presentation - stylo éditeur pour les revues

L’outil Stylo: un éditeur de texte pour répondre aux besoins des reveues en sciences humaines et sociales

Plan

1. Contexte (eugénie)

Bonjour à tous et toutes, et merci d’être présent·e·s aujourd’hui. J’aimerais aussi remercier, en mon nom et celui de mon coprésentateur, les organisatrices du colloque pour leur accueil. Nous allons pour notre part aborder le futur des revues savantes par une exploration de la réflexion derrière l’outil Stylo et le développement de ses fonctionnalités, dont certaines sont très récentes. Vous connaissez peut-être Stylo ; l’outil est en développement depuis 2018, et a de plus en plus d’utilisateurs, notamment dans le monde des revues en lettres et sciences humaines, et dans l’enseignement. Mais plus que d’un outil, c’est de la réflexion et de la philosophie derrière celui-ci dont nous souhaitons traiter. Avant tout, il s’agit de penser les besoins des revues en sciences humaines. Ceux-ci sont multiples, et, comme nous avons pu le constater lors de notre travail avec des revues partenaires, très spécifiques. Il était donc important pour l’équipe de notre laboratoire d’ancrer notre réflexion dans l’usage de standards libres et ouverts, afin de remettre en question les modèles propriétaires qui dominent l’écriture savante, mais aussi afin de tirer parti de l’interopérabilité de ces formats et standards. Comme je l’ai dit, Stylo a été lancé il y a quelques années, mais la réflexion de notre équipe se poursuit au fur et à mesure que la recherche avance. Après un premier temps que nous consacrerons aujourd’hui à la conception de l’écriture savante que met en oeuvre Stylo, présentée par Yves, je vous parlerai des fonctionnalités qui permettent de pratiquer cette écriture.

Je passe dès maintenant la parole à mon collègue Yves.

2. Principes et philosophie derrière Stylo (yves)

Je te remercie Eugénie.

Bonjour à tous et toutes, merci pour votre présence, et aux organisatrices du colloque pour leur accueil.

De mon côté, je vais aborder les principes et la philosophie derrière Stylo.

Que signife écrire en environnement numérique en sciences humaines ? Quels en sont les enjeux?

Les revues en sciences humaines soutiennent les échanges scientifiques, la publication et la diffusion des recherches. Le passage de l’imprimé au numérique a profondément modifié le monde de l’édition et changé les techniques éditoriales (Epron et Vitali-Rosati 2018).

L’écrit en milieu universitaire est devenu nativement numérique, en conséquence, la production des articles est assurée autant par les auteurs que par les revues.

Dans la situation la plus courante, l’auteur rédige avec un logiciel de traitement de texte de type WYSWYG (What You See What You Get/ Ce que vous voyez est ce que vous obtenez). Et a recours à une démarche variable pour structurer son texte en utilisant des signes graphiques comme le gras ou l’italique qui traduisent souvent mal le sens qu’il veut donner à chaque section du texte. La structuration du document est donc reprise à la fin du processus de production par les revues qui se retrouvent à interpréter au cas par cas la structure que chaque auteur a donné à leur texte.

La solution à cette situation est de reporter le travail de structuration au début de la chaîne de production et le confier à l’auteur. Car la structuration des documents et leur balisage sont essentiels à leur diffusion dans un environnement numérique.

Le projet Stylo de la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques, entamé en partenariat avec plusieurs plateformes et diffuseurs académiques, systématise le processus d’édition scientifique, de la rédaction à la publication. En promouvant des pratiques de structuration de documents et de données à travers des formats ouverts qui en facilitent l’interprétation et limitent les pertes de données.

Il est un objet d’analyses des pratiques d’écriture en contexte numérique et de documentation de l’influence “des technologies d’écriture sur la production de documents scientifiques en SH”. Et aussi un " un outil d’écriture et d’édition spécifiquement destiné à la rédaction scientifique en SH" issu de cette réflexion. En ce sens, le projet de recherche Stylo entend questionner la signification de l’écriture et proposer une épistémologie du texte.

Comme outil d’édition de texte scientifique “il est spécialement conçu pour répondre aux enjeux de l’édition numérique savante”.

Sa conception se base sur l’hypothèse que les technologies numériques conditionnent les pratiques, les valeurs et les cultures (Doueihi 2008).

La manière d’exprimer nos pensées dépend en grande partie des outils et techniques d’écriture. Ceux-ci déterminent la production et la circulation des connaissances (Vitali-Rosati et al. 2020), en assurant la structuration des contenus, en conditionnant l’accès et en déterminant la pérennité.

