que la bibliothèque11 trouvée à la Villa des Papyrus, à Herculanum, était la bibliothèque de Pison, mais qu’elle était pensée par Philodème. Gigante déclare même que le fonds le plus ancien de la bibliothèque fut apporté à Herculanum par Philodème lui-même. La Villa des Papyrus est un exemple où l’idéologie politique et et l’idéologie philosophique se mélangent dans une tentative d’intégrer une vie publique avec un programme d’éducation de l’esprit dans le tissu social de l’État romain. Faisant le choix épicurien de se tenir à l’écart de la vie politique, Philodème demeure en campagne, hors de Rome, mais il enseigne l’épicurisme à l’élite romaine depuis Herculanum. Philodème prouve ainsi être un philosophe aux préoccupations sociales et didactiques. Ceci est important dans ce contexte, car notre lecture veut que l’épigramme 5.126 soit un texte promouvant la philosophie épicurienne.

Philodème a trente-deux épigrammes dans l’AG. Parmi celles-ci, dix-sept se trouvent dans le livre 5 et une dans le livre 12, les autres étant réparties dans les livres 6, 7, 9, 10, 11 et 16. En plus, il a écrit des textes tels que Rhétorique ; Poétique ; Musique ; Modes de vie (Περὶ ἠθῶν καὶ βίων) ; Des vices et des vertus opposées (Περὶ κακιῶν καὶ ἀντικειμένων ἀρετῶν) ; Sur la liberté de parole (Περὶ παρρησίας) ; Sur l’adulation (Περὶ κολακείας) ; De la religiosité (Περὶ εὐσεβείας) ; Sur les dieux (Περὶ τῶν θεῶν) ; Sur la mort (Περὶ θανάτου) (Gigante et Grimal 1987). On se rend compte que Philodème était un auteur prolifique qui abordait une variété de sujets sous différentes formes, et qu’il a écrit de la prose et de la poésie. Une partie de la littérature sur Philodème12 considère qu’il est important de séparer les œuvres dites philosophiques de l’auteur (les traités en prose) de sa poésie, y compris de sa poésie érotico-pornographique. Comme le dit Fain, « one of the great puzzles of Philodemos’s life and work is how we are to reconcile his witty and off-color poetry with his ascetic philosophy » (Fain 2010, 186). Ces deux facettes de l’individu sont-elles réconciliables ? L’une exclut-elle nécessairement l’autre ?

Une hypothèse permettant de maintenir cette opposition entre philosophe et pornographe consiste à séparer les œuvres de Philodème selon un critère d’âge. Les poèmes seraient le fruit de la jeunesse de l’auteur, tandis que les traités philosophiques seraient les œuvres de maturité de Philodème. Le problème de cet argument est qu’il n’est pas possible de dater précisément les textes de Philodème. On ne peut pas affirmer avec certitude que, par exemple, l’épigramme 5.126 a été écrite dans sa jeunesse, alors que la Poétique a été écrite quand il était plus âgé. En effet, il est possible que la Poétique ait été écrite avant l’épigramme 5.126. En plus, cet argument de l’âge présuppose que le texte érotique est dépourvu de connaissances – il n’a rien à apprendre à son lecteur – et qu’il doit donc être l’œuvre d’un jeune homme – qui, selon cette hypothèse, n’a pas grand-chose à enseigner non plus. Dans ce travail, nous privilégions l’hypothèse selon laquelle il n’y a pas de distinction claire entre philosophe, poète et pornographe et où le texte érotique peut servir de moyen de transmission du savoir épicurien. Cependant, l’hypothèse d’une séparation entre poésie et philosophie n’est pas une construction des analystes modernes. Cette dichotomie – philosophie épicurienne d’une part, épigrammes amoureuses d’autre part – est déjà présente dans le Deipnosophistes cité plus haut. Revenons au passage qui nous intéresse ici :

ὅν φησι Θεόφραστος ἐν τῷ περὶ Εὐδαιμονίας περιιόντα ἐπαγγέλλεσθαι διδάσκειν εὐτυχίαν, ἐρωτοδιδάσκαλε (Athénée de Naucratis. et Gulick 1928)

Théophraste dit dans son livre sur le Bonheur, qu’il désirait enseigner l’art d’être heureux. Non, toi, tu cherches plutôt à nous apprendre l’érotisme. (Philippe Remacle s. d.a)

Les termes « περὶ εὐδαιμονίας » et « εὐτυχίαν » semblent indiquer qu’Athénée fait référence à l’épicurisme dans ce passage. Dans ce fragment, Athénée établit la distinction entre « διδάσκειν εὐτυχίαν » – enseigner l’art d’être heureux – et « ἐρωτοδιδάσκαλος » – celui qui enseigne l’art d’aimer. D’après Épicure, le but de l’homme est d’être heureux, et la philosophie est le chemin pour maîtriser le bonheur. Cet « art d’être heureux » est la philosophie, et cette séparation entre « l’art d’être heureux » et « l’enseignement de l’art d’aimer » peut servir en tant que clé de lecture pour l’épicurisme. Comme le dit Delattre (2010), « l’épicurisme est la philosophie du plaisir, et le plaisir est sa finalité ». Alors pourquoi la dénommée « philosophie du plaisir » sépare-t-elle de manière catégorique le bonheur du désir érotique ? Pour comprendre cette dichotomie mise en évidence par le passage de l’Athénée, il faut comprendre le couple bonheur-douleur dans la conception d’Épicure.

