Transformation éditoriale
Compte rendu du texte “Édition électronique” de Pierre Mounier et Marin Dacos
Catherine Depelteau
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2019/10/31
Édition électronique

Introduction

Dans leur texte « Édition électronique », paru en 2011 dans la revue Communications, Marin Dacos et Pierre Mounier affirment que la massification des usages des technologies numériques en réseau n’a été posée qu’assez récemment dans le débat public. Ces polémiques mènent à constater que l’acte éditorial, celui qui, par-delà le geste d’un auteur, construit l’œuvre et la fait connaître, semble menacé, entre autres, par la « désintermédiation », c’est-à-dire la disparition de l’intermédiaire éditorial dans le circuit de diffusion de l’information. Ils continuent en soutenant que plutôt qu’à la disparition de la position éditoriale, c’est à sa transformation qu’il faut penser.

Résumé

Le texte est divisé en trois parties bien distinctes, établies par Mounier et Dacos comme les trois étapes majeures du développement de l’édition électronique, soit la numérisation, l’édition numérique et l’édition en réseau. Ils soutiennent que bien qu’elles se soient développées à des moments différents de l’histoire de l’édition électronique, ces approches coexistent aujourd’hui au sein d’un même environnement centré sur la notion de texte. Sur celles-ci se greffent d’importants enjeux économiques, technologiques et politiques. Les géants de l’industrie se battent donc tous pour imposer leur format, leurs protocoles et leur standard sur un réseau traditionnellement neutre et ouvert.

Numérisation

La numérisation consiste à porter et représenter des documents physiques et/ou leur contenu sous forme numérique. Elle constitue la pratique d’édition électronique la plus ancienne, remontant à l’initiative de Michael Hart en juillet 1971 . Si le projet Gutenberg et autres bibliothèques numériques sont le plus souvent alimentés de classiques tombés dans le domaine public, on cherche, du côté des sciences humaines et sociales, à constituer des corpus numériques de sources structurées qui pourront servir à la recherche. Les enjeux portent alors sur la publicisation de ces sources et leur exploitation informatique selon plusieurs modèles épistémologiques, cette dernière dimension étant conditionnée par des choix éditoriaux faits au moment de la numérisation. Ces choix éditoriaux sont cruciaux, particulièrement lorsqu’il faut définir l’unité documentaire à partir de laquelle ordonner un corpus.

Édition numérique

L’édition numérique nous est décrite par opposition aux projets de numérisation comme étant « tout travail d’édition sur des supports qui sont numériques de bout en bout ». Le phénomène du passage au numérique dans la chaîne de fabrication du secteur de l’édition n’est pas nouveau, mais le dernier maillon de la « chaîne du livre » , la diffusion au lecteur, est longtemps resté à l’écart de la dématérialisation du fait du maintien du recours au support papier (Mounier et Dacos 2011). Les obstacles de cette dernière évolution sont d’ordre technique, économique et culturel.

Sur le plan technologique, la révolution des supports de lecture s’est fait plutôt lentement, les ordinateurs personnels se trouvant dans les foyers n’étant pas optimaux pour une lecture prolongée pour des raisons ergonomiques et à cause de la lecture sur écran LCD rétro-éclairé et à faible résolution pouvant entraîner une fatigue oculaire excessive. L’apparition de tablettes de lecture électroniques au début des années 2000 a été un échec en termes d’usage, mais depuis 2008, elles sont redevenues d’actualité, s’appuyant sur des technologies d’encre électroniques plus développées à moindre coût. C’est toutefois à la transformation des téléphones cellulaires en téléphones intelligents que les auteurs attribuent le rôle le plus important dans la révolution des supports de lecture.

Du côté économique, ils attribuent les contraintes à l’économie de l’attention et à la longue traîne. Les revenus du secteur de l’édition numérique a été déstabilisé par des technologies affaiblissant l’importance et le coût de la copie ainsi que la remise en cause du droit sur la copie par des usages de piratage. Les coûts de production de l’information dépassent largement les coûts de sa reproduction et c’est dans ce contexte qu’est abordée la théorie de la « longue traîne ». Popularisée par le journaliste Chris Anderson1, elle affirme que la dématérialisation des supports de diffusion des biens informationnels rend possibles l’édition et la diffusion d’un très grand nombre de produits touchant chacun un faible nombre de consommateurs, pourvu qu’elle soit concentrée sur des plates-formes centralisées. Ainsi, les éditeurs traditionnels font désormais concurrence avec un grand nombre de nouveaux acteurs bénéficiant de l’abaissement des barrières d’entrée sur le marché et occasionnant une explosion documentaire qui inverse la relation de rareté entre les consommateurs et les produits disponibles. Ce phénomène est qualifié d’« économie de l’attention » et entraîne une pression vers la gratuité d’accès sur les biens informationnels.