L’outil Stylo intègre un certain nombre d’initiatives technologiques et de pratiques d’écritures émergentes qui permettent la structuration sémantique des contenus et la production de documents dans de multiples formats tels que HTMl, PDF, XML, DOCX, ODT, etc. Tout cela de manière conviviale pour favoriser une prise en main rapide de l’outil.

La philosophie de Stylo repose sur trois principes (Vitali-Rosati et al. 2020) :

  1. Les chercheurs.euses retrouvent la possibilité d’exprimer la sémantique du texte. La responsabilité d’assurer le sens et la structuration du texte et de ses métadonnées scientifiques est transférée au chercheur. La chaîne éditoriale sert autant à rédiger qu’à assurer la pérennité des écrits.

  2. Produire des données plus significatives parce qu’accompagnées de plus de métadonnées. Les documents riches en données sont plus visibles et accessibles dans un environnement numérique;

  3. Utiliser des standards et technologies non propriétaires. Cela facilite la maintenance de l’éditeur et assure son interopérabilité avec d’autres environnements.

Les chercheur.es en SH ne maîtrisent pas toujours le XML, un langage qui n’est pas fait pour être lu par l’humain, contrairement au markdown. En réponse, Stylo aide à produire un fichier html enrichi, un PDF ou de multiples formats, à partir de trois formats à savoir Markdown/YAML/BibTeX.

Le Markdown sert à la rédaction de texte. C’est un format libre qui permet de rédiger en texte brut en respectant une logique sémantique. Le texte produit est interprétable en html tout en restant compréhensible pour un humain. L’auteur peut ainsi facilement structurer son texte en catégorisant chaque partie en suivant la syntaxe Markdown.

Les options de versionnement aident autant les auteurs que les éditeurs à suivre les changements apportés au texte et comparer les différentes versions. Cela donne la possibilité de récupérer des états antérieurs du texte et de relever les étapes de la réflexion.

Les métadonnées sont ajoutées en YAML avec la possibilité de les aligner avec les autorités alors que les références bibliographiques en format bibtex peuvent être gérées à travers une synchronisation avec Zotero ou directement dans Stylo.

On retrouve les trois fichiers sources avec l’export. L’accès aux sources rend opératoire la philosophie de transparence défendue par l’outil, développe la littératie numérique des usagers, et est garante de la pérennité et de la réutilisation des fichiers dans des contextes différents de Stylo.

Enfin, en donnant plus de responsabilités à l’auteur dans la structuration sémantique du contenu, Stylo entend les sensibiliser à l’impact de leur outil d’écriture sur la traduction de leurs pensées. Et aussi contribuer à sortir d’un partage strict des rôles entre auteur, éditeur et évaluateur pour favoriser leurs discussions. Dans les faits, l’évaluation ouverte par les pairs est supportée par l’outil d’annotation Hypothesis appliqué à la prévisualisation html de l’article. L’auteur est invité à répondre aux évaluations de son travail mais aussi aux demandes des éditeurs ce qui conduit à travers l’annotation à développer une dynamique collective de production de connaissances (Sauret 2020).

Je passe maintenant la parole à ma collègue Eugénie qui vous présentera les aspects techniques et les nouvelles fonctionnalités de Stylo.

3. Aspects techniques et fonctionnalités (eugénie)

Au coeur de l’élaboration de Stylo se trouve le souci de remettre les besoins propres à l’écriture scientifique au coeur de la pratique. En effet, les logiciels de traitement de texte répondent pour l’essentiel aux besoins d’un bureau, d’une entreprise, et non pas à ceux de la recherche universitaire. D’autres solutions sont nées pour prendre en charge la gestion des actes d’édition autour des articles savants, mais avec Stylo, l’objectif était vraiment de repenser l’écriture même, de ne pas contourner les problèmes des autres outils pour les adapter à nos pratiques, mais de proposer un modèle d’écriture et d’édition propre aux sciences humaines.