Pour Épicure, le bonheur est l’absence de douleur, et il suffit que l’on fasse disparaître les douleurs pour que le bonheur apparaisse. Il n’y a pas de concept intermédiaire entre douleur et bonheur. Il y a soit du bonheur, soit de la douleur. Il n’est pas possible pour un individu de ressentir à la fois « un peu de bonheur » et « une petite douleur ». Ce qui apporte le bonheur ou la douleur, ce sont les affections – τὸ πάθος. Il y a deux versants fondamentaux à ces deux affections (le plaisir et la douleur) : elles peuvent affecter le corps ou l’âme. Par rapport au corps, le chemin vers le bonheur est l’ἀπονία, l’absence de douleur physique. Par exemple, si la faim fait souffrir un individu, il mangera. Il mettra ainsi fin à la douleur qui l’affligeait. L’aponia n’a rien à voir avec le désir érotico-sexuel. L’aponia est simplement l’absence de douleur physique. Par rapport à l’âme, le chemin est l’ἀταραξία, c’est-à-dire l’absence de trouble et de douleur de l’âme (Delattre et Pigeaud 2010). Le désir érotico-sexuel fait obstacle à l’ataraxie. Les désirs sont divisés en trois catégories : naturels nécessaires, naturels non-nécessaires et non-naturels non-nécessaires. Les désirs naturels nécessaires répondent aux besoins vitaux, tel qu’apaiser la faim ou le froid. Ce désirs conduisent à l’ataraxie. Les désirs naturels non-nécessaires sont ressentis alors que l’individu ne manque de rien, et ils répondent par exemple au désir de luxe ou de sexualité. Ces désirs, selon Épicure, rendent plus difficile l’atteinte de l’ataraxia. Les désirs non-naturels non nécessaires doivent être évités, car ils n’appartiennent pas à la physis et, puisque le bonheur ne peut pas se trouver au-delà des limites de la nature, ces désirs ne peuvent donc pas conduire au bonheur (Gamache 2007). Dans ce cadre, le désir sexuel est naturel, mais non-nécessaire. Il va poser des troubles à l’âme, empêchant ainsi l’âme d’atteindre un état d’ataraxie. Il est trompeur, car il s’appuie sur des images fausses, des représentations vides crées par la libido. C’est de là que vient la distinction entre le bonheur et le désir sexuel. Philodème va reformuler cette relation et indiquer que le désir sexuel ne fait pas obstacle à l’atteinte de l’ataraxie.

πέντε δίδωσιν ἑνὸς τῇ δεῖνα ὁ δεῖνα τάλαντα,
καὶ βινεῖ φρίσσων, καὶ μὰ τὸν οὐδὲ καλὴν
πέντε δ᾽ ἐγὼ δραχμὰς τῶν δώδεκα Λυσιανάσσῃ,
καὶ βινῶ πρὸς τῷ κρείσσονα καὶ φανερῶς.
πάντως ἤτοι ἐγὼ φρένας οὐκ ἔχω, ἢ τό γε λοιπὸν
τοὺς κείνου πελέκει δεῖ διδύμους ἀφελεῖν. (Philodème, AG 5.126)

Un tel donne à une telle cinq talents pour une seule fois en outre il tremble quand il couche avec elle et, ma foi, elle n’est pas même pas jolie ; moi, je paie cinq drachmes à Lysianassa pour l’avoir douze fois et, outre qu’elle est plus belle, je fais cela sans me cacher. Ou bien, ma parole, c’est moi qui ai complètement perdu la raison ou c’est à l’autre qu’il faut, et dès maintenant, trancher les deux… jumeaux d’un coup de hache. (Waltz et al. 1928)

La première chose qui frappe dans cette épigramme, ce sont les valeurs monétaires et leur disparité. Lysianassa reçoit cinq drachmes, tandis que l’autre hétaïre, qui n’est pas nommée, reçoit cinq talents. Cette différence attire l’attention. Examinons le prix des pièces de monnaie. La drachme vaut six oboles ; la mina, 100 drachmes et le talent, 60 minas. Calculons donc la valeur de chaque relation sexuelle en drachmes. La relation sexuelle d’untel, qui était mauvaise, faite à la hâte et dans l’obscurité, a coûté cinq talents, donc 300 minas, ce qui équivaut à 30 000 drachmes. Philodème, quant à lui, a payé cinq drachmes pour 12 rapports sexuels, soit 0,41 drachme pour chaque rapport sexuel. L’écart entre les valeurs est absurde. La conclusion que tire Philodème ne peut être autre : il y a quelque chose qui ne va pas dans cette situation. Avoir des relations sexuelles avec une femme laide, à la hâte et en cachette, et payer une énorme somme d’argent pour cela ne peut pas être la manière la plus appropriée de satisfaire un plaisir. Et si c’est vraiment la bonne façon, « cela signifie que je n’en ai pas connaissance », conclut-il. Ainsi, pour Simone Beta (2007), la morale de l’épigramme est claire : connais la valeur de ton argent. Sans être en désaccord avec la lecture de Beta, nous ajoutons que, plus qu’une transaction sexuelle extrêmement bon marché, l’épigramme déploie le concept de mesure (τὸ μἐτρον).