Les mutations de la lecture sont finalement des enjeux culturels, le fort développement des usages du numérique s’accompagnant d’une « baisse tendancielle du temps consacré à la lecture, tel qu’il est mesuré par diverses enquêtes » (2011). Cette baisse avait été sentie avec le développement des médias de masse audiovisuels et certains voient là une continuité marquée par la prolifération des écrans, dont la consommation excessive ferait disparaître graduellement puis tout à fait le temps consacré à la lecture. D’autres croient au contraire qu’on lirait peut-être encore plus qu’avant, jusqu’à parler d’un retour en force de la littérature. L’auteur Nicolas Carr propose dans un article intitulé « Google nous rend-il stupide? » une réflexion sur l’évolution des modes de lectures à l’ère numérique et en conclut que la lecture linéaire et immersive du livre est mise à mal au profit de modes de lecture rapides et fragmentaires. Les auteurs se demandent si ce type de lecture n’érigerait pas en modèle cognitif le déficit d’attention et ne disqualifierait pas une pensée complexe et articulée.

Édition en réseau

L’édition en réseau s’appuie sur les possibilités qu’offre la communication par Internet pour développer des modes d’écriture collaboratifs. Alors que dans l’édition numérique le réseau est utilisé en fin de chaîne dans le but de faire parvenir les contenus à ses lecteurs, alors que dans l’édition en réseau, il est au contraire il est au cœur du processus éditorial et la participation à l’élaboration ou à l’amélioration des contenus est permise. L’édition en réseau bouleverse radicalement le processus éditoriaux, un exemple connu de ce genre d’édition fondé sur un modèle collaboratif est Wikipédia, encyclopédie qui est éditée, corrigée et améliorée en permanence. Les débats ont été nombreux autour de cette proposition radicalement démocratique.

Critique

Le texte de Mounier et Dacos consiste en un aperçu bien construit de l’édition électronique, de chacun des secteurs qui la composent ainsi que des enjeux qui y sont reliés. Sans être trop général, le propos est suffisamment vulgarisé pour pouvoir s’adresser à un public néophyte et intéresser les initié(e)s, puisqu’il soulève des débats passionnants, certains déjà existants et d’autres suscités au fil de la lecture. Comme tous les textes abordant des questions reliées au numérique, il pourrait être revu et recontextualisé, sa publication datant déjà de près d’une dizaine d’années, mais n’en demeure pas moins d’actualité. Le paragraphe traitant de la numérisation aurait selon moi gagné à être légèrement plus détaillé. La plupart du texte est accessible à qui n’est pas familier avec l’édition électronique, mais ce passage effleure de l’information quelque peu plus pointue qui aurait pu être expliquée plus longuement, à l’aide d’exemples peut-être. Enfin, la grande qualité de cet article consiste réellement dans l’envie qu’il crée chez les lecteurs et lectrices de poursuivre leurs recherches sur son contenu ainsi que dans les débats qui restent en nous plusieurs jours après sa lecture. Notamment, les études politiques et sociologiques qui ont été faites sur le projet Wikipédia et qui mettent en évidence les tensions qui existent au sein de sa communauté entre un idéal d’égalité des droits pour tous les contributeurs et l’introduction d’une différenciation des pouvoirs nécessaire à la gestion éditoriale et au maintient de la cohérence intellectuelle de cette entreprise.2

1298 mots

Bibliographie

Mounier, Pierre, et Marin Dacos. 2011. « Édition électronique ». Communications 88 (1):47‑55. https://doi.org/10.3406/comm.2011.2584.

  1. C. Anderson, The Long Tail : How Endless Choice Is Creating Unlimited Demand, Londres, Random House, 2007.↩︎

  2. S. Firer-Blaess, « Wikipédia : hiérarchie et démocratie », Homo numericus, 2007.↩︎