Certaines fonctionnalités étaient présentes dès la première version de Stylo, mais d’autres se sont ajoutées à la version 2. lancée l’année dernière. Ces nouvelles fonctionnalités avaient été entrevues dès la première version, mais leur implémentation était plus complexe et a donc nécessité plus de temps. Nous avons aussi eu des retours d’utilisateurs, qui ont été considérés pour la version 2, concernant notamment l’ergonomie de la plateforme et la disponibilités de différents formats d’exports. Les développements de la plateforme sont menés par des développeurs, avec lesquels l’équipe de la CRCEN (notamment Marcello Vitali-Rosati, Antoine Fauchié et Roch Delannay) collabore de très près, ainsi qu’une designer UX. La plupart des étudiant·e·s impliqué·e·s dans les projets de la CRCEN sont aussi sollicités pour les tests des développements. Le processus d’élaboration de l’outil n’est pas la simple soumission d’un cahier des charges aux développeurs, une pensée qu’on donne à exécuter ; il s’agit d’un vrai processus de collaboration et de coélaboration, pour mettre en oeuvre la réflexion, ce qui suppose un niveau élevé d’implication, de compréhension de la recherche et de compétence technique chez tous les membres de l’équipe. Les fonctionnalités ajoutées suivent la même stylosophie aux bases du projet, et dont mon collègue Yves vous a parlé. Je vais explorer ces fonctionnalités avec vous, moins pour faire découvrir l’outil, que pour illustrer comment les besoins des revues savantes sont pris en compte à chaque étape. - Le versionnement (auteur/editeur) Évidemment, l’enregistrement de versions distinctes et identifiables de différents états du texte est important pour les chercheurs, et il est possible sur Stylo d’enregistrer des versions mineures ou majeures. Mais au-delà du suivi d’un texte par son auteur, le versionnement des articles permet aussi une gestion de leur suivi par les coordinations des revues. Chaque version est associée à un lien unique, ce qui permet d’évaluer les articles, ou d’échanger avec l’auteur sur une version précise. De plus, les étapes importantes de l’édition de l’article peuvent être consignées et visualisées aisément, en plus d’être comparées, ce qui répond au besoin, par exemple, de vérification des modifications demandées. L’ensemble de l’historique des états du texte est accessible en tout temps, et le module d’export permet également d’exporter dans tout format souhaité chaque version du texte.

  • La prise en charge des métadonnées (auteures/éditeur) et gestion des références bibliographiques Comme mon collègue l’a expliqué, les métadonnées de l’article sont incluses dans l’interface de stylo, et l’auteur comme la coordination des revues y a facilement accès. L’interface d’écriture comporte l’espace dédié au markdown, mais inclut aussi un volet d’édition du yaml (où l’on retrouve, notamment, les mots-clefs, les résumés, les informations à propos de l’auteur, mais aussi les informations à propos de la revue ou du dossier dont l’article fait partie, par exemple, ainsi que du bibtex, qui permet de gérer les références bibliographiques d’un texte. Les auteurs sont donc en contact avec ces informations qui souvent, dans le flux éditorial d’une revue, sont séparées du corps de l’article, et sur lesquelles l’auteur n’a pas forcément la main. Ça recentre la qualité d’écriture savante de ces informations, et réimplique l’auteur dans leur gestion.

  • interopérabilité et export en plusieurs formats Les fichiers yaml, bibtex et markdown, tous donc dans des formats ouverts et maintenus par une communauté, permettent de créer à partir de ceux-ci des exports dans différents formats, selon la diversité des besoins des revues. Par exemple, il est possible d’exporter des documents en XML-tei, qui correspondent aux schémas d’érudit, ou de Métopes/Openedition. Si une revue a des besoins de mise en page plus poussés, il est aussi possible d’exporter en ICML, et de générer des .pdf à partir d’un document latex. Tous ces exports sont basés sur pandoc. Bien sûr, le résultat et la multiplicité des exports n’ont pas besoin de passer par Stylo pour répondre aux besoins des revues, mais ici, l’articulation avec notre réflexion sur l’édition savante est de regrouper tous ces actes d’édition au sein d’un même environnement, qui nécessite une seule prise en main, et qui conserve, tout au long de l’édition de l’article et de ses exports, une clef unique à laquelle sont rattachées toutes les versions de l’article.

Je vais maintenant parler des fonctionnalités qui se sont ajoutées plus récemment à Stylo, pour répondre à davantage de besoins exprimés par notre communauté. - Travail synchrone Une de ces demandes étaient la possibilité de travail synchrone sur un article, notamment pour que deux auteurs travaillent de façon simultanée sur le même texte.

  • espaces de travail Nous avons aussi développé la possibilité de créer des espaces de travail, ce qui permet de partager des articles à un espace, donc à une équipe de travail. Toutes les personnes incluses dans cet espace peuvent donc modifier un article, ce qui est particulièrement pratique pour le flux éditorial d’une revue. Tous les articles peuvent désormais être partagés et regroupés non seulement selon des rédactions de revue, mais aussi des dossiers thématiques. L’ensemble de l’équipe d’édition (la coordination, les éditeur·ice·s, les réviseur·e·s etc.) a accès aux articles avec toutes les permissions sur ceux-ci, ce qui fluidifie significativement le travail, et la navigation d’un individu entre ses différentes sphères d’action ; par exemple, je n’ai pas besoin de changer de compte pour passer de mes articles personnels à ceux de la revue que je coordonne. Il est aussi possible de se créer des espaces de travail pour soi-même, par exemple, pour la thèse, pour une monographie, etc. Ce besoin des revues était présent dès le début, et des solutions avaient été testées, mais c’est avec la version 2 de Stylo que cette solution formelle a bien été mise en place.

  • Gestion de corpus d’articles Une autre fonctionnalité présente dès le début mais maintenant plus facile à utiliser est celle des Corpus, qui permettent de gérer une collection d’articles, par exemple, pour en faire une monographie. L’édition se fait sur Stylo, mais on accole aux articles une étiquette qui permet un export dédié, auquel notamment s’ajoutent la possibilité de créer une table des matières, des sections, un export en Epub, etc.

  • API GraphQL Enfin, la dernière fonctionnalité que je vais décrire est elle aussi plus récente, et a peut-être un usage plus restreint, mais néanmoins particulièrement important sur le point de la réappropriation des outils d’écriture par les chercheur·euse·s. Un point d’accès à l’API de Stylo est disponible, ce qui permet de récupérer des données des articles, par exemple, pour générer à partir de celles-ci un site statique. Pour l’instant, deux revues ont opté pour cette option ; c’est particulièrement prometteur, car cela permet vraiment un trajet intégré de l’article, depuis son écriture jusqu’à sa publication, et c’est particulièrement ce qui nous intéresse. Toute la richesse de l’information encodée dès la rédaction d’un brouillon de l’article reste associée à l’article publié, et dépendemment des requêtes effectuées, il est possible d’exploiter l’ensemble de ces données. Je dirais qu’ici, non seulement on répond aux besoins des revues, mais on entrevoit aussi toutes les possibilités de valorisation des articles et des données, qui ouvrent vers des usages futurs.

J’aimerais réitérer que même si ce dont je viens de parler a un peu un effet « liste de fonctionnalités », le but derrière chacune d’entre elle est la prise en compte d’un besoin spécifique de l’écriture savante, notamment pour les revues. Ces fonctionnalités sont aussi décrites plus en profondeur et avec des tutoriels dans la documentation de Stylo.

4. Conclusion (yves)

Stylo encourage en sciences humaines, tant du côté des auteurs que des revues, des pratiques communes de structuration de contenu, de références bibliographiques et de gestion de métadonnées liées aux textes scientifiques. Vu que dans l’environnement numérique, la diffusion et l’existence des contenus dépasse la fonction des revues et repose pour une large part sur la richesse des données associées au texte. Toutefois, Stylo demeure un projet de recherche mené avec les chercheurs et les éditeurs sur leurs pratiques d’écriture et l’édition académique. Il présente des propositions pour faire évoluer les pratiques d’écriture tout en intégrant les réflexions de la communauté sur leurs propres pratiques.

On peut avoir accès à Stylo en ligne, en ouvrant un compte sur Huma-Num. Le code source est sous licence libre sur GitHub. La documentation est aussi disponible en ligne et des permanences régulières sont proposées par vidéoconférence.

Références

Blanc, Julie, et Lucile Haute. 2018. « Technologies de l’édition numérique ». Sciences du Design 8 (2):11‑17. https://doi.org/10.3917/sdd.008.0011.
Doueihi, Milad. 2008. La Grande conversion numérique. Paris, France: Seuil.
Epron, Benoît, et Marcello Vitali-Rosati. 2018. L’édition à l’ère numérique. Paris: La Découverte.
Guédon, Jean-Claude, et Alain Loute. 2017. « L’histoire de la forme revue au prisme de l’histoire de la "grande conversation scientifique" ». Cahiers du GRM 12.
Sauret, Nicolas. 2020. « De la revue au collectif : la conversation comme dispositif d’éditorialisation des communautés savantes en lettres et sciences ». Thèse de doctorat, Montréal, Canada: Université de Montréal.
Vitali-Rosati, Marcello, Nicolas Sauret, Antoine Fauchié, et Margot Mellet. 2020. « Écrire les SHS en environnement numérique. L’éditeur de texte Stylo ». Intelligibilité du numérique, nᵒ 1. https://intelligibilite-numerique.numerev.com/numeros/n-1-2020/18-ecrire-les-shs-en-environnement-numerique-l-editeur-de-texte-stylo.