Le plaisir et la douleur sont les unités d’évaluation pour mesurer le bonheur humain. Les opérations de mesure agissent sur deux tableaux. Dans la prophylaxie, le philosophe évite les douleurs inutiles et il renonce aux plaisirs qui entraînent avec eux des douleurs. Dans la thérapie, face à douleurs inévitables, le philosophe recherche des plaisirs capables de compenser à mesure égale ou supérieure les douleurs éprouvées (Prost 2012). Or, le plaisir est produit par les choses plaisantes, et la douleur par les choses douloureuses. L’utilisation du comparatif κρείσσονα13 révèle que l’acte sexuel décrit dans 5.126 est plaisant, qu’il est meilleur que l’acte accompli par untel. Dans ce sens, dans l’épigramme, le sage trouve en lui une quantité de plaisirs (la relation sexuelle et la beauté de l’hétaïre) supérieure à la quantité de douleur (le prix à payer).

Pace (2009) soutient que la thèse d’Épicure selon laquelle la poésie est porteuse d’un savoir particulièrement néfaste a été reprise et reformulée par Philodème environ un siècle après la mort d’Épicure. Pour Philodème, la poésie peut être un instrument de diffusion de la connaissance et une source de plaisir. Cela indique que la poésie a une valeur esthétique indépendamment de son contenu. Une épigramme sur les prostituées est un moyen aussi valable qu’un autre de discourir au sujet de la philosophie épicurienne. Et Philodème est, d’après les mots de Gigante (1987), un « vulgarisateur savant » de la philosophie épicurienne. Dans ce contexte, revenons au dernier distique de l’épigramme : ἤτοι ἐγὼ φρένας οὐκ ἔχω. Il faut distinguer les différentes activités de l’esprit. Parmi elles, la « compréhension », terme utilisé par Delattre (2010) pour traduire φρόνησις, joue un rôle particulier. « Concevoir » est l’action de saisir par la pensée certaines vérités complexes qui peuvent être analysées rationnellement, mais qui sont mieux perçues par de l’analogie ou de l’intuition intellectuelle. La phronēsis est l’intelligence pratique, l’application de la sagesse du philosophe à la praxis. Or, Philodème met en place la situation suivante. Si untel a raison d’avoir payé les cinq talents pour faire l’amour, Philodème n’est pas sage et il ne peut pas mettre sa sagesse en pratique. Si Philodème a raison, c’est un sage qui a mesuré le plaisir qu’il aurait à coucher avec Lysianassa par rapport à ce qu’il lui en coûterait, et il faut couper les testicules d’untel, car ils sont une source de douleur et d’inquiétude pour l’avoir conduit à payer un prix excessif pour que l’hétaïre couche avec lui. En payant une somme « raisonnable » pour l’acte sexuel, Philodème résout les problèmes de sa propre libido, il démontre qu’il a de l’intelligence et il atteint ainsi l’ataraxia.

L’épigramme 5.126, en plus d’être une poésie et de divulguer la philosophie épicurienne, fait partie du groupe d’épigrammes qui nomment des prostituées et des hétaïres. Lysianassa était une des cinquante Néréides. Parmi les femmes expressément nommées, un autre nom ressort, celui de Philainis. Lysianassa et Philainis ont un autre point commun : elles sont toutes deux réputées maîtriser les arts sexuels. Lysianassa performe τῶν δώδεκα, les douze positions sexuelles ou les douze fois où le poète dit faire amour. Or, le douze n’est pas un nombre ordinaire lorsqu’il est question d’amour. Aeschylus accuse Euripedes d’avoir écrit ses chants lyriques en accord avec les « douze trucs » de Cyrène. Selon les scholies du passage, il est d’abord dit que la courtisane est appelée Douzetrics parce qu’elle est capable de performer douze positions sexuelles (Beta 2007), un fait que Lysianassa est aussi capable de réaliser. Cela semble indiquer l’existence d’un manuel sexuel dans lequel les courtisanes puisaient des références pour leur travail. Qui est l’auteur d’un tel manuel ? Philainis ?

Philainis : autrice d’un manuel érotique et femme ἀναίσχυντος

Les pornai ne sont pas souvent nommées. Dans un groupe de 13 éléments, six épigrammes14 portent le nom de la pornē à laquelle elles sont dédiées. À titre de comparaison, parmi les 53 épigrammes dont la scholie indique qu’il s’agit d’une hétaïre, 43 scholies indiquent le nom de l’hétaïre15. L’Antiquité nous a laissé peu d’œuvres faites par des femmes. On peut dire que, durant cette période, la fonction d’auteur du texte est en général attribuée à un homme (Boehringer 2014). Dans ce contexte, la référence à une femme — même la dédicace — devient plus significative. Les pornai nommées sont : Doris, Europe, Lysidikê et Euphrantê, Philistion, Tryphéra et Philainis. Les hétaïres nommées sont : Sténélaïde, Chrysilla, Philainis (3 fois lorsqu’on considère Philainion comme le diminutif de Philainis), Ionis, Héracleia, Elpis, Prodikê (2 fois), Charito, Europe, Mélite, Aristê, Boôpis, Conôpion, Héliodora (2 fois), Cydilla, Mélissa (2 fois), Philoumene, Lembion, Kercurion, Thaleia, Arsinoé, Phillipê, Rhodocleia, Mélissias, Rhodopê, Callistion, Corinne, Lysianassa, Antigone, Hédylon, Hermione, Démo (2 fois), Timô, Aglaonice, Plangon, Timarion, Cléobulos et Doris. Les noms mentionnés dans les listes de pornai et d’hetairai sont Doris, Europe et Philainis. Parmi ces personnages, Doris est la femme dont Dioscoride fait l’éloge dans 5.55, et dont nous traitons dans une autre partie du texte. Europe a également été évoquée lors de l’analyse de l’épigramme 5.109, d’Antipater. À ce stade du texte, il convient de travailler avec le groupe d’épigrammes concernant Philainis. Dans ce groupe d’épigrammes, il y a celles où elle est mentionnée explicitement dans le corps de l’épigramme – 5.202 – celles où le scholiaste dit que l’épigramme est dédiée à l’hétaïre Philainis – 5.4, 5.121, 5.130 – celles qui sont dédiées à la prostituée Philainis – 5.186 – et celles qui sont dédiées à Philainis, sans préciser quelle est son occupation – 5.162. À cela s’ajoutent les cinq épigrammes du livre 7 dans lesquelles Philainis est citée – 7.198, 7.345, 7.450, 7.477 et 7.486.

Philainis est un nom célèbre. Elle est connue des hommes, tel que nous l’apprenons au premier distique de l’épigramme 7.345, où sa pierre tombale poétique nous affirme sa célébrité – ἐγὼ Φιλαινὶς ἡ ᾽πίβωτος ἀνθρώποις (AG 7.345). Dans la scholie 7.345.1, nous découvrons d’autres informations sur Philainis. Tout d’abord, une nationalité lui est attribuée. Elle serait originaire d’Éléphantine, en Égypte. Ensuite, elle aurait écrit sur l’activité des hétaïres. Et enfin, que parce qu’elle a écrit sur les hétaïres, elle a été la cible de la satire des sages d’Athènes. En revenant au texte de l’épigramme, nous constatons que certaines informations de la scholie sont contredites, tandis que d’autres sont confirmées et clarifiées. L’épigramme désigne le sage d’Athènes qui s’est moqué de Philainis : Polycrate. Cependant, la pierre tombale poétique affirme avec force que la femme enterrée là ne fréquentait pas les hommes luxurieux et n’était pas disponible pour n’importe qui. Il y a donc un premier désaccord au sujet de Philainis, à savoir si elle était ou non une hétaïre-prostituée. De plus, soulevant une autre question sur le personnage, Waltz (1928) soutient que la Philainis dont le sophiste Polycrate se serait moqué est Philainis, une poétesse de Samos. Il y aurait donc deux Philainis supposées, une poétesse de Samos et une hétaïre-prostituée d’Égypte. Ainsi, qu’il s’agisse d’une seule personne ou de deux, il y a deux éléments centraux dans la construction du personnage de Philainis. D’abord, elle est associée aux travailleuses du sexe et à leurs activité à un tel point que, dans les épigrammes 7.345 et 7.450, les pierres tombales nient que Philainis ait fait partie de ce monde. Ensuite, elle est une femme instruite. À côté d’Astyanassa — la domestique d’Hélène — et d’Elphantis — disciple d’Astyanassa (Parker 1992), Philainis est mentionnée comme autrice de manuels érotiques à partir du IVe siècle. Boehringer argumente que :

Philaenis is the most often mentioned of the female authors to whom the authorship of an erotic treatise or manual is attributed, and she is the only one whose works we know directly. A dozen sources refer to her, and the publication, in 1972, of a few papyrological fragments of what seems to be her manual (P. Oxy. 2891) allows us to infer that Philaenis’ work probably dates from the middle of the fourth century BCE and that it was particularly well known during the following centuries until imperial times. (Boehringer 2014, 374)

Le nom de Philaenis évoque des idées d’excès et de connaissance des pratiques sexuelles. Parker affirme que « it is clear that her name [Philainis] is later used as a cover term for writers of sex manuals, for prostitutes, for whatever the user of her name considers to be sexually depraved (Parker 1992, 93) ». La connaissance acquise par Philainis est réputée être empirique. Elle écrit à partir de son expérience. En guise d’évidence textuelle, on conserve trois fragments attribués à l’œuvre de Philainis (P. Oxy. 2891, fr. 1–3) où l’autrice affirme qu’elle a une expérience pratique du sujet sur lequel elle écrit (Boehringer 2014). L’expérience et la compétence de Philainis sont telles qu’elle est devenue une sorte de point de repère. Dans l’épigramme 5.202, Asclépiades s’amuse de la réputation de Philainis.

πορφυρέην μάστιγα καὶ ἡνία σιγαλόεντα
Πλαγγὼν εὐίππων θῆκεν ἐπὶ προθύρων,
νικήσασα κέλητι Φιλαινίδα τὴν πολύχαρμον,
ἑσπερινῶν πώλων ἄρτι φρυασσομένων.
Κύπρι φίλη, σὺ δὲ τῇδε πόροις νημερτέα νίκης
δόξαν, ἀείμνηστον τήνδε τιθεῖσα χάριν. (Asclépiade de Samos, AG5.202)

Ce fouet poli et ces rênes brillantes, c’est Plangôn qui en a fait l’offrande sous le portique aux beaux chevaux, après qu’au trot monté elle eut triomphé de l’ardente Philainis, le soir, au moment où les cavales commencent à hennir. Toi, chère Cypris, accorde à sa victoire une gloire sans tache, rendant impérissable ce témoignage de ta faveur. (Waltz et al. 1928)

Plagon, une jeune fille que C qualifie d’hétaïre dans 5.202.2, a vaincu Philainis au kelēs (Πλαγγὼν […] νικήσασα κέλητι Φιλαινίδα τὴν πολύχαρμον). C’est un grand triomphe de Plagon, la vainqueuse de la dispute, surtout si l’on considère la notoriété de son adversaire : Philainis, la polykharmon. D’abord, l’épithète est remarquable. Elle est celle qui éprouve beaucoup de joie (χάρμη) à combattre : elle jouit en agissant. Plagon donc a vaincu une femme connue pour aimer ce qu’elle fait. Une telle réputation signifie qu’elle avait de l’expérience, que ce n’est pas la première fois qu’elle dispute le kelēs. Mais quelle est la dispute où ces femmes sont en train de compétitionner  ? Le mot kelēs désigne à la fois la course de chevaux et une position sexuelle, d’où émerge la dualité et le jeu de l’épigramme. D’après Bailly (Bailly et al. 2000), la première acception du mot est en tant qu’adjectif masculin « de course, coureur » qui donne le substantif ὁ κέλης. Selon ce dictionnaire, le sexe s’y introduit à la troisième acception, et le dictionnariste répertorie le sens de « pudenda muliebria » et l’associe à Eustathe de Thessalonique, un érudit et écclésiaste byzantin du XIIe siècle. Pourtant, kelēs, la course à cheval, était déjà une position sexuelle connue et dont le prix était déjà déterminé. Davidson explique que l’un des facteurs qui déterminent le prix d’une relation sexuelle avec une pornē concerne les positions sexuelles qui seront utilisées pendant les rapports. Les plus communes étaient au nombre de trois : κύϐδα, λορδόω et le κέλης précédemment cité. Dans le cas du kubda, où la personne pénétrée se maintient debout et se courbe vers l’avant, et dans le cas du lordō, où la personne pénétrée se courbe vers la poitrine de la personne qui pénètre, la pénétration est faite par derrière. Dans le cas du kelēs, la personne pénétrée monte le pénétrateur comme à cheval, d’où le nom. Le jeu entre l’équitation et la position sexuelle apparaît aux épigrammes 5.202 et 5.20316. Dans 5.202, la position est nominalement mentionnée, et dans 5.203 Lysidikê s’est entrainée à la « monte renversée » (ὕπτιον ἵππον ἐγύμνασεν). Parmi les trois positions mentionnées, le kelēs était la position la plus chère (J. N. Davidson 2011). Par contre, « Heath’s 1986 study of the verb kelētizō (“to ride”, sens. obsc.) has shown that this sexual position was one considered degrading to women and that prostitutes often refused to perform it ». (Henry 1992, 264). Une position dégradante et couteuse est le sujet idéal pour un manuel érotique.

Les manuels érotiques sont un genre textuel particulier. Selon Parker, les caractéristiques d’un manuel sexuel sont les suivantes : 1. l’œuvre est attribuée à une femme, et le nom de l’auteur est toujours féminin ; 2. l’œuvre est un produit de l’expérience personnelle de l’autrice et de son expérience dans les arts érotiques ; 3. souvent, cette femme est une esclave ou une prostituée, parce qu’une femme « respectable » ne devrait pas connaître ce type de contenu ; 4. la critique de ces œuvres est qu’elles sont excessives, immodérées, et licensieuses ; 5. l’objet des manuels est une liste de positions et de techniques sexuelles (Parker 1992). On s’aperçoit que Parker est en train de décrire l’œuvre de Philainis, femme réputée être une prostituée et qui a écrit à partir de son expérience. Dans 5.202, Philainis est célèbre pour sa pratique belliqueuse du kelēs, une position susceptible de se retrouver dans les manuels sexuels. La quatrième spécificité de ce type de texte nous renvoie à 5.35.2, où C déclare que les trois paires de fesses évaluées et jugées dans l’épigramme 5.35 appartiennent à des femmes ἀναίσχυντοι parce qu’elles sont visibles à tous, parce qu’elles se montrent à n’importe quel regard. Le manuel sexuel est l’œuvre d’une femme ἀναίσχυντος.

Les manuels sexuels sont considérés ἀναίσχυντος à cause de leur contenu : le dévoilement de la sexualité féminine (Parker 1992). De cette façon, ces femmes bouleversent l’ordre établi. L’histoire, racontée par Hérodote, du roi Candaules, de son épouse et du gardien Gyges démontre bien ce bouleversement. Candaules, roi de Lydie, estime que son épouse est très belle. Ainsi, le roi est déterminé à montrer à Gyges, officier de sa garde du corps, sa femme lorsqu’elle se dénude. Gyges se cache et voit la femme. Pourtant, elle le voit aussi et devient furieuse envers Candaules, son mari, qui l’a montrée nue à un autre homme. En guise de vengeance, elle complote avec Gyges pour qu’il tue Candaules et devienne roi (Murnaghan 2014). Hérodote souligne l’aphorisme de Gyges : alors que la femme se déshabille, elle retire aussi sa honte (ἅμα δὲ κιθῶνι ἐκδυομένῳ συνεκδύεται καὶ τὴν αἰδῶ γυνή, ma traduction). Cet aphorisme indique des notions associées aux prostituées présentes dans le concept d’ἀναίσχυντος. Elles n’ont pas de honte parce qu’elles n’ont pas de limites, elles se déshabillent devant tous les hommes. Leur sexualité est beaucoup plus visible que celle des épouses. De cette façon, elles sont un péril pour la communauté. La femme qui est visible, qui est dehors dans les rues, elle doit être dominée par l’homme. Comme l’indique Murnaghan, « the concealment of women within the household is in theory (no matter what may have happened in practice) essential to the well-being of the polis, because the visibility of women is uderstood as a sign of dysfunction » (Murnaghan 2014, 267). L’épigramme 5.162, d’Asclépiade, révèle la dangerosité de Philainis :

Ἡ λαμυρὴ μ᾽ ἔτρωσε Φιλαίνιον· εἰ δὲ τὸ τραῦμα
μὴ σαφές, ἀλλ᾽ ὁ πόνος δύεται εἰς ὄνυχα.
Οἴχομ᾽, Ἔρωτες, ὄλωλα, διοίχομαι· εἰς γὰρ ἔχιδναν
νυστάζων ἐπέβην, ἠδ᾽ἔθιγον τ᾽ Ἀίδα. (Asclépiade, AG 5.162)

La dévorante Philainion m’a blessé ; la blessure a beau ne pas se voir, la douleur me pénètre pourtant jusqu’aux ongles. C’en est fait, Amours, je suis perdu, je suis mort ; j’ai mis étourdiment le pied sur une vipère et voici que je descends chez Hadès. (Waltz et al. 1928)

Le texte de Paton est encore plus explicite sur le danger que représente Philanis. La deuxième ligne de l’épigramme se lit « εἰς γὰρ ἑταίραν νυστάζων ἐπέβην ». La vipère est littéralement substituée par l’hétaïre. Le pouvoir attribué à l’hétaïre est tel qu’elle serait capable d’envoyer le client chez Hadès. Or, comme nous l’avons soutenu lorsque nous avons parlé de Corinne, la sexualité hétérosexuelle masculine de l’époque présuppose l’idée de contrôle. C’est à l’homme de contrôler totalement ses relations. Dans l’oikos, la femme lui est soumise. Dans l’espace public, les prostituées et les hétaïres sont des marchandises à sa disposition. Cependant, les relations se déroulent souvent différemment, d’où le danger intrinsèque de l’hétaïre-prostituée. Elle est achetée comme une marchandise, mais elle ne devient la propriété exclusive de personne. Ce « danger » est présenté dans l’épigramme 5.186.

μή με δόκει πιθανῶς ἀπατᾶν δάκρυσσι, Φιλαινί
οἶδα: φιλεῖς γὰρ ὅλως οὐδένα μεῖζον ἐμοῦ,
τοῦτον ὅσον παρ᾽ ἐμοὶ κέκλισαι χρόνον εἰ δ᾽ ἕτερός σε
εἶχε, φιλεῖν ἂν ἔφης μεῖζον ἐκεῖνον ἐμοῦ. (Posidippe, AG 5.186)

Ne crois pas me tromper en m’attendrissant par tes larmes, Philainis. Je sais : tu n’aimes absolument personne plus que moi, tout le temps que tu es couchée près de moi ; mais si c’était un autre qui te possédait, tu dirais que tu l’aimes plus que moi (Waltz et al. 1928).

Dans 5.186.2, C affirme que la femme citée dans le texte est une pornē. Il dit que l’épigramme est εἰς Φιλαινίδα πόρνην. Cependant, à la lecture du texte de l’épigramme, aucun élément ne permet d’affirmer catégoriquement que la Philainis de l’épigramme est une prostituée. Il semble donc que ce qui amène C à déterminer la profession de Philainis soit sa célébrité antérieure et le fait qu’elle ait plus d’un amant. J, dans 5.41, suit la même logique au sujet du nombre d’amants :

τίς γυμνὴν οὕτω σε καὶ ἐξέβαλεν καὶ ἔδειρεν;
τίς ψυχὴν λιθίνην εἶχε, καὶ οὐκ ἔβλεπε;
μοιχὸν ἴσως ηὕρηκεν ἀκαίρως κεῖνος ἐσελθών
γινόμενον; Πᾶσαι τοῦτο ποοῦσι, τέκνον.
πλὴν ἀπὸ νῦν, ὅταν ᾖ τις ἔσω, κεῖνος δ᾽ ὅταν ἔξω,
τὸ πρόθυρον σφήνου, μὴ πάλι ταὐτὸ πάθῃς. (Rufin, AG 5.41)

Qui t’a ainsi, toute nue, fouettée et jetée dehors ? Qui a eu cette âme de pierre ? Il n’avait donc pas d’yeux ? Il a sans doute trouvé, en entrant mal à propos, quelque trahison en train de s’accomplir ? Mais toutes font ainsi, mon enfant. Désormais, cependant, quand tu auras quelqu’un et que l’autre sera dehors, ferme la porte au verrou, pour qu’il ne t’arrive plus semblable mésaventure (Waltz et al. 1928).

J écrit à 5.41.1 que l’épigramme est dédiée à une pornē et qu’elle est moqueuse (πρός τινα πόρνην: χλευαστικόν). Une fois de plus, le thème des femmes ayant plus d’un amant est exploré. Cependant, dans cet épigramme, la violence est plus explicite, puisque l’homme agresse physiquement la femme. La prostituée-hétaïre est soumise à la violence physique, comme dans les épigrammes de Rufin et de Posidippe, mais elle est aussi la cible d’une violence symbolique. Elles sont transformées en produits et leur corps est divisé en parties. Ainsi, il n’y a plus de femme entière, il n’y a que des cuisses, des fesses ou des seins disponibles pour le regard masculin.

Tryphera et les Callipyges

Les relations hétérosexuelles dans l’Antiquité grecque sont toujours asymétriques. Le masculin est le parternaire dominant, et le féminin est le dominé (Murnaghan 2014). Les épigrammes ici étudiées réproduisent l’asymétrie. Apposer l’affiche pornē aux épigrammes maintient ce cadre du pouvoir masculin. D’abord, la condition humaine est refusée à la femme une fois que « the one-way gaze in the subject-object scenario refuses human status to the object, avoids exchange and communication, which are possible only as reciprocal actions between subjects » (Zweig 1992, 86). Réduite à un objet, la femme devient un produit de plus à être consommé aux symposia, comme on le voit dans l’épigramme 5.185 :

εἰς ἀγορὰν βαδίσας, Δημήτριε, τρεῖς παρ᾽ Ἀμύντου
γλαυκίσκους αἴτει, καὶ δέκα φυκίδια
καὶ κυφὰς καρῖδας (ἀριθμήσῃ δέ σὺ καὐτός)
εἴκοσι καὶ τέτορας δεῦρο λαβὼν ἄπιθι.
καὶ παρὰ Θαυβορίου ῥοδίνους ἓξ πρόσλαβε …
καὶ Τρυφέραν ταχέως ἐν παρόδῳ κάλεσον. (Posidippe, AG 5.185)

Va au marché, Démétrios, et demande à Amyntas trois blades et dix petits muges. Des crevettes gibbeuses (tu les compteras, toi aussi), prends-en deux douzaines et reviens. Prends aussi chez Thauborius six couronnes de roses et appelle vite Tryphéra en passant. (Waltz et al. 1928)

Aux symposia, la nourriture et les femmes sont là pour être consommées, et les relations sexuelles avec des femmes prostituées y sont aussi naturelles que la consommation de nourriture (Henry 1992). Dans le texte d’Asclépiades, les poissons, les crevettes, les roses et Tryphéra sont des marchandises essentielles à une bonne soirée. Comme l’affirme Glazebrook, « the purpose of the symposium was an intimate gathering of companions, who drank, watched performances, played drinking games, drank some more, recited verses and discussed important topics of the day » (2014, 161). Les symposia sont un lieu d’apprentissage pour la jeunesse de la ville et constituent un lieu où les jeunes garçons vont apprendre des valeurs pour éventuellement devenir citoyens. D’abord, les jeunes hommes y apprennent que le symposion est un endroit pour les prostituées, mais pas pour les épouses et les filles. L’absence des épouses démontre leur place dans l’arrangement social, et la présence, la visibilité et la disponibilité des prostituées enseigne au jeune homme que certaines femmes sont des produits comestibles. Démembrer la femme est une autre façon de la réduire à la condition d’objet. Rufin, dans 5.35, démontre la réduction de la femme à son corps :

πυγὰς αὐτὸς ἔκρινα τριῶν εἵλοντο γὰρ αὐταὶ,
δείξασαι γυμνὴν ἀστεροπὴν μελέων.
καὶ ῥ᾽ᾖ μὲν τροχαλοῖς σφραγιζομένη γελασίνοις
λευκὴ ἀπὸ γλουτῶν ἤνθεεν εὐαφίη:
τῆς δὲ διαιρομένης φοινίσσετο χιονέη σάρξ,
πορφυρέοιο ῥόδου μᾶλλον ἐρυθροτέρη:
ἡ δὲ γαληνιόωσα χαράσσετο κύματι κωφῷ, αὐτομάτη τρυφερῷ χρωτὶ σαλευομένη.
εἰ ταύτας ὁ κριτὴς ὁ θεῶν ἐθεήσατο πυγάς,
οὐκέτ᾽ ἂν οὐδ᾽ ἐσιδεῖν ἤθελε τὰς προτέρας. (Rufin, AG, 5.35)

J’ai jugé, à moi seul, un concours de fesses entre trois femmes ; c’est elles qui m’avaient choisi comme arbitre, et elles me montrèrent l’éblouissante nudité de leurs corps. Pour la première, on voyait fleurir la blancheur et la douceur de sa croupe creusée de fossettes arrondies. La seconde écarta les jambes, et sa chair neigeuse prenait un ton de plus vermeil qu’une rose de pourpre. La troisième, au contraire, gardait l’immobilité d’une mer tranquille : de lentes ondulations se dessinaient seulement sur sa peau délicate, agitée de frissons involontaires. Si l’arbitre des déesses avait contemplé ces fesses-là, il n’aurait même plus voulu regarder les premières (Waltz et al. 1928).

Le personnage-juge de l’épigramme n’est pas différent de la caméra d’une vidéo pornographique qui regarde trois jeunes filles se dénuder. Les deux exercent la fonction de juge envers les corps féminins, ils imposent leur regard à ces corps. Bien sûr, les supports matériels — un codex et une vidéo numérique — et les conjonctures sociales et temporelles sont différentes, mais la façon dont on regarde reste la même. Dans le texte de Rufin, les femmes ne sont pas nommées. On ne peut pas affirmer catégoriquement qu’elles sont des pornai. En vérité, d’après Rufin, on ne trouve pas le corps féminin dans sa totalité, mais seulement en parties. Il regarde des fesses (πυγαί), de plis de fesses (γελασῖνοι) ou le derrière (γλουτοί), mais jamais la femme entièrement. On peut comparer ce que fait Rufin à des vidéos POV17. Dans les deux cas, on ne voit pas les femmes intégralement. Le regard est fixé sur les zones érogènes du corps – surtout les fesses et le vagin. Situé entre Rufin et le cadreur contemporain, J, dans 5.35.2, détermine que ces femmes sont des pornai dont les actions sont sans honte, de lourdes et complètes effronteries — εἰς πόρνας, ἀναίσχυντον καὶ σαπρὸν καὶ ὅλον γέμον ἀναίδειαν. Ici, le mot ἀναίσχυντος est important parce qu’il fait référence à un genre textuel et une autrice : les manuels sexuels et Philainis. Ces femmes sont anaiskhyntoi parce qu’elles laissent les autres voir leur corps et connaître leur intimité. Philainis l’est parce qu’en écrivant un manuel érotique basé sur son expérience pratique du sujet, elle dévoile son intimité. Et les Callipyges le sont parce qu’elles ont elles-mêmes choisi de se montrer au poète.

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  1. La période à laquelle Athénée a vécu est contestée, et il n’y a pas de consensus sur l’empereur qui régnait au moment de la production des Deipnosophistes. Voir Baldwin (1976) et Paulas (2012)↩︎

  2. Les personnages dans Les Deipnosophistes peuvent être complètement fictifs, ils peuvent être des représentations de personnages réels ou ils peuvent être des satires de personnes précises (Baldwin 1976)↩︎

  3. οὐκ ἂν ἁμάρτοι δὲ τίς σε καὶ πορνογράφον καλῶν↩︎

  4. οὐδὲν ἄρα διαφέρεις Ἀμάσιος τοῦ ’ Ἠλείου↩︎

  5. « τὰς μὲν γὰρ ἑταίρας ἡδονῆς ἕνεκ᾽ ἔχομεν, τὰς δὲ παλλακὰς τῆς καθ᾽ ἡμέραν θεραπείας τοῦ σώματος, τὰς δὲ γυναῖκας τοῦ παιδοποιεῖσθαι γνησίως »↩︎

  6. Aux épigrammes 5.257, 10.87, 10.96, 11.34, 11.363 et 11.416.↩︎

  7. Selon Cameron (1993), les épigrammes 5.2 jusqu’à 5.103 font partie du Sylloge Rufiniana. Par contre, Waltz accepte l’existence du Sylloge de Rufinus, mais il affirme que parmi ces épigrammes se trouvent « des emprunts faits de sources assez variées : quinze à vingt pièces proviennent de la Couronne de Méléagre ; quelques autres sont tirées de celle de Philippe » (Waltz et al. 1928). Ainsi, on a indiqué les sources de l’épigramme selon Waltz et Cameron lorsqu’elles sont différentes ↩︎

  8. L’épigramme 5.41 sera examiné plus en détail ultérieurement.↩︎

  9. L’aulētris, la joueuse des flutes, était considérée au IVe siècle comme une prostituée qui n’était pas chère. Elle se tenait dans les mêmes rues que les pornai dans la Piraeus, proche des murs de la ville.↩︎

  10. À l’épigramme 5.31, où J/L affirme que le seul moyen de capturer une hétaïre est l’or, Antipater dit que Zeus ne s’est pas transformé en pluie d’or, mais qu’il a apporté 100 pièces d’or à Dânae. Comme il s’agit d’une référence mythologique, nous ne l’avons pas incluse parmi les références aux prostituées et aux courtisanes.↩︎

  11. Au XVIIIe siècle, des archéologues ont découvert une Villa, à Herculanum, cachée sous la mer de lave que le Vésuve a crachée en 79 avant J.-C. Là, ils ont trouvé une bibliothèque faite de presque 2 000 rouleaux de papyrus calcinés contenant les écrits d’Épicure, d’Horace, d’Ovide, de Livius, de Lucrèce, d’Enius, de Pline l’Ancien et d’autres.↩︎

  12. Gigante (1987) joue un rôle important dans la défense de cette hypothèse. L’auteur s’oppose même clairement à la thèse de McIntosh (Snyder 1973) qui lit l’épigramme 11.318 comme un texte érotique.↩︎

  13. Accusatif neutre pluriel de l’adjectif comparatif κρείσσων, ων, ον ; gén. ονος : I. plus fort ; en b. part plus avantageux, meilleur, préférable.↩︎

  14. Ce sont les épigrammes 5.55 ; 5.109 ; 5.110 ; 5.114 ; 5.185 ; et 5.186.↩︎

  15. Ce sont les épigrammes 5.2; 5.3; 5.4; 5.6; 5.7; 5.9; 5.12; 5.13; 5.14; 5.15; 5.16; 5.21; 5.22; 5.23; 5.24;5.25; 5.27; 5.32; 5.40; 5.44; 5.47; 5.52; 5.61; 5.73; 5.87; 5.92; 5.121; 5.123; 5.125; 5.126; 5.128; 5.130; 5.133; 5.158; 5.160; 5.165; 5.197; 5.199; 5.201; 5.202; 5.204; 5.220 et 5.230.↩︎

  16. Dans une note à l’épigramme 5.203, Aubreton (Waltz et al. 1928) voit le kelēs apparaître également à l’épigramme 5.55. Nous ne sommes pas d’accord. Dans 5.55, Doris « parcourut sans défaillance la longue course de Cypris » (ἤνυσεν ἀκλινέως τὸν Κύπριδος δόλιχον). La différence est que le dolikhos était une course à pied, et le kelēs rappelle l’équitation.↩︎

  17. Acronyme pour Point of View, c’est à dire que le caméra participe aussi à l’acte sexuel dont il enregistre.↩︎