Compte Rendu
«Textes et textures numériques» par Rossana de Angelis
Andréa Brunelle-Marchand
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2019/10/31

Introduction

« Textes et textures numériques » est un article de Rossana de Angelis rédigé dans le cadre du dossier Spatialité et matérialité de la revue Signata. L’article répond à un besoin de structuration des recherches faites en sémiotique de l’écriture, et traite principalement des enjeux de la remédiation du support matériel (textes imprimés) au support « virtuel » (textes numériques). L’article traite également des différences apportées dans les gestes de lecture par ce changement de format. Le compte-rendu se divisera en deux parties. La première résumera l’article et sa structure et la deuxième constituera une critique du document en question.

Résumé du document

Le texte manuscrit ne met jamais en suspens sa matérialité; il ne permet pas qu’on l’oublie, contrairement au texte numérique dès lors qu’il est soustrait à ses dispositifs de lecture. Ce dont Rossana de Angelis traite dans son article est la modification du support qui s’opère lors du passage du texte graphique au texte numérique ainsi que les changements de pratiques qui l’accompagnent. Pour ce faire, de Angelis se base sur l’article de Louis Hjelmslev afin d’alimenter sa réflexion sur « la matérialité des supports, ses transformations et ses enjeux lors du passage de la culture des textes imprimés à la culture des textes numériques »1.

L’analyse de Rossana de Angelis s’entame avec un retour à la base, soit la culture traditionnelle avec les études réalisées sur le support et ce qu’il apporte de compréhension et d’appréhension du texte. Elle pose premièrement l’idée que le format est à prendre en compte dans la lisibilité d’un texte. L’autrice présente différentes recherches sur la matérialité du texte qui démontrent comment elle en influence l’interprétation. Par exemple, l’étude critique de F. Mackenzie montre que « la forme matérielle des livres, les éléments non verbaux que constituent les signes typographiques et la disposition même de l’espace de la page ont une fonction expressive et contribuent à la production du sens »2. Le texte est organisé par l’auteur ou l’éditeur de manière à influencer le sens et l’interprétation de son contenu. Les différentes composantes qui structurent des écrits sont par exemple les chapitres qui les divisent, le paratexte qui les entoure et qui fait la jonction entre le texte et son contexte.

Ensuite, de Angelis développe sa pensée sur le support numérique afin de pouvoir entamer une comparaison entre ce dernier et le support papier. Cette partie commence par une présentation des différentes phases du développement du numérique. Dans un premier temps, nous retrouvons le web 1.0 ou « web statique ». Dans un deuxième temps, nous retrouvons le web 2.0 ou « web dynamique ». Et dans un troisième temps, nous retrouvons web 3.0 qui se divise d’une part en web des applications et d’autre part en web sémantique. Ces trois étapes dans la constitution du web ont chacune apporté des perceptions différentes du texte numérique pour ce qui est de leur structure, de leur contenu et de leur utilisation.

L’article se poursuit avec la transition d’un texte matériel au texte numérique et avec certains éléments qui se retrouvent dans les deux types de formats comme l’hypertexte et la tabularité. Pour les différences, nous retrouvons la question des signes non directement lisibles dans le numérique puisqu’ils répondent à un code binaire (0 et 1) qui doit être traduit par la suite. Selon Rossana de Angelis, le texte imprimé ne permet jamais d’oublier sa matérialité alors que le texte numérique le permet ce qui lui vaut parfois d’être qualifié de « virtuel ». C’est sur cette matérialité du numérique que l’autrice continue son article.

Pour poursuivre sa réflexion sur le support numérique, de Angelis tient compte de l’article de Louis Hjelmslev: « La stratification du langage » (1954). « Dans cet article, l’auteur propose d’ajouter à la distinction entre les plans de l’expression et du contenu, une distinction entre ce qu’il appelle des strata : en supposant une homologie entre les niveaux de la forme et de la substance, niveaux différenciés au sein des deux plans, il cherche à identifier les principes qui gèrent les rapports entre ces grandeurs différentes »3. Ce que Hjelmslev décrit dans son article est une stratification du langage que Rossana de Angelis reprend en le transposant au texte numérique. Ceci permet d’appréhender le texte dans sa matérialité ainsi que dans les pratiques qu’il engendre. Il donne donc à comprendre les différents niveaux de la « substance sémiotique » et les nombreux liens qu’ils forment entre eux. Pour ce qui est du support matériel, il dépend de deux réalités: les contraintes physiques et les contraintes sociales.

Pour ce qui est du lien entre la matérialité du texte et les pratiques engendrées par celle-ci, Rossana de Angelis s’appuie sur l’approche de Fontanille: « Selon cette perspective, “même si les objets se donnent à saisir dans leur autonomie matérielle et sensible, leur fonctionnement sémiotique est inséparable aussi bien du niveau de pertinence inférieur (les textes-énoncés), que du niveau de pertinence supérieur, celui des pratiques” (Fontanille, 2008, p. 23) »4.

Pour finir, l’article se penche sur certaines pratiques qui découlent de la transition entre textes imprimés et textes numériques. Il y a premièrement un changement de perception de la page, des éléments graphiques et de la manipulation du texte. Ceci se passe surtout pour le livre numérique que l’on retrouve dans la phase du web 1.0.

En quittant le modèle du « texte-livre » au sein du web 3.0, les nouvelles pratiques d’exploitation des textes relèvent de « trois lectures électroniques complémentaires à la lecture oculaire linéaire traditionnelle (Mayaffre 2002a) : une lecture quantitative (complémentaire de la lecture qualitative), une lecture paradigmatique (complémentaire de la lecture syntagmatique), une lecture hypertextuelle (complémentaire de la lecture textuelle) » (Mayaffre, 2007, p. 4). Cette nouvelle approche des textes numériques suppose que la tâche est de combiner une lecture linéaire à des lectures tabulaires et réticulaires (Viprey, 2005).5

Le numérique entraîne donc des pratiques différentes que ce soit dans la manipulation du texte qui change grâce aux multiples mises en forme qu’il amène ou que ce soit dans la conception du texte et de la compréhension de son sens. Les réseaux d’éléments intra et inter-textuels du numérique sont perceptibles dans ce type de format ce qui rapproche de cette notion du texte vu comme un tissu, d’où le terme « texture » utilisé dans le titre de l’article « Textes et textures numériques ».

L’article se conclut par une ouverture des frontières engendrée par le numérique, qui change notre vision des textes, notre conception de ceux-ci et nos pratiques. Il remet de plus en question l’idée même de textualité.

Critique

Le passage des textes imprimés aux textes numériques amène en effet un changement de paradigme dans la conception que l’on a des textes et dans les pratiques de lecture qui en découle. Le support matériel a changé de nombreuses fois à travers l’histoire en entraînant souvent des questionnements semblables et des inquiétudes (comme la disparition du livre). Lorsque le format des textes est passé du volumen au codex, ce dernier a permis la prise de note à même le texte et dans les marges alors que le volumen devait être tenu à deux mains pour être lu. Les pratiques de lecture amènent une appréhension différente du texte. La compréhension quand la lecture peut être arrêtée pour l’annoter n’est pas la même que s’il doit être lu en entier avant de le mettre de côté pour prendre des notes. L’expérience de lecture et même le message varient grandement d’un support à l’autre (même d’un appareil numérique à un autre, comme d’un téléphone à un ordinateur portable). Avec des logiciels qui permettent d’analyser des occurrences de mot dans un texte, et avec la possibilité d’édition à même le texte (work in progress), notre compréhension du message d’un texte diffère. Les textes numériques permettent des études plus étendues, mais peut-être moins en profondeur que pour des textes imprimés. Avec le numérique, nous avons accès à un plus grand volume de documents et des programmes autorisent des analyses rapides de mots et de notions à travers un large éventail d’écrits. Par la suite, c’est quand même à nous de faire sens avec les résultats obtenus, mais les approches effectuées sur les textes sont tout de même différentes et il en résulte donc des compréhensions distinctes du message véhiculé par le texte.

Conclusion

L’article de Rossana de Angelis permet une réflexion sur les changements que peut amener l’évolution des supports. Les disparités dans les pratiques de lecture engendrées par ces transformations restent d’actualité puisque l’ère du numérique est assez récente. Son analyse s’amorce par un retour sur la matérialité du texte traditionnel, où elle instaure une vision plus large des variations survenues et une comparaison qui explique les différences de la matérialité des textes imprimés et numériques. Le numérique permet une analyse plus étendue, mais moins en profondeur, qui change la signification des textes. Par contre, ces changements ne sont pas seulement le fait du numérique, mais s’activent également chaque fois que le format d’un texte évolue.

Notes et références

De Angelis, Rossana. 2018. « Textes et textures numériques. Le passage de la matérialité graphique à la matérialité numérique ». Signata. Annales des sémiotiques / Annals of Semiotics, nᵒ 9 (décembre):459‑84. http://journals.openedition.org/signata/1675.

  1. (De Angelis 2018)↩︎

  2. (De Angelis 2018)↩︎

  3. (De Angelis 2018)↩︎

  4. (De Angelis 2018)↩︎

  5. (De Angelis 2018)↩